L’économie française se tiers-mondise

Entretien avec l’économiste Jean-Luc Gréau

La croissance revient mollement, l’économie française crée des emplois mais la balance commerciale reste déficitaire. Pour Jean-Luc Gréau ce tableau tout en nuances de noirs et de gris indique que l’économie française crée des emplois à faible valeur ajoutée.
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Chantier à Mâcon, 2017. Sipa. Numéro de reportage : 00793124_000040.

 

 

 

 

 

 

Causeur. Ces derniers jours, trois chiffres macro-économiques importants ont été officialisés : l’économie française a créé 187 000 emplois en 2016 (sa meilleure performance depuis le début de la crise en 2008), la croissance au premier trimestre 2017 a été de 0,4% et enfin le bilan commercial français pour le mois de janvier 2017 s’est élevé à presque 8 milliards d’euros, un record. Que disent ces chiffres de l’état de l’économie réelle ?

Jean-Luc Gréau. Le chiffre favorable des créations d’emplois est en discordance avec le taux de croissance officiel de 1,1% en 2016. En cela, l’économie française offre une étrange similitude avec l’économie américaine qui, avec une croissance de 1,6%, a créé deux millions et demi d’emplois !

Explication logique : comme les Etats-Unis, nous créons de plus en plus d’emplois à faible productivité tout en supprimant des emplois à forte productivité sur le site national. Ce paradoxe est confirmé par le chiffre négatif de notre commerce extérieur : le bas de gamme ne s’exporte pas ! en revanche, il nous coûte très  cher en termes de protection sociale.

Les chiffres dont nous disposons révèlent une tiers-mondisation rampante de notre économie, subventionnée par des allègements de charge et le CICE, ciblés sur les basses rémunérations. Cette évolution est intenable à long terme.

Pourtant, la Banque de France estime à 0,4% la croissance française au premier trimestre 2017 et constate un rebond de l’activité dans le secteur industriel ainsi que dans les services et le bâtiment. N’est-ce pas la preuve d’une réelle reprise ?

Le rebond de l’activité découle pour l’essentiel de trois facteurs. Premier facteur : la baisse de l’euro situé aujourd’hui un peu au-dessus de 1 dollar après avoir connu une parité de 1,4 dollar, voire plus, des années durant, alors que la zone euro connaissait une situation de marasme. Deuxième facteur : l’importante reprise cyclique du marché de l’automobile en Europe après des années particulièrement difficiles. Cette reprise pourrait se poursuivre encore durant 2017. Mais peut-être pas au-delà. Troisième facteur : les livraisons d’avions qui ont battu de nouveaux records. Mais là encore, l’évolution des commandes laisse présager une stabilisation à partir de l’an prochain.

Il faut insister parallèlement sur la continuité du processus de délocalisation, lié au phénomène que j’ai décrit plus haut : la santé retrouvée du groupe PSA masque le fait que les véhicules de moins de 20000 euros ne sont plus ou ne seront plus assemblés en France et que les équipementiers vont se rapprocher des lignes d’assemblage délocalisées. Les fournisseurs de l’aéronautique signalent eux aussi qu’ils subissent les délocalisations de leurs donneurs d’ordre, non plus seulement sur la fabrication, mais sur le développement, vers la Chine et l’Inde.

Cette « tiers-mondisation rampante » de l’économie française explique-t-elle qu’en dépit de la baisse du prix des matières premières importées et de la faiblesse de l’euro, notre balance commerciale souffre d’un énorme déficit en janvier 2017 ?

En quelque sorte. Le point crucial pour notre économie est son manque de compétitivité vis-à-vis de l’Allemagne : la moitié environ de notre déficit provient de nos échanges bilatéraux avec la RFA. L’euro joue le rôle d’une souricière. Pour retrouver un coût du travail compétitif pour l’économie engagée dans la compétition internationale, il faudrait le réduire massivement à hauteur de 20%, soit les salaires, soit les charges. L’allègement de charge nécessaire peut être estimé à 100 milliards d’euros. Mais alors comment payer la maladie, la famille, la vieillesse ?

Observons encore que les baisses de salaires pratiquées dans des pays comme l’Espagne ou le Portugal ont donné lieu à de violentes récessions. Mais ces politiques opportunistes, apparemment couronnées de succès dans le cas de l’Espagne, ont eu aussi pour effet de contrarier l’activité chez leurs voisins. Cependant, malgré ce succès, l’Espagne, qui produit désormais plus de voitures que la France et l’Italie, subit cependant un taux de chômage proche de 20%%. Il était de 8% avant l’éclatement de la bulle immobilière locale. Le sujet de la sortie de l’euro reste évidemment tabou. Marche ou crève !

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madeleine

J’ai travaillé dans une organisation internationale à Paris. J’évitais le bâtiment où se trouvaient les traducteurs allemands et leur secrétariat. En effet, entendre parler cette langue me provoque un malaise et me glace. Je n’irai jamais visiter des pays comme l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la Lituanie, l’Ukraine, même si on me donne un million. La terre, les arbres, tout était témoin des souffrances du passé.