La littérature perd un géant. Dans la nuit du 22 au 23 mai 2018, le monde a appris la mort de Philip Roth, 85 ans, l’un de plus grands auteurs américains de l’Histoire, fort d’une carrière couronnée par une kyrielle de prix.

Ce natif de Newark, dans le New Jersey, avait souvent planté le décor de ses fictions aux reflets autobiographiques dans le quartier de la classe moyenne juive de Weequahic, où il a grandi.

Philip Roth avait traversé l’Hudson River pour s’établir à Manhattan, dans le quartier résidentiel et huppé de l’Upper West Side, et vivait ces dernières années, écrit le New York Times«une existence de retraité, allant voir ses amis, assistant à des concerts». Il n’accordait plus que de très rares interviews, et s’était retiré de la vie publique.

Tout au long de sa vie, et depuis ses premiers succès dans les années 1960, Philip Roth aura exploré de nombreux thèmes dont celui du fanatisme des Américains pour leur pays et pour les engagements en politique, la luxure et les excès du corps de l’Homme, mais aussi la vie dans les familles juives.

Son style était notamment empreint d’une forme d’humour sombre et caractérisé par une capacité à évoluer en fonction des récits. Il a créé des personnages marquants de la littérature, à l’image de David Kepesh, cet universitaire qui se transforme en poitrine à force de désir, ou Alexander Portnoy, cet homme confiant à son psychanalyste ses pulsions adolescentes.

Parmi ses œuvres les plus connues figurent notamment « Le Complot contre l’Amérique », « Opération Shylock », « Pastorale américaine » (Prix Pulitzer de fiction en 1998) ou encore « La Tache ». En 2001, Philip Roth avait reçu le Prix Franz Kafka pour l’ensemble de son œuvre. Il est également Commandeur de la Légion d’Honneur et a été récompensé aux quatre coins du monde pour sa contribution à la littérature.

S’il n’a jamais remporté le Prix Nobel de littérature, Philip Roth a en revanche reçu toutes les plus belles distinctions américaines: deux National Book Awards, autant de National Book Critics Circle awards, trois fois le prix Faulkner.

Plus l’énergie d’écrire

Après un demi-siècle à imaginer des histoires qui l’ont rendu célèbre dans le monde entier, et deux ans après son dernier roman Némésis, il avait annoncé en 2012 qu’il n’avait plus l’énergie de gérer la frustration qui accompagne la création littéraire.

Une décision qu’il justifiait encore ces dernières années: « Raconter des histoires, cette chose qui m’a été si précieuse durant toute mon existence, n’est plus au coeur de ma vie », expliquait-il au journal français Libération. « C’est étrange. Jamais je n’aurais imaginé qu’une chose pareille puisse m’arriver ».

Sa plume exigeante et sa lucidité implacable sur la société américaine ont fait de lui une figure majeure de la littérature d’après-guerre. C’est le seul écrivain vivant dont l’oeuvre a été éditée par la Library of America. En France, il a commencé d’être édité dans la prestigieuse collection La Pléiade.

Philip Roth, qui vivait seul entre sa maison du Connecticut rural (nord-est) et son appartement à Manhattan, était néanmoins sorti de sa retraite fin janvier pour balayer toute analogie avec l’accession au pouvoir du milliardaire. Tandis que Lindbergh était « un grand héros » avec de la « substance », écrivait-il au New Yorker, Trump est un président « ignorant du gouvernement, de l’histoire, de la science, de la philosophie, de l’art, incapable d’exprimer ou de reconnaître une subtilité ou une nuance » et utilisant « un vocabulaire de 77 mots ».

Comme le raconte Vanity Fair, ce géant de la littérature américaine avait noué une amitié avec Josyane Savigneau, directrice du Monde des livres, et lui avait confié qu’il aimerait lire la nécrologie qu’elle écrirait à sa mort.   »Il te reste une chose à faire, ma nécrologie. Oui écris, fais traduire, je veux la lire. Attends, je vais te donner la première phrase… Non, je ne trouve pas… »

L’un des plus grands écrivains de la seconde partie du XXe siècle, Philip Roth a livré, cultivant un aréopage de doubles de fiction, une vision à la fois délicate et lucide de l’Amérique moderne, entre pornographie, adultère, antisémitisme et fanatisme, détricotant patiemment le rêve américain. «La littérature n’est pas un concours de beauté morale», affirmait Roth, souvent taxé de misogyne pour ses personnages féminins, relégués au rang d’objets de désir ou de fureur.

Paul Guyonnet avec AFP Le HuffPost

Isabelle Hanne correspondante à New York

 

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