Les mille et une nuits saoudiennes en Syrie ©

Au cours de ces tous derniers jours, on a assisté à l’expression insistante de la volonté du Roi d’Arabie Saoudite d’envoyer des forces terrestres en Syrie, à la tête d’une coalition comprenant la Turquie et les Emirats Arabes Unis. Mais pourquoi maintenant? Les intérêts géopolitiques, la religion et l’inversion des tendances dans la guerre, en faveur du régime Assad apportent quelques réponses. Avant même ces effets d’annonce, nous avions consacré un article à la formation de forces spéciales émiraties et au soupçon de leur présence auprès des Forces Démocratiques Syriennes, composées des YPG kurdes et de forces arabes…

Une vidéo récente relatait la présence d’un convoi d’une centaine d’Humvees, près de la ville de Qurayat en Arabie Saoudite, à environ 30 kms du passage frontalier d’al-Hadita entre la Syrie et le royaume de Jordanie. Al-Hadita, qui est le plus vaste passage frontalier du Royaume saoudien, était antérieurement utilisé comme le point de passage fondamental pour les produits transitant à travers l’Arabie Saoudite vers le reste des pays du Golfe, depuis le nord, autant que pour les gens qui faisaient le pèlerinage annuel de l’Hajj vers la Mecque, en venant d’aussi loin que de Turquie, de Syrie et même de Russie. 

On voyait ces Humvees qui se dirigeaient ostensiblement vers la frontière et apparaissaient être de type Oshkosh M-ATV. L’armée saoudienne les utilise actuellement dans le cadre du conflit au Yémen et on pense que le royaume en dispose d’environ 450. 

 

En outre, l’Arabie Saoudite a stationné une escadrille d’avons de combat F-15, sur la base turque d’Incirlik, près de la ville d’Adana. Cette base est également utilisée par les forces aériennes américaines. 

Ce qui apparaît être un renforcement massif des troupes saoudiennes dirigées vers la Jordanie et la Turquie semble appuyer les déclarations saoudiennes disant vouloi « mettre des bottes sur le sol » de Syrie, une décision qui a été reçue comme une déclaration d’hostilité de la part du régime Assad. Bien que les Saoudiens affirment ne vouloir combattre que l’Etat Islamique, le régime a répliqué en disant que toute attaque de quelque groupe que ce soit sur le sol syrien serait considéré comme un acte de guerre et que ces hommes retourneraient dans leur pays dans des « cercueils en bois ».

Les nouveaux faiseurs de rois

Le timing de cette décision saoudienne d’envoyer des forces terrestres en dit beaucoup plus long sur l’état des réalités géopolitiques dans la région et de quelle façon les Saoudiens se perçoivent actuellement au Moyen-Orient. L’Arabie saoudite, avec tous ses armements high-tech sophistiqués, a perdu la face dans son combat contre les Houtis – une milice disparate et faite de bric et de broc, qui s’est emparée du Yémen.

Avec toute leur coalition du Conseil de Coopération du Golfe et une armée de mercenaires d’Amérique du Sud, les Saoudiens se tracent un long et laborieux chemin à travers le pays, et se font même attaqués dans leurs propres villes du sud saoudien de Najran et Jazan.  Cependant, en frappant durement Daesh par des troupes terrestres en Syrie, ils pourraient être en mesure de restaurer une partie de leur fierté et prouver ainsi au monde qu’ils sont bien une force combattante avec laquelle il faut compter.

En même temps, les Russes et les Iraniens – deux peuples non-arabes- sont entrés de plain-pied dans le Moyen-Orient arabe et ils y exercent leur puissance et leur influence d’une manière qui exclut totalement les Saoudiens. La Maison des Saoud ne veulent pas voir ces « étrangers » menacer leur influence dans la région. Le gouvernement saoudien peut penser qu’en dirigeant l’effort sur le sol en Syrie, ils seront capables de s’affirmer politiquement et stratégiquement et de maintenir leur rôle perçu comme la puissance sunnite régionale, si et quand les Russes et les Iraniens s’en iraient. Ce mouvement de troupes en Jordanie et en Turquie peut être simplement une tentative d’attirer les projecteurs sur la puissance de l’armée saoudienne pour être vue du monde en général et montrer aux Russes et aux Iraniens que s’ils veulent avoir de l’influence au Moyen-Orient, la Maison des Saoud doit aussi avoir son siège autour de la table.

 

Un choc des confessions religieuses

Mais peut-être que, plus important que ces considérations géopolitiques, il faut prendre en compte la guerre de plus d’un millénaire entre les deux principales branches de l’islam : les Sunnites et les Chiites. L’Arabie Saoudite se perçoit comme la protectrice de l’islam sunnite, alors que les Iraniens sont la principale puissance chiite dans le monde. Les Sunnites de Syrie font l’objet d’un nettoyage ethnique en Syrie ( plus de 480.000 morts, soit 12% de la population syrienne totale, ont trouvé la mort) et les Saoudiens sont tout-à-fait au courant de l’accélération dans le rythme et le nombre de massacres de leurs coreligionnaires. Ils sont aussi tout-à-fait au courant et envisagent avec crainte le fait que les grandes tendances de cette guerre sont en train d’être renversées en faveur du régime Assad (et, par extension, des Iraniens) et ils comprennent que ne fournir uniquement que des armes et un soutien aérien à leurs frères syriens sunnites ne sera plus suffisant pour réduire les risques que le massacre des sunnites syriens ne deviennent une tragique réalité.

Afin de sauver leurs frères sunnites d’un anéantissement prononcé,les Saoudiens forment une grande coalition sunnite – qui comprend la Turquie et les EAU – avec lesquels se  jeter dans la mêlée. Bien que l’objectif déclaré des Saoudiens soit de vaincre Daesh, ils ont aussi déclaré encore et encore qu’ils ne laisseront pas Assad demeurer seul au pouvoir. Pour les Saoudiens , les Chiites ont bien trop de sang sunnite sur les mains et il semble que l’Arabie Saoudite a bien l’intention de le leur faire payer cher.

Eitan Goldstein

Publié le : 14.02.16, 09:09 / Israel Opinion

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Adaptation : Marc Brzustowski