Après  que sonna le glas de l’Algérie française, bon gré mal gré, chacun fit son bagage pour se diriger vers la « Métropole », en passant par Marseille, la mère-patrie pour laquelle certains de nos aïeux avaient combattu au mépris de  leurs jeunes  vies pour combattre les Allemands lors des deux guerres mondiales et pour l’amour de la France.

Certains des « Pieds Noirs » se sont ainsi retrouvés entassés avec toute leur vie dans une valise en carton, sans un sou ou presque en poche dans des paquebots qui traversèrent la Méditerranée dans l’espoir d’un avenir meilleur sur la terre de « nos ancêtres les Gaulois ».

 

Nous nous retrouvâmes comme beaucoup dans les rues de Marseille mais, grâce à sa clairvoyance,  Maman avait  prévu  qu’en cas de problème nous aurions au moins un toit dans la cité phocéenne où nous pourrions toujours trouver un endroit pour nous replier malgré une hostilité pas même déguisée envers nous qui n’avions plus grand chose.

Nous avions donc un petit appartement que nous avions équipé avec des lits de camp, des matelas une table et des chaises en bois blanc il y avait aussi une vieille cuisinière  qui fonctionnait bien.

Ma grand-mère et sa sœur qui ne s’était jamais mariée car son fiancé avait été tué lors de la Première Guerre mondiale à l’âge de 20 ans, vivaient aussi avec nous. Un appartement au-dessus du nôtre se libérant, mon aïeule et sa sœur logèrent au troisième étage de l’immeuble.

Petit à petit, nous meublâmes l’appartement et des ustensiles s’empilèrent : ceux pour tous les jours et la vaisselle spéciale pour les huit jours de la fête de Pâques.

Étant donné que ma grand-mère et notre grand tante mangeaient chez nous, la cuisine du 3ème étage fut dénommée « cuisine » de Pessah (Pâque) et c’est donc dans ces placards que nous entreposâmes les ustensiles de la fête mais non pas seulement, Maman gardait d’une année à l’autre des provisions de sel, sucre, huile, vinaigre, poivre et paprika, ainsi tout au long de l’année elle confectionnait des conserves de légumes et ou de fruits et des confitures que nous dégusterions en famille pendant la fête.

C’est ainsi qu’elle préparait en été des confitures d’abricots, de pêches, de cerise et de prunes et d’oranges bigarades  (oranges amères) puis des conserves d’olives et de poivrons à l’huile. Les repères manquaient, et surtout le soleil, la terrasse,  les odeurs  et les bruits familiers de la scierie et menuiserie voisine, l’odeur du tabac torréfié provenant de l’usine de cigarettes ou celle du café s’échappant des torréfactions, celle des épices également.

Ici à Marseille, la température plutôt très fraîche nous obligeait à revêtir encore nos manteaux. Nous sachant épiés par les voisins intrigués par ces nouveaux-venus que nous fumes.

Une semaine avant la fête, mon frère et moi, nous étions jeunes à l’époque et pleins de vigueur, nous organisions le changement de vaisselle : c’est-à-dire que nous vidions le placard du « troisième étage » en empilant tous les ustensiles sur le potager puis, nous prenions du deuxième étage tous les ustensiles inutilisables pendant la fête et nous descendions les autres ustensiles que nous rangions dans le placard libéré et la même tâche nous attendait à la fin de la fête en sens inverse.

Les premiers temps de notre vie à Marseille, nous fûmes étonnés de voir les gens au marché acheter 1 ou 2 oranges « pour le jus » et lorsque nous allions acheter des légumes ou des fruits par kilo ou même du poisson par kilo, les commerçants nous demandaient si nous avions un restaurant mais non, nous étions six à table et nous avions de beaux appétits et nous n’étions pas habitués à partager les bananes en cinq et nous achetions les oranges par kilos et non pas : « une orange pour le jus ».

Le lendemain du récit de la Haggada nous regardions par terre pour voir si des Juifs habitaient là mais, ce signe n’existait plus sur notre chemin.

Comme par le passé, nous étions toujours à l’affût d’invités pour la fête de Pessah et nous en eûmes tout le temps.

Puis, mon frère épousa une charmante jeune fille qui se montrait parfois surprise des petites différences culinaires qu’elle notait entre nous et  ses parents. Bientôt, elle s’habitua à nous et passer Pessah en famille tout en voyant s’agrandir la famille était un plaisir.

Au fil des années, toutes les difficultés soulevées par les difficultés d’adaptation à la mentalité française et par un nouveau cadre de vie s’aplanirent  et puis, un jour, désirant vérifier l’adage : « shinouy makom, shinouymazal » (changement de lieu, changement de chance), j’ai décidé de partir pour m’installer en Israël où là tout allait apparaître différemment une fois de plus.

Fin

 

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Mon cher frère Bernard Rebouh Zal, un bâtisseur de la communauté juive de Marseille.

Caroline Elishéva REBOUH.

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cirta

Je comprends tout à fait l’article…Le 18 octobre 1962, pour nous accueillir, les dockers CGT nous ont balancé nos affaires à la mer…C’etait bien fait pour nous…les memes qui les avaient libéré en 1944…
Si c’était à refaire, beaucoup ne viendraient pas dans cette France qui leur a craché à la figure et qui ose féter le 19 mars….
Mektoub.