Dans l’histoire des nations, le président roumain Nicolae Ceaușescu est considéré comme l’un des plus grands dictateurs du XXème siècle. Mais dans celle de l’Etat d’Israël, il restera avant celui qui, il y a un peu plus de 40 ans, a été à l’origine d’un des événements les plus marquants de ce même XXème siècle : la visite historique du président Anouar El Sadate à Jérusalem. Récit de Daniel Haïk

Nous sommes à la fin du mois d’août 1977. Menahem Begin n’a pris officiellement ses fonctions de Premier ministre que deux mois auparavant, le 20 juin.

Résultat de recherche d'images pour "begin en 1977"

Peres With Menachem Begin at an Election Debate in 1977 (Photo David Rubinger)

Et  pour tempérer les accusations de « va-t-en guerre » dont il a immédiatement fait l’objet de la part de la gauche israélienne, il a nommé comme chef de la diplomatie, Moché Dayan, un « travailliste » dont le prestige a été durement écorché par les retombées de la guerre de Kippour.

Begin se rend alors en Roumanie pour une rencontre au sommet avec Nicolae Ceaușescu. La Roumanie est alors le seul pays du bloc de l’Est à entretenir des relations avec l’Etat hébreu. Begin apprend alors de la bouche du dictateur roumain, que le président égyptien Anouar El Sadate s’est déclaré prêt à une rencontre entre délégués israéliens et égyptiens.

Jusque-là, les seules rencontres de ce type avaient un caractère militaire puisqu’elles s’étaient tenues, à la fin de la guerre de Kippour, au fameux kilomètre 101, entre généraux des deux pays ennemis et avaient abouti, en 1974, à un premier retrait territorial des forces israéliennes des rives du Canal de Suez. Begin, qui sait que Golda Meir a déjà eu des contacts indirects avec Sadate via Ceaușescu, prend cette information du leader roumain très au sérieux et lui demande de préciser sa pensée : « Est-ce que le président Sadate est prêt à me rencontrer personnellement ? »

Ceaușescu répond que, pour l’heure, il préfère une rencontre entre délégués de moindre rang, mais il laisse sous-entendre qu’une telle rencontre n’est plus impossible. De retour à Jérusalem, Begin réunit le conseil des ministres le 4 septembre, et l’informe de la teneur de cet entretien. Mais le même jour, Moché Dayan, déguisé et coiffé d’une perruque, se trouve au Maroc pour une rencontre top secrète avec le roi Hassan II.

Le Maroc, comme la Roumanie, a déjà été impliqué dans des tractations entre Israéliens et Egyptiens après la guerre de Kippour, et Itzhak Rabin, alors Premier ministre, a déjà  rencontré secrètement le roi, en octobre 76. Moché Dayan demande à Hassan II de lui organiser une rencontre avec le chef du gouvernement égyptien Hassan Tohami, qui lui aussi s’était entretenu, quelques semaines auparavant, avec le patron du Mossad Itzhak Hofi.

Le 9 septembre, le roi lui donne une réponse positive, et le 16 septembre, la rencontre Tohami – Dayan se tient à Rabat. Les deux hommes débattent des conditions d’un accord israélo-égyptien. Tohami explique à Dayan que Sadate veut récupérer l’intégralité du Sinaï et se considère comme un « soldat » dont la terre a été conquise.

Tohami affirme que Sadate est prêt à faire confiance à Begin, et il lui dit que, si le Premier ministre israélien lui garantit oralement un retour du Sinaï à l’Egypte, alors il n’aura pas d’autres revendications. Les documents top secret des protocoles révélés en 2012, ne permettent pas d’affirmer que Begin et Dayan aient pris l’engagement solennel d’un retrait israélien de tout le Sinaï avant même la visite de Sadate à Jérusalem, mais historiquement, il est convenu d’affirmer qu’il y a eu un engagement tacite sur ce point.

Fin octobre, Anouar el Sadate se rend lui aussi à Bucarest pour y rencontrer Ceaușescu. Le dictateur roumain lui confie ses impressions très positives sur Begin. Selon l’ancien chef de la diplomatie égyptienne Ismaïl Fahmi, c’est après cette rencontre avec Ceaușescu que Sadate aurait, pour la première fois, envisagé de se rendre à la Knesset à Jérusalem.

Fahmi lui-même s’oppose, d’emblée, à l’initiative de rapprochement de Sadate, et il démissionnera à la veille de la visite historique dans la capitale israélienne. A partir de cette rencontre avec Ceaușescu, Sadate va précipiter les choses dans un objectif : devancer la réunion de la Ligue arabe, qui risque de l’empêcher de mener à bien son plan visant à se rendre à Jérusalem.

Le 4 novembre 1977, Sadate annonce son intention d’organiser une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU dans la partie est de Jérusalem, en présence  de responsables israéliens et de Yasser Arafat, et ce, dans le cadre de la conférence de Genève. Mais les Américains, qui sont plongés dans les préparatifs de la Conférence, ne prennent pas cette proposition au sérieux.

Sadate effectue alors un détour par Téhéran où il rencontre le Shah d’Iran, qui, on le sait, entretient d’étroites relations avec l’Etat hébreu. Reza Phalavi l’encourage à aller sur la voie d’une visite à Jérusalem. Enfin, avant de rentrer au Caire, Sadate se rend également en Arabie Saoudite.

A ce moment, les Américains ne sont pas encore pleinement impliqués. Mais Henri Kissinger, le mythique chef de la diplomatie américaine qui a cédé sa place à Cyrus Vance après la démission de Nixon, obtient des bribes d’informations sur des contacts secrets entre Israéliens et Egyptiens, via… là encore, Ceaușescu. Il n’a alors qu’une appréhension : que le despote roumain n’informe les Soviétiques de la tenue de ces tractations…

C’est le 9 novembre, de retour au Caire, qu’Anouar El Sadate prononce le discours qui va ébranler le Proche-Orient : en présence de Yasser Arafat, le président égyptien détaille devant l’Assemblée du Peuple, les efforts qu’il a entrepris, depuis plusieurs années, pour parvenir à une paix régionale, et il déclare alors : « Je suis prêt à aller jusqu’au bout du monde pour empêcher que l’un de mes soldats ne soit blessé….

Et les Israéliens seront surpris, mais je suis même prêt à aller jusque chez eux, dans leur Knesset, pour discuter avec eux ». Le président américain Carter salue cette déclaration, mais n’y accorde pas une importance démesurée.

C’est le « va-t-en guerre » Menahem Begin, qui va relever le défi de la paix lancé par Sadate. Le 10 novembre, la Présidence du conseil à Jérusalem publie un communiqué dans lequel Begin se dit prêt à accueillir Sadate avec tous les honneurs dus à son rang à Jérusalem, pour débattre de la paix. Par contre, il repousse les propos de Sadate tenus la veille, sur un retrait total du Sinaï et sur les droits des Palestiniens. Begin réitère sa proposition en anglais.

Entre le 11 et le 13 novembre, le gouvernement israélien prend, pour la première fois, conscience que Sadate peut effectivement venir sous peu à Jérusalem. Le 13 novembre, le conseil des ministres débat d’une possible visite de Sadate. Begin propose de lancer une invitation officielle de la tribune de la Knesset.

Paradoxalement, Dayan, qui a pourtant rencontré Tohami, est l’un des plus sceptiques, et il met en garde contre une manœuvre égyptienne. Le souvenir de la guerre de Kippour est encore très vivace…

Deux jours plus tard, le chef d’état major de Tsahal, le général Motta Gour, qui indique l’existence de grandes manœuvres militaires égyptiennes, met en garde contre l’éventualité d’un subterfuge égyptien permettant le déclenchement d’un nouveau conflit. Mais Begin est déterminé à aller de l’avant.

Le 15 novembre, le Premier ministre israélien lance son invitation officielle au président égyptien à venir à Jérusalem, et il envoie l’original de l’invitation aux Américains afin qu’ils la remettent à Sadate. Le même soir, le patron du King David annonce que l’hôtel sera prêt à héberger le président égyptien. Sadate se rend à Damas. Haffez el Assad lui demande de ne pas aller à Jérusalem, mais le raïs égyptien est, lui aussi, déterminé. Il promet toutefois de ne pas signer de paix séparée avec Israël. Une promesse qu’il ne tiendra pas… Ce n’est que le jeudi 17 novembre, que le gouvernement nomme une commission chargée des préparatifs de cette visite historique (voir encadré).

Et ce n’est que dans la journée du Chabbat 19 novembre 1977, que la réponse officielle et positive du président égyptien arrive sur le bureau du Premier ministre israélien ! Le soir même, moins de trois heures après la sortie du Chabbat, le président égyptien Anouar El Sadate apparaît tout sourire à la porte de son avion.

Les trompettes sonnent la sonnerie d’accueil. L’incroyable se produit sous les yeux de millions d’israéliens, de centaines de millions d’arabes et de l’ensemble de l’humanité…

Le reste est inscrit dans le récit de l’Histoire de l’Etat d’Israël.

Neila Ifrah

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

7 Commentaires
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires
David Belhassen

Vous encensez le nazi qu’était Sadate ! Lisez donc l’article que j’ai posté, la preuve vous en sera faite !

Marc

On l’a lu et on connait le passé de Sadate, mais c’est l’avenir de ce qu’il a tracé qui nous intéresse. Les prophètes fous du retour en arrière, du passéisme à tous crins, ça nous gave

DANY83270

Que reste-t-il aujourd’hui de la venue de Sadate à Jérusalem ?

1° le souvenir d’un homme d’Etat courageux qui n’a pas hésité à sacrifier son orgueil d’Arabe dans l’intérêt de son pays pour récupérer la péninsule du Sinaï des mains d’Israël.

2° l’assassinat odieux de cet homme de bonne volonté parce qu’il avait choisi la voie de la paix .

3° l’intelligence de cet homme d’Etat qui avait compris que l’Etat juif était militairement invincible.

cohensyd

Il est évident que l’initiative de Sadate a été un événement heureux qui aurait pu aboutir à un développement économique important dans la région grâce principalement à Israel. mais le peuple arabe dans sa majorité a refusé la cette opportunité. Je dis bien le peuple arabe car la paix se fait avec les peuples et non avec leur dirigeants. Cette haine des juifs et d’Israel est dû non pas pour des questions politiques(soutien aux soit disants palestiniens, pour qui ils n’ont n’en rien à faire) mais bien pour un moyen orient entièrement musulmans.
Israel attendait de la part des occidentaux un soutien ferme et efficace a l’initiative de Sadate, mais hélas, ça n’a pas été le cas, les enjeux bassement matérialistes de tous ces pays qui veulent donner des leçons à Israel me font rire.
Nous aboutissons aujourd’hui non pas à un état de paix avec la Jordanie et l’Egypte mais à un état de non guerre

David Belhassen

Lisez plutôt cet article. Cela vous mettra du plomb dans la cervelle concernant cette « visite historique », qui est surtout une imposture et une offense historique faite à Israël !
https://www.facebook.com/notes/david-belhassen/il-y-a-40-ans-visite-de-sadate-en-isra%C3%ABl-visite-de-paix-avec-letat-disra%C3%ABl-ou-dh/455537708173761/

Marc

C’est toujours le même texte depuis 40 ans? Quoi qu’on en pense sur le ressentiment du passé, à l’heure qu’il est on a un déplacement des conflits vers l’Est depuis ce jour-là : isolement de la « cause palestinienne » ne faisant plus épicentre et consensus du fond de l’Afrique jusqu’en Asie Centrale, -discours de Begin sur la Judée-Samarie veine jugulaire d’Israël et promesse d’annexion du Golan (distinction pays en guerre et en paix)- traitement séparé des questions, d’abord avec l’Egypte puis la Jordanie, maintenant entrée à grands pas dans la boucle du jeune futur roi Mohammed bin Salman,

Enormément de bénéfices géostratégiques, malgré les regrets à courte vue. Il faudrait déjà planter dans le Negev avant de vouloir faire du Sinaï un parc à énergie solaireou à éoliennes… Reste l’affaire de la cogestion de Daesh et du Hamas, frères Musulmans par le Caire et Jérusalem. Ce jour-là, Israël s’est intégré au Moyen-Orient, a cessé d’être une « greffe européenne »… Il faut s’y faire, on n’est plus à Berlin ou Paris. Il a donc fallu faire l’effort de parler à certains de ses ennemis. On peut ajouter la Corne de l’Afrique, le Soudan, demain, etc. dans le contrôle du Golfe d’Oman et de la Mer Rouge : parce que l’Egypte seule, hormis le contrôle de Suez, a quel autre intérêt que la porte de l’Afrique et des mers qui l’entourent?