L’ex-garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas mis en examen par la Cour de justice

Le dernier ministre de la justice (2016-2017) de François Hollande a transmis en 2017 des informations au député Thierry Solère sur une enquête le concernant.

 

Jean-Jacques Urvoas, alors ministre de la justice, à la sortie du conseil des ministres du 5 avril 2017, à l’Elysée.

L’ancien garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas a été mis en examen, mardi 19 juin, par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) pour « violation du secret professionnel » pour avoir transmis entre les deux tours de la présidentielle de 2017 des informations confidentielles au député des Hauts-de-Seine Thierry Solère (alors Les Républicains, aujourd’hui La République en marche) concernant une enquête pénale visant ce dernier. Un délit passible d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende.

Cette affaire, révélée par Le Canard enchaîné en décembre 2017, avait très rapidement débouché sur une saisine officielle de cette juridiction spéciale à qui il revient de juger les ministres ou anciens ministres pour les crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions. La CJR avait ouvert une enquête le 16 janvier.

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C’est une violation présumée du secret professionnel qui est reprochée au dernier ministre de la justice du quinquennat de François Hollande. M. Urvoas aurait profité des pouvoirs liés à sa fonction entre les deux tours de la présidentielle pour demander à la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) une « fiche d’action pénale » de l’enquête préliminaire ouverte pour « fraude fiscale », « blanchiment », « corruption »« trafic d’influence » et « recel d’abus de biens sociaux » à l’encontre de M. Solère. M. Urvoas a ensuite transmis ces informations confidentielles à l’intéressé qui faisait partie des noms alors cités pour un poste important dans le premier gouvernement de l’ère Emmanuel Macron.

« Ce reproche est une blessure »

Les deux hommes avaient pris des précautions en communiquant par l’application de messagerie cryptée Telegram. Mais les policiers de l’office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCLIFF) sont tombés sur ces messages lors d’une perquisition au domicile de M. Solère, en juin 2017.

Le Monde a tenté de joindre Jean-Jacques Urvoas à plusieurs reprises, en vain. Dans un communiqué diffusé mercredi soir, il « conteste avec détermination une quelconque violation, dans l’exercice de [ses] fonctions ministérielles, d’un secret protégé par l’article 226-13 du code pénal »« Ce reproche est une blessure alors que j’ai agi, comme je l’ai toujours fait en ma qualité de garde des sceaux, pour la défense de l’autorité judiciaire et son indépendance », a-t-il ajouté.

Argumentation juridique

Contacté, son avocat Emmanuel Marsigny a fait valoir deux points de droit qu’il avait soumis à la CJR. « D’abord, explique-t-il, les fiches d’action pénales sont des documents administratifs et non judiciaires. Elles sont filtrées par la DACG et sont destinées au cabinet du ministre pour que celui-ci exerce ses attributions et notamment pour communiquer. » « Ensuite, ajoute-t-il, le ministre lui-même n’est pas tenu au secret professionnel. »

Une argumentation davantage juridique que médiatique. « C’est comme si on considérait que le ministre des armées n’était pas tenu par le secret défense puisqu’il n’est pas lui-même un militaire », objecte un magistrat. Dans les rangs de la DACG en tout cas, on s’étranglait à l’époque que telle fiche pénale ait pu être transmise par le ministre de tutelle à une personne directement visée par une enquête, y voyant un dévoiement absolu du principe de la remontée d’information.

Surtout, les raisons pour lesquelles celui qui était alors ministre de la justice a transmis ces informations demeurent troublantes. M. Urvoas espérait-il un retour d’ascenseur politique en rendant service à M. Solère alors cité comme possible futur ministre, comme certains l’analysent ? Selon MMarsigny, la note a été transmise « pour faire cesser les attaques médiatiques de M. Solère contre l’institution judiciaire et lui faire comprendre qu’il faisait fausse route en affirmant ici ou là que la justice était instrumentalisée contre lui ».

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« Ce n’est pas Thierry Solère qui a sollicité ce document », assure de son côté Pierre-Olivier Sur, l’avocat du député. Il précise même que son client a d’abord pensé avoir reçu une nouvelle coupure de presse sur son affaire. Si M. Solère risque d’être mis en cause pour le recel de la violation du secret professionnel, il n’a pas encore été convoqué, indique son conseil. Ce ne sera de toute façon pas devant la CJR qui n’est compétente que pour les ministres mais qui l’a tout de même entendu. M. Solère n’a pas non plus été entendu, pour l’instant, dans le cadre de l’enquête préliminaire principale conduite à Nanterre.

Soupçons de connivence

La procédure devant la Cour de justice de la République passe nécessairement par l’instruction dès lors que la commission des requêtes a jugé cet hiver que la saisine de la CJR était justifiée. « Vu la relative simplicité du dossier, une procédure plus rapide du type avec un renvoi devant la formation de jugement sans information judiciaire préalable aurait été privilégiée en droit commun », explique un proche du dossier. La commission de l’instruction de la CJR, exclusivement composée de magistrats de la Cour de cassation, pourrait boucler en quelques mois ce dossier qui serait alors jugé avant que la réforme constitutionnelle prévoyant la suppression de la CJR ne soit votée par le Parlement réuni en Congrès (Assemblée nationale et Sénat).

L’affaire Urvoas, avec l’affaire autrement plus complexe du financement de la campagne d’Edoudard Balladur de 1995 en lien avec l’affaire Karachi, sont les deux seuls dossiers aujourd’hui pendants devant cette juridiction d’exception qu’Emmanuel Macron s’était engagé, lors de sa campagne présidentielle, à supprimer.

Derrière l’affaire Urvoas, c’est toute l’institution judiciaire qui est déstabilisée, renforçant les soupçons de connivence entre la justice et le pouvoir politique. Le débat sur la remontée des informations sur les enquêtes sensibles à la chancellerie devrait rebondir.

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LE MONDE |  • Mis à jour le  |Par Jean-Baptiste Jacquin et Simon Piel

 

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Rosa SAHSAN

Et ils veulent donner des leçons au monde entier? Ce pays de prétentieux et d’arrogants.
ROSA

Jg

Ils sont nombreux comme lui dans ce pays contamine par la corruption !