SONDAGE – Réalisée par la Fondapol, une enquête inédite et exclusive, dans 26 pays, révèle de la part des citoyens européens la crainte d’une immigration massive et incontrôlée – doublée d’une inquiétude croissante vis-à-vis de l’islam. Le score de l’AfD le week-end dernier en Allemagne illustre ce raidissement.

Par Judith Waintraub

Source : Le Figaro

Les craintes que suscite l’immigration, souvent associée à l’islam pour les citoyens européens, arrivent au premier rang des facteurs qui expliquent l’affaiblissement de nos démocraties et son corollaire, la montée des populismes. C’est le principal enseignement de l’enquête conduite par Ipsos pour la Fondation pour l’innovation politique et dont Le Figaro Magazine publie en exclusivité les résultats les plus significatifs.

Première du genre, cette étude intitulée «Où va la démocratie? *» a été conduite simultanément dans 26 pays: 22 pays européens choisis pour offrir une bonne représentativité de l’Union européenne dans son ensemble, des pays qui n’en sont pas membres comme la Suisse et la Norvège, le Royaume-Uni, qui l’a quittée, et les Etats-Unis.

Après le Brexit, en juin 2016, et l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis, six mois plus tard, la plus récente illustration de ce que Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique, analyse comme un «dépérissement démocratique», vient d’être fournie par les législatives en Allemagne. L’entrée massive du parti d’extrême droite Alternativ für Deutschland (AfD) au Bundestag, pour la première fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, montre que ni la solidité d’Angela Merkel, sortie victorieuse mais affaiblie du scrutin, ni la bonne santé de l’économie allemande n’ont suffi à épargner à l’«homme fort» de l’Europe le sort commun à toutes les démocraties occidentales.

Déstabilisées par l’afflux des migrants sur leur sol, qui est l’une des conséquences les plus marquantes, ces dernières années, des processus de globalisation et de recomposition du monde, nos démocraties doivent se repenser. Et, difficulté supplémentaire, elles ne peuvent plus compter sur le moteur qui a permis leur épanouissement: la certitude d’un progrès matériel et humain.

Les inquiétudes d’ordre économique sont majoritaires dans les pays de l’ouest de l’Europe. A l’est, les préoccupations liées à la sécurité  terrorisme et délinquance  dominent.

LE FIGARO MAGAZINE – Le résultat des législatives en Allemagne peut-il s’expliquer par le rejet de l’immigration et la peur de l’islam que votre étude met en lumière? –

Dominique REYNIÉ: Ce n’est évidemment pas la seule explication. Les grandes formations politiques sont frappées de discrédit partout en Europe et, en Allemagne, l’usure du «merkelisme» et une forme de lassitude à l’égard de la grande coalition droite-gauche ont joué. Mais il est clair que la naissance de l’AfD en 2013, ses succès électoraux constants depuis et sa poussée aux législatives sont liés à la politique migratoire d’Angela Merkel. Les moyens qu’elle a mobilisés pour accueillir les migrants, l’encadrement associatif et la pédagogie à laquelle la chancelière s’est efforcée n’ont pas empêché des problèmes de cohabitation nombreux et considérables.

On l’a vu de manière spectaculaire avec les agressions sexuelles de la nuit du Nouvel An à Cologne en 2016. Elles ont d’autant plus ému l’opinion qu’en Allemagne, comme dans l’ensemble des pays nordiques, toute une partie de la classe politique et certains médias ont donné le sentiment de vouloir cacher la réalité pour ne pas «stigmatiser», selon la formule consacrée, les populations en cause. Ne pas décrire loyalement la réalité des choses est toujours la pire des solutions, d’où ce réveil brutal le soir du 24 septembre.

L’hostilité à l’immigration est majoritaire dans toutes les catégories d’âges, y compris chez les 18-34 ans.


L’idée d’accueillir des réfugiés, et même des immigrés, ne suscite pas d’opposition de principe: c’est l’absence de réciprocité qui crée le rejet.

 

Dominique Reynié


Vous attendiez-vous à un regard aussi négatif sur l’immigration dans tous les pays européens, ou presque?

Dominique REYNIÉ : le jugement sur l’immigration soit négatif ne me surprend pas, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il soit aussi largement partagé au sein des démocraties européennes. L’idée d’accueillir des réfugiés, et même des immigrés, ne suscite pas d’opposition de principe: c’est l’absence de réciprocité qui crée le rejet. Les sociétés accueillantes ont le sentiment que les personnes qu’elles accueillent ne reconnaissent pas les valeurs des Européens, et c’est particulièrement flagrant quand la culture d’origine est l’islam.


L’«islamophobie» au sens propre n’est pas un sentiment raciste envers les musulmans en général, ni envers leur religion, mais une peur née du constat que les problèmes de cohabitation, les contentieux interculturels, mais aussi les violences – sans parler des attentats – sont presque toujours associés à une certaine interprétation de l’islam.

Dominique Reynié


 

N’est-ce pas tout simplement du racisme?

Dominique REYNIÉ : C’est la critique qui émane d’une partie des classes dirigeantes, politiques, intellectuelles et médiatiques, mais elle ne correspond pas à la réalité. Notre étude montre que, chez ces mêmes Européens qui ont peur de cet islam, l’esprit de tolérance domine.

On ne trouve pas dans le monde de régime ni d’espace géographique où la tolérance, l’accueil des réfugiés et la sensibilité à la précarité de leur situation soient aussi répandus qu’en Europe.

L’«islamophobie» au sens propre n’est pas un sentiment raciste envers les musulmans en général, ni envers leur religion, mais une peur née du constat que les problèmes de cohabitation, les contentieux interculturels, mais aussi les violences – sans parler des attentats – sont presque toujours associés à une certaine interprétation de l’islam.

Le bien-fondé de la politique généreuse de la chancelière n’est pas remis en cause, mais les Allemands sont loin de croire que l’immigration est une chance pour l’Allemagne.

Pourtant, le discours «ça n’a rien à voir avec l’islam» reste dominant, en particulier en France…

Dominique REYNIÉ : Malheureusement, les classes dirigeantes ont échoué partout en Europe à poser les problèmes de l’immigration, de l’islam, de l’islamisme et du conflit des valeurs dans des termes politiquement recevables. Il n’y a pas de débat ouvrant sur des décisions publiques, mais une dispute entre des positions polarisées à l’extrême. C’est particulièrement vrai pour la France. Notre culture républicaine fait de notre pays celui où la reconnaissance de l’échec de l’intégration est la plus difficile. Nous sommes parmi les plus mal à l’aise pour exprimer clairement la réalité des conflits interculturels. Mais à force de créer de l’indicible, de mettre les problèmes sous le tapis, ils prennent de l’ampleur sans qu’on le voie, sinon dans les urnes. Les démocraties sont exposées aux poussées régulières des mouvements populistes et protestataires. Elles déstabilisent la politique et finissent par menacer le régime démocratique lui-même.


«On entend beaucoup dire en France que la fin du chômage réglera les problèmes de cohabitation. C’est faux. Les pays sans chômage ou à chômage résiduel connaissent les mêmes problèmes»

 

Dominique Reynié


Ce rejet de l’immigration varie-t-il en fonction de la situation économique des pays d’accueil?

Dominique REYNIÉ : Je ne dirais pas que ça n’a aucun effet, mais c’est vraiment secondaire. Dans des pays bien portants comme les Pays-Bas, l’Autriche, la Suisse, la Norvège et les pays scandinaves en général, et comme on vient de le voir en Allemagne, le rejet d’une immigration sans réciprocité atteint des niveaux très élevés. On entend beaucoup dire en France que la fin du chômage réglera les problèmes de cohabitation. C’est faux. Les pays sans chômage ou à chômage résiduel connaissent les mêmes problèmes, quand ils ne sont pas plus aigus encore, comme aux Pays-Bas et en Autriche. Prenez la Suisse, qui a fait ce fameux référendum pour l’interdiction des minarets: c’est le pays le plus riche du monde!

Comment les démocraties européennes peuvent-elles sauvegarder leurs valeurs dans ce contexte?

Dominique REYNIÉ : Les principes et les règles qui régissent les conditions d’accueil en Europe doivent inclure cette exigence de réciprocité, qui est non négociable parce que parfaitement légitime. De leur côté, les immigrés porteurs d’une culture différente, notamment musulmane, ont à l’évidence un travail intense et urgent à faire sur l’adhésion à nos valeurs, la reconnaissance de la suprématie de la loi de la République, l’égalité hommes-femmes, la sécularisation de la société… C’est la base de notre contrat social.

* «Où va la démocratie?», une enquête  de la Fondation pour l’innovation politique sous la direction de Dominique Reynié. A paraître le 5 octobre chez Plon, 310 p., 25 €.

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madeleine

Pourquoi les médias n’informent pas les peuples des Traités (de Barcelone, de Lisbonne) et Protocoles (de Strasbourg) signés entre l’Arabie saoudite et certains pays européens (1973, 1975). Pourquoi restent-ils muets sur le « Plan Kalergi » ?

Christian Rayet

L’islam est né bien après l’apparition des deux autres branches du monothéisme, le judaïsme et le christianisme. Et le texte des deux premières est adressée à des hommes qui la vivent et l’interprètent dans leur quotidien, la troisième est donnée telle quel, et ne peut être interprétée. La nouvelle religion à ses débuts, est une civilisation conquérante, imposant ses croyances, assujettissant les populations au tribut et faisant régner un ordre islamique partout où elle prenait pied. le lexique islamique submerge notre quotidien. Pas un jour ne passe sans que l’on entende, dans notre beau pays laïque, les mots : islam, djihad, Coran, salafisme, Allah, musulmans, charia, halal, mosquée, imam…
Le voile est vu dans les écoles, les universités, les hôpitaux, les entreprises, les plages, les piscines et les transports en commun… la rue; Des quartiers entiers obligent les femmes à se cacher, à limiter leur présence dans l’espace public au strict minimum, en cherchant à être « décentes ».
Il s’agit ici non de l’individu, mais de religion, et peut-on nier que cette religion véhicule une tendance à s’imposer par la violence et qu’il y en a qui y puisent leur inspiration? Quels que soient leur origine, leur nationalité, leur âge ou leur histoire, le lieu de leurs forfaits, tous les djihadistes proclament la même foi et le service d’une même religion pour justifier leur actes criminels. Les djihadistes, eux-mêmes, revendiquent le fait d’être les seuls véritables musulmans. Les autres, la très grande majorité de musulmans, sont rejetés par ces fanatiques dans les ténèbres de la mécréance.
Pourquoi donc est-ce que l’Islam contemporain, à l’instar des juifs et des chrétiens, qui ont accepté la laïcité en 1776. L’Islam, non seulement, n’a jamais fait son aggiornamento (c’est-à-dire, mise à jour, adaptation à l’évolution du monde, à la réalité contemporaine) mais de plus ses autorités, qu’elles soient chiites ou sunnites, prônent sans interruption le dogme de la charia et la lutte pour un état théocratique. L’Islam, aujourd’hui, en Occident, peut-il se distancier d’un enseignement, d’une autre époque, pré-moderne, et faire sien les règles et valeurs du pays d’accueil, pour construire un vivre ensemble compréhensible, un monde convivial ? Je crains que la réponse soit négative, car le Coran ne peut être mis à jour comme le sont la Torah et l’Evangile. La mise à distance est un crime pour les Musulmans. Le choix obligé sera toujours la charia… à moins d’une réelle acceptation de la Laïcité à l’image des Juifs, Catholiques, Protestants… qui vivent en paix dans notre société avec tout le monde.

Marc

Merci de ne pas répéter dix fois le même texte sous des pseudo différents, l’un juif l’autre chrétien, et des textes différents, mais la même ip. On n’est pas des robots et on ne doit pas abuser de fausses identités.