Durant l’Affaire Dreyfus (1894-1906), Les lettres personnelles que Lucie a envoyées à son mari Alfred et la vaste correspondance qu’elle a menée avec les autorités révèlent l’importance du triomphe du combat personnel d’une femme pour sauver son mari, victime d’un complot judiciaire.

Aucun texte alternatif disponible.

 

Le 15 octobre 1894, le capitaine Alfred Dreyfus, âgé de 35 ans, fut convoqué à se présenter au quartier général à neuf heures du matin en civil pour « un examen des officiers stagiaires ».

Malgré la demande déroutante, le capitaine resta imperturbable et se sépara de sa famille comme il le faisait régulièrement. Ce fut une matinée agréable, et son fils de trois ans, Pierre, a insisté pour l’escorter jusqu’à la porte d’entrée.

Le souvenir de cette séparation, écrit plus tard Dreyfus dans ses mémoires, est ce qui l’aurait aidé à faire face à tout ce qu’il a subi les années suivantes.

L’image contient peut-être : 1 personne, assis et intérieur

Le colonel du Paty de Clam, qui a été envoyé pour interroger Dreyfus, n’a pas perdu de temps et a organisé la dictée pour confondre le capitaine. A la fin de la dictée, le colonel se leva sauvagement de sa chaise et déclara: «Je vous arrête au nom de la loi, vous êtes accusé d’un crime grave de trahison.»

Alfred Dreyfus est emprisonné aussitôt dans une prison militaire et placé au secret, interdit de tout contact avec sa famille.

Aucun texte alternatif disponible.

Pendant une période de paranoïa nationale croissante – une période où la République française était pleine de rumeurs et de rapports de trahison et de vente de secrets à l’ennemi juré allemand – le bouc émissaire approprié avait été trouvé dans Alfred Dreyfus. La presse antisémite se déchaîne, il faut rappeler ici l’impact du pamphlet antisémite La France juive écrit par Edouard Drumont  paru huit ans plus tôt (1886).

À la fin d’un procès militaire expéditif , truqué, A. Dreyfus fut reconnu coupable de trahison et d’espionnage, en tant que « pseudo agent allemand ». Il est condamné à la prison à perpétuité et à la déportation sur l’île du Diable, près des côtes de la Guyane française en Amérique du Sud.

L’histoire ne s’est pas arrêtée là. Avant d’être envoyé à l’île du Diable, Alfred Dreyfus qui clame son innocence  fut forcé de subir, le 5 janvier 1895 à Paris, une terrible cérémonie de dégradation dans laquelle il fut dénoncé comme un traître à la République.

Pendant la cérémonie, qui se tenait dans la cour de l’école militaire de Paris, son épée lui fut enlevée et brisée et la foule furieuse qui s’était rassemblée lui hurla des injures antisémites.

Malgré la détérioration brutale de sa santé physique et mentale pendant son séjour en prison, jusqu’à son dernier jour, il a refusé par patriotisme de croire que c’était une mesure due à  l’antisémitisme qui inspirait l’Etat-major de l’armée.

Lors de son arrestation, ses accusateurs souhaitaient pousser le capitaine Dreyfusil à choisir la seule «issue honorable» dans de tels cas – un revolver chargé était placé dans sa cellule pour lui permettre de se suicider. À la grande surprise des geôliers, Dreyfus refusa de se servir du revolver et continua de protester contre ses accusateurs.

À partir du moment où il a été privé de sa liberté et de sa dignité personnelle, sa famille a décidé de servir de porte-parole de l’accusé Dreyfus et a travaillé sans relâche pour son acquittement.

Alors que son frère Mathieu agissait dans les voies légales et diplomatiques pour obtenir un nouveau procès et acquittement pour son frère aîné, Lucie Dreyfus – la jeune épouse bien-aimée d’Alfred – décida d’investir toute son énergie pour améliorer les conditions de vie du nouveau prisonnier.

Elle lui a envoyé des lettres régulièrement, dans lesquelles elle a informé son mari de leurs enfants, des efforts inlassables de son frère pour son acquittement et, bien sûr, lui a offert des mots d’encouragement et de compassion.

Dans une lettre qu’elle envoie à son mari le 16 janvier 1895, Lucie demande à son mari avec inquiétude: «Comment es-tu mon pauvre bien-aimé, ne te sens-tu pas faible à cause du régime carcéral »

On peut supposer qu’elle était consciente des conditions dans lesquelles son mari était emprisonné et qu’elle savait que Dreyfus passait ses cinq années au bagne de Cayenne dans une cabane pendant la majeure partie de la journée.

Les températures atteignent parfois 50 degrés Celsius. Elle a essayé d’alléger son sort de différentes manières. Elle a eu une correspondance importante avec le ministère des Colonies, qui était responsable de prisonniers tels que son mari.

D’autres lettres qu’elle a envoyées et reçues du ministère des Colonies prouvent combien Lucie était tenace dans son combat pour améliorer les conditions de son mari. La documentation des archives révèle que Lucie a reçu une lettre du ministre des Colonies lui-même, André Lebon, l’informant qu’il a rejeté plusieurs livres qu’elle a envoyés à son mari sous prétexte que leurs pages n’étaient pas coupées correctement.

Le 13 janvier 1898, Zola publie l’une des lettres politiques les plus fameuses de tous les temps : « J’accuse! ». Fruit d’années d’enquêtes, cette lettre, qui lui vaudra procès et exil, sera un pièce maîtresse dans la résolution de l’Affaire.

Résultat de recherche d'images pour "zola j'accuse"

 

En 1899, la coalition pro-Dreyfus (connue sous le nom de «Dreyfusards») a réussi à obtenir l’organisation d’un nouveau procès à Rennes pour obtenir la disculpation de l’officier injustement condamné.

Lors du procès de Rennes, Alfred exprime publiquement sa gratitude envers Lucie:

« Après ma condamnation, j’étais décidé à me tuer, j’étais décidé à ne pas aller à ce supplice épouvantable d’un soldat auquel on allait arracher les insignes de l’honneur ; eh bien, si j’ai été au supplice, je puis le dire ici, c’est grâce à Mme Dreyfus qui m’a indiqué mon devoir et m’a dit que si j’étais innocent, pour elle et pour mes enfants, je devais aller au supplice la tête haute ! Si je suis ici, c’est à elle que je le dois. »

Pourquoi Dreyfus a-t-il envoyé la lettre aux parents de Lucie? Les premières lignes fournissent une réponse claire: «Si ma lettre doit vous parvenir avant mon retour en France», écrit-il aux parents de Lucie, «je vous demande de serrer Lucie et nos chers enfants en ma faveur, en prévision de la joie  encore à sentir quand je les tiendrai à mon tour dans mes bras, et quand je pourrai enfin aider Lucie à oublier les longues années de souffrances terribles à travers une vie paisible et heureuse. »

Le tribunal militaire qui s’est réuni pour examiner l’affaire Dreyfus a déclaré l’accusé coupable une fois de plus, cette fois de trahison moins sévère, et il a été condamné à dix ans de prison.

La bataille juridique semblait à l’origine être une nouvelle défaite pour ses partisans (dirigée par son frère Mathieu et d’autres parents). Cependant, un mois après le verdict, le président de la République a gracié Dreyfus à condition qu’il avoue son crime.

En raison de la forte pression exercée sur lui par Mathieu et ses nombreux autres partisans, il avoua à contrecoeur. Dès qu’il a été libéré, il a commencé à agir pour obtenir une levée complète de tout soupçon de trahison.

La douleur de confesser l’acte le plus méprisable qu’un soldat au service de la République pouvait commettre, comme le voyait Dreyfus lui-même, n’était possible que par la réunion avec sa femme et ses enfants.

L’établissement militaire refusa de reconnaître son innocence et ce n’est qu’en 1906, 12 ans après les débuts de l’Affaire que la justice reconnait ses erreurs.
Le 12 juillet 1906 : La Cour de cassation, toutes chambres réunies, annule sans renvoi le jugement du Conseil de guerre de Rennes, et affirme que la condamnation portée contre Alfred Dreyfus a été prononcée « à tort ».
Le 13 juillet 1906 : La Chambre vote une loi réintégrant Dreyfus dans l’armée avec le grade de chef d’escadron et Picquart avec le grade de général de brigade.

A 55 ans, il s’engage comme volontaire dans l’armée pendant la Première Guerre mondiale.

Alfred Dreyfus meurt à Paris d’une crise cardiaque, le . Lucie lui survivra de plus de dix ans. Durant la Seconde Guerre mondiale, Lucie est hébergée dans un couvent à Valence sous le nom de Madame Duteil seule la mère supérieure connait sa véritable identité. Elle ne sera pas inquiétée durant toute la durée de la guerre. Sa petite fille, Madeleine Levy, la fille de Jeanne, connut un sort plus funeste et fut arrêtée par des policiers français à Toulouse.

Déportée vers l’Est, elle meurt du typhus à Auschwitz en , âgée de 25 ans.

Lucie Dreyfus meurt à Paris, le . Elle repose au côté de son mari au cimetière du Montparnasse .

En 1975, Jeanne Dreyfus-Levi, la fille d’Alfred et Lucie, décida de transférer une partie des archives de la famille Dreyfus à la Bibliothèque nationale d’Israël. Par sentiments de proximité et d’affection pour l’Etat d’Israël et le peuple juif, elle s’assura que les lettres les plus personnelles et émouvantes de la famille traitant de l’affaire Dreyfus soient transférées à la Bibliothèque.

 

L’article a été rédigé avec l’aide généreuse de Mme Betty Halpern-Gadez du Département des archives de la Bibliothèque nationale d’Israël.

 

 

10 février 1895/Lettre de Lucie Dreyfus à Alfred Dreyfus

Éphéméride culturelle à rebours

Lucie_dreyfus

Mon bon chéri,

« J’ai eu une joie enfantine hier soir en recevant enfin l’autorisation de te voir deux fois par semaine. J’ai télégraphié immédiatement à Joseph qui m’avait offert si gracieusement de m’accompagner, de venir au plus tôt ; j’aurais volontiers fait le trajet seule pour pouvoir t’embrasser un jour plus tôt, mais la famille s’y est opposée, de sorte qu’une fois de plus j’ai dû faire taire la passion qui soulève mon cœur.
Enfin le moment viendra, mon bon chéri, où j’aurai le bonheur extrême de te serrer sur mon cœur et de te rendre par ma présence de nouvelles forces.
Je suis navrée que tu ne reçoives pas mes lettres ; je n’ai pas manqué un seul jour de venir causer avec toi. Je ne puis m’expliquer la raison de cette rigueur ; mes lettres cependant n’indiquent que des sentiments parfaitement honnêtes, le chagrin amer d’une situation aussi injustement épouvantable et l’espoir d’une réhabilitation prochaine. […]
Je m’imagine aisément les souffrances que tu as dû endurer étant ainsi sans nouvelles. Mais si tu sais aussi qu’aucune considération de santé ne peut m’empêcher de venir causer avec toi et que la mort seule m’empêcherait de t’envoyer mes pensées, l’écho de mon affection. Ne te fais donc plus de soucis, et sache bien que tant que je serai animée d’un souffle de vie, tout mon être est vers toi.
Les enfants pensent beaucoup à toi et parlent constamment de toi. Ils t’envoient de bons becs.
Et toi, je t’embrasse mille fois. »

Ta dévouée.
Lucie.


Alfred et Lucie Dreyfus, « Écris-moi souvent, écris-moi longuement… », Correspondance de l’île du Diable, 1894-1899, Editions Mille et une nuits, Librairie Arthème Fayard, octobre 2005, pp. 199-200.

Source

Adaptation par JG

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

2 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

[…] par la famille du capitaine Dreyfus, et notamment son frère Mathieu, Bernard Lazare est le premier journaliste à prendre fait et […]

Amram

L’affreuse affaire Dreyfus a comme même occasionnée a la France un bénéfice inestimable en permettant d’épurer l’Armée Française de ses éléments les plus nuisibles et qui a probablement était salutaire durant la première guerre mondiale.