Le Golem est le premier et le plus célèbre roman de l’écrivain autrichien Gustav Meyrink. Il s’agit d’un roman fantastique, fortement marqué par l’influence de la Kabbale, dont l’action se passe dans le quartier juif de Prague.

Paru en 1915, et depuis traduit, réédité, et porté à l’écran, ce magnifique ouvrage sera à nouveau bientôt réédité en France, grâce à Monsieur Claude Sarfati. Une réédition très attendue (Pour plus de précisions vous pouvez contacter Monsieur Sarfati-La Torah-Oblong-sarfati. /sarfati.claude@orange.fr ou par téléphone : 06 80 42 26 08).

En attendant, nous avons le plaisir de pouvoir découvrir dès à présent l’introduction à cette réédition écrite par Maurice-Ruben HAYOUN.

Ce dernier, passionné, comme à son habitude, maîtrise cet ouvrage qu’il adore. Pour cette raison, sa dense introduction sera publiée ici en plusieurs fois.

En voici la dernière partie (lire les cinq premières ici :  Le Golem, vu par Maurice-Ruben HAYOUN© , Le Golem, vu par Maurice-Ruben HAYOUN (2ème partie)©Le Golem, vu par Maurice-Ruben HAYOUN (3ème partie)© , Le Golem, vu par Maurice-Ruben HAYOUN (4ème partie)© et Le Golem, vu par Maurice-Ruben HAYOUN (5ème partie)©


Le Golem, à l’origine du clonage ?

Les idées les plus révolutionnaires ont parfois des origines très anciennes. La volonté de reproduire un être à l’identique n’est pas d’hier ni d’avant-hier ; elle a effleuré les civilisations les plus reculées dans le temps. Le golem fait partie de ces archétypes que l’on a oubliés depuis.

DRésultat de recherche d'images pour "golem meyrink"errière ce symbole tellurique, c’est, on l’a vu plus haut, tout le mythe de la création qui se profile : l’homme peut-il imiter Dieu ? Peut-on créer un homme autrement qu’en s’unissant à une femme ? N’est-ce pas là la problématique du clonage où l’homme cherche à se reproduire à l’identique en s’affranchissant des lois de la reproduction ?

Le golem, c’est le mythe de la création d’Adam revisité : Adam est à Dieu ce que le Golem est à l’homme, une créature qui est nécessairement imparfaite puisque dépourvue d’âme et de parole.  Enfin, ce mythe du Golem a largement imprégné de manière directe ou indirecte l’ensemble de la culture européenne, et notamment les thèmes du Faust et de l’apprenti-sorcier. Et plus directement encore Gustav Meyrink qui a choisi ce terme pour titre de son ouvrage paru en 1915.

Dans la pensée judéo-chrétienne cette idée du Golem révèle la lutte entre des conceptions contradictoires : l’une, gnostique, véhiculant une certaine rivalité entre Dieu et les hommes, et l’autre subrogeant tous les éléments et la vie elle-même au monothéisme.

Après l’unique occurrence biblique (Psaume 139), on peut signaler que Luther dans sa traduction allemande de ce Psaume, déjà évoquée plus haut, parle aussi de Gebein (ossements) tandis que le dictionnaire hébraïque énonce les différents sens du terme : Golem, comme on l’a vu, signifie, un homme écervelé, un bon à rien, un corps dépourvu d’âme et … une femme sans enfant alors qu’elle est en âge d’enfanter.

Comme on le laissait entendre, le mythe a donné naissance à la légende dans l’imaginaire juif qui a vu dans le Golem une formidable libération de sa faculté fabulatrice : le Golem devint l’instrument de libération des juifs de leurs oppresseurs, une sorte de Messie du ghetto.

C’est seulement à partir des XVII-XVIIIe siècles que l’on rattacha la création du Golem à une personnalité charismatique quasi légendaire, le Maharal de Prague. Pourquoi le Maharal ? Personnalité européenne éminente,  il eut l’insigne honneur de s’entretenir avec l’Empereur Rodolphe II qui était un grand amateur de mysticisme et d’occultisme.

Praha, Mariánské náměstí, Maharal.jpg
Statue du rabbin Löw sur la façade de l’hôtel de ville de Prague

Le Golem est une sorte d’anthropoïde dont on retrouve la trace jusque dans les couches les plus archaïques de la littérature juive : on y enseigne que l’univers a été créé grâce aux vingt-deux lettres de l’alphabet hébraïque et aux dix unités. L’addition de ces deux sommes donne trente-deux, c’est pourquoi cette même tradition parle des trente-deux voies de la sagesse : puisque le substrat de l’univers correspond à ce chiffre, il existe donc une adéquation parfaite entre la réalité de l’univers et son intelligibilité. Il est permis de dire que les lettres de l’alphabet hébraïque constituent bien l’archétype intelligible de l’univers.

Mais quel rapport existe-t-il entre de telles spéculations et la création, réelle ou imaginaire, d’un anthropoïde tel que le Golem ?

Dans leurs spéculations sur la création de l’univers et de l’homme par Dieu, les Sages se demandèrent s’il était possible à l’homme d’en faire autant. C’est-à-dire de modeler une poussière ou une terre vierge, de réciter diverses combinaisons de lettres de l’alphabet et de faire jaillir de cette mixture incantatoire une sorte d’homoncule.  Leur attention fut attirée par un curieux verset de la Genèse (12 ; 5)  qui parle «des âmes  qu’ils (Abraham et Sarah) avaient fait à Haran.»

Les Sages ont voulu trouver dans ce verset de la Genèse l’idée que l’on pouvait réellement «faire des âmes» ; ils se demandèrent si, au fond,  un Sage antique n’était pas parvenu à insuffler la vie dans une motte de terre. Tel fut le noyau des spéculations du début du Moyen Age jusqu’à la Renaissance.

Est-ce que toute la pensée juive, du Moyen Age à la Renaissance, a pris une telle croyance naïve au pied de la lettre ?  Nullement ! La réelle création d’un Golem n’a jamais fait l’unanimité : Moshé Idel l’a montré dans un ouvrage récemment traduit aux éditions du cerf. La tradition populaire a attribué la création du Golem au Maharal de Prague qui vivait au XVIe siècle.

Mais ici, comme ailleurs, l’imaginaire européen n’a pas pu empêcher la légende de prendre le pas sur l’Histoire : que l’on songe aux déclarations de Pic de la Mirandole (aidé de Flavius Mithridates), de Ludivico Lazzarelli, intellectuel italien de la fin du XVe siècle,  de Jean Reuchlin et de Cornelius Agrippa de Nettesheim : tous ces savants vivaient à une époque où la magie et le néo-platonisme avaient ruiné les derniers bastions de l’averroïsme, ouvrant la voie à de telles spéculations sur le Golem.  Il faut signaler, cependant, que les contemporains ou les prédécesseurs juifs de certains de ces kabbalistes chrétiens avaient tout fait pour réduire l’impact de la magie : ils déclarèrent, par exemple,  que l’ordre des lettres fourni  par le Livre de la formation (Sefer yetsira)  avait été gravement troublé , réduisant à néant leur pouvoir créateur.

En réalité, tout se jouera vers le début du XXe siècle, lorsqu’un certain Judel Rosenberg de Varsovie publiera des faux qu’il intitulera Les prodiges du Maharal. On y conte la légende d’une créature à l’apparence humaine qui agissait comme un robot docile, sans toutefois avoir le don de la parole. On peut s’interroger sur le caractère imaginaire d’une telle créature : c’est que le Maharal de Prague n’a, lui-même,  jamais évoqué un tel anthropoïde dans ses écrits.

Peut-on dire qu’un Golem n’a pu germer que dans l’imaginaire profondément traumatisé par des siècles de persécutions sanglantes ?  N’est-ce, au fond, qu’un Ersatz de Messie vengeur qui protégerait les reclus du ghetto ? 

En tout état de cause, c’est pratiquement la seule figure légendaire d’importance que le judaïsme ait transmise à son environnement européen. Elle enflamma l’imagination de tant d’écrivains dont J.W. Goethe lui-même, Jacob Grimm, E.T.A. Hoffmann et A. de Chamisso.

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Comment s’explique un tel engouement ? La figure légendaire du Golem fascinait tout le monde, à commencer par les populations juives d’Europe pour lesquelles cette création d’un homuncule n’était pas vraiment une nouveauté. L’imaginaire européen ne fut pas épargné par un tel engouement : c’est probablement de là que dérive le thème de l’apprenti-sorcier (Zauberlehrling)  qui perd le contrôle de sa créature. Nous sommes peut-être aussi en présence de l’archétype du personnage de Faust, cet homme qui voulut, comme Icare,  repousser les frontières de la puissance humaine, conserver une éternelle jouvence et percer au jour les mystères de l’existence.

Ce mythe du Golem a peut-être été, sans le savoir, l’ancêtre du clonage. Et son insertion profonde dans la culture européenne fut la conséquence de ce beau roman de Gustav Meyrink.

Maurice-Ruben HAYOUN

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Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève

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3 Commentaires
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Danielle

Déjà on ne peut pas refaire l’Homme, vous voulez que l’on pense à faire des âmes ?

djian

Bravo☺

G layani

Je pense aussi que les cinéastes se sont inspirés du Golem pour
frankenstein
Qu en pensez vous
J aimerais bien si possible avoir votre avis
Guy layani