De nombreux monuments, pour commémorer l’Holocauste, existent de par le monde. Certains sous forme d’institutions gigantesques, comme Yad Vashem et le Holocaust Memorial Museum à Washington DC. D’autres installations commémoratives bien que plus modestes, n’en sont pas moins fortement évocatrices. Pour certaines, elles prennent figure d’œuvre d’art. Par exemple, la statue dédiée au Kindertransport qui se trouve dans la gare Liverpool Street Station, au centre de Londres. Ou la sculpture qui se dresse dans la gare de Westbahnhof, à Vienne, sur le même thème. C’est depuis ce quai que ma mère et ses deux sœurs, toutes trois rescapées de la Shoah, ont pu s’enfuir pour la liberté, en Décembre 1938.

Tout récemment, j’ai eu l’occasion de retourner dans la capitale autrichienne, encouragé en cela par une invitation qui m’était adressée par la municipalité de Vienne, de venir assister à l’inauguration d’un nouveau mémorial de l’Holocauste. Un mémorial, érigé à l’emplacement de ce que fut la gare d’Aspang, aujourd’hui disparue, venu rappeler que c’est de là que 47 000 Juifs furent envoyés dans les camps de concentration.

En octobre 1939, 1 584 hommes furent envoyés à Nisko dans le district de Lublin, situé dans la Pologne, alors occupée par les nazis. De sinistre mémoire, entre février 1941 et octobre 1942, la majeure partie des trains réquisitionnés, qui acheminèrent plus de 45 000 Juifs, hommes et femmes, vers les camps d’extermination de Pologne, Tchécoslovaquie, Lettonie, Lituanie et Biélorussie, s’ébranlèrent depuis les quais de cette gare. Au total, 47 transports furent en partance à destination des ghettos, camps de concentration et sites d’exécution de masse. Pour la majorité des 66 000 victimes autrichiennes de l’Holocauste, leur dernier voyage en ce monde, vers la solution finale, débuta en plein centre de Vienne.

Située dans le troisième arrondissement de Vienne, donc assez centrale, cette gare, à l’époque, ne faisait pas partie des gares les plus fréquentées de la ville et les nazis pouvaient vaquer à leur sinistre entreprise de mort, sans trop attirer l’attention.

De cette gare, qui avait ouvert ses portes au public en 1881, pour cesser toute activité dédiée au transport public, dans les années 1970, il ne reste aujourd’hui plus rien. Il est peu probable que les passagers encore en vie aujourd’hui, qui y transitèrent au cours de son exploitation, se souviennent des tragiques évènements dont cette gare fut le théâtre. Et pour cause ; le site longtemps abandonné, ne portait pas de stigmates visibles de l’Holocauste. Excepté une modeste plaque commémorant les victimes, discrètement posée du côté de ce qui fut officiellement rebaptisé le parc Leon Zelman, du nom du survivant de l’Holocauste qui a créé le Jewish Welcome Service Vienna. Cette association a pour mission d’offrir un large éventail de services aux survivants autrichiens de l’Holocauste et à leurs descendants. Par cette plaque, posée en 1980, à une époque où près d’un demi-siècle après la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Autriche se plaignait encore officiellement d’avoir été «la première victime du nazisme», les autorités admettaient avoir été l’un des rouages très actifs de la machine de mort nazie.

PRINZpod, est le nom du duo d’artistes autrichiens, qui ont œuvré au nouveau Mémorial de la gare d’Aspang, grâce à des subventions de la municipalité, versées au Public Art Vienna (KOR). Ils ont fait preuve d’une grande sensibilité pour livrer un travail éminemment évocateur. Elaboré à partir de restes des voies ferrées de la gare d’Aspang, il se compose principalement de deux rails de béton de 30 mètres de long, qui convergent doucement, renforçant la tendance optique naturelle d’une voie ferrée qui rejoint l’horizon, pour s’enfoncer ici dans un bloc de béton et s’anéantir dans cette masse sombre et impénétrable, «symbole de mort, de néant et d’oubli» comme le dépliant de KOR le souligne.

La cérémonie d’inauguration fut très courue. Une large majorité de personnes présentes, apparemment non-juives, s’y pressaient, phénomène plutôt encourageant. Les allocutions des conférenciers qui se succédèrent à la tribune tournèrent bien sûr, autour de divers aspects de l’Holocauste et de ses conséquences. Talya Lador-Fresher, ambassadeur d’Israël en Autriche, voulu souligner comment la décimation nazie de la communauté juive viennoise, qu’évoque ce mémorial, a façonné les relations entre Israël et l’Autriche. Pointant qu’il est crucial de promouvoir les sites commémoratifs, lesquels, comme celui de l’ancienne gare d’Aspang, ont vocation d’être autant de repères contre l’oubli, érigés dans l’espace public.

La communauté juive locale était représentée par son président, Oskar Deutsch, qui a lui aussi souligné l’importance de laisser dans cette gare une empreinte de la tragédie, afin de rappeler aux passants ce qui est arrivé aux Juifs d’Autriche, au cours de la Seconde Guerre mondiale. « Jusqu’ici, rien n’indiquait que la gare avait été un haut lieu de la déportation, puisque c’est de ces quais que 45 000 personnes embarquèrent pour être envoyées à la mort », a déclaré M. Deutsch, qui a profité de cette tribune qui lui était offerte, pour mettre l’accent sur des problèmes d’une actualité brûlante. « L’antisémitisme est à nouveau en hausse en Europe et aussi en Autriche. Ce mémorial, grâce aux panneaux d’information qui accompagnent l’œuvre artistique, et sur lesquels figure une liste de noms des personnes qui partirent pour les camps de la mort à bord de ces trains, pour être assassinées, envoie aussi un important message de mise en garde, destiné à la génération d’aujourd’hui et celles de demain.  »

Je n’étais pas le seul invité israélien, de la municipalité de Vienne. Etait aussi présent Moshe Lustre, résident de Givatayim, fils de Leo Lustre. Lustre Sr. fait partie de ceux qui ont activement contribué à la réalisation de ce projet commémoratif de la gare Aspang. Une mission difficile puisqu’il ne fallut pas moins de deux décennies entre sa conception et son inauguration, pour qu’il voit le jour. Lustre a également veillé à ce que les israéliens d’origine Autrichienne, ayant survécu à l’Holocauste, obtiennent des dédommagements de l’Autriche, y compris une pension. Il a également été membre du conseil d’administration de l’Association des retraités autrichiens en Israël et du Comité central des Juifs d’Autriche à Tel-Aviv. En 2002, la République d’Autriche a honoré sa contribution au pays, en le décorant pour services rendus. Hélas, Leo, qui avait survécu à son internement dans plusieurs camps de concentration, est décédé en janvier dernier à l’âge de 89 ans, peu avant l’inauguration de ce monument commémoratif, nous privant de sa chère présence dans cette gare, d’où il avait été envoyé vers la mort, trois quarts de siècle plus tôt.

Le moment le plus émouvant de cette cérémonie, nous le devons à Herbert Schrott. Âgé aujourd’hui de 91 ans, Schrott est originaire du huitième arrondissement de Vienne, où il coula des jours heureux jusqu’au 12 mars 1938, date à laquelle l’Allemagne annexa l’Autriche. « Je suis l’un des rares témoins et rescapés juifs, ayant assisté à la persécution, à l’expulsion et à l’extermination des Juifs autrichiens depuis le début », a-t-il confié à son auditoire. Schrott n’est pas un de ces historiens qui ont besoin de fouiller les archives pour reconstruire le passé et lui donner un sens. Tous ces évènements terrifiants, qu’il a vécu dans sa chair, sont à vif dans sa mémoire. Il a décrit de façon à la fois vivante et effrayante, les péripéties dramatiques, entourant la déportation de sa famille à Theresienstadt. « A cette époque, les viennois considéraient notre tragédie comme leur triomphe, qui leur arrachait exultations de satisfaction et effusions joyeuses. Dépourvus d’humanité à notre égard, ils ne nous témoignaient aucune compassion. Seul leur mépris s’exprimait et le plaisir de nous humilier en nous couvrant de ridicule. »

Tout comme Leo Lustre, la mère de Schrott a survécu aux camps de la mort. « Mon vieil ami et camarade de camp Leo Lustre aurait dû être ici à mes côtés, aujourd’hui », a regretté Schrott. « Leo a travaillé sans relâche, pendant des années, pour que se dresse ici un mémorial qui rappellerait les nombreuses déportations qui sont parties de la gare d’Aspang, vers l’est, où une mort certaine attendait presque toujours les victimes. Malheureusement, Leo n’a pas pu vivre cette journée. Il est mort en Israël, où il est venu faire sa vie, après sa libération des camps. Son fils Moshe est ici et nous le remercions pour ce que son père a accompli et sa contribution à ce mémorial.  »

Comme les informations commémoratives de la gare Aspang en témoignent, Schrott est l’un des 1 073 Juifs Viennois, envoyés dans les camps de la mort, qui ont survécu et pu transmettre leur histoire. « J’ai essayé de décrire en quelques mots ce que nous avons souffert et enduré », a-t-il confié lors de la cérémonie. « Mais, au fond, les mots ne seront jamais assez fort pour décrire toute l’horreur que furent la misère, le chagrin, la peur, l’humiliation, la brutalité, la terreur, la vulgarité et les crimes commis. Ce mémorial est destiné à commémorer des temps qui furent sans pitié.  »

Le parc Leon Zelman est un triangle de verdure, en lieu et place de ce que fut la gare d’Aspang. Il est flanqué sur deux côtés, d’une route principale et d’une rue latérale, dont tous les bâtiments qui s’y trouvent, donnent sur le site, où se dresse ce nouveau mémorial de l’Holocauste. Au cours de la cérémonie, j’ai remarqué que plusieurs curieux, penchés aux fenêtres des habitations, le regard plongeant sur les allées et venues en contrebas, suivaient la cérémonie d’un œil. Leur curiosité guidera-t-elle leurs pas jusqu’au mémorial, et se pencheront ils aussi sur l’histoire tragique dont ce lieu fut le théâtre ? Les Viennois en général, et plus important encore, les écoliers et la jeune génération d’Autrichiens, se donneront ils la peine de venir se frotter au passé pour en conserver la mémoire, afin de mieux comprendre le rôle majeur joué par leur pays, dans la terrible machine d’extermination nazie?

Barry Davis Jerusalem Post

 

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires