Le Golem est le premier et le plus célèbre roman de l’écrivain autrichien Gustav Meyrink. Il s’agit d’un roman fantastique, fortement marqué par l’influence de la Kabbale, dont l’action se passe dans le quartier juif de Prague.

Paru en 1915, et depuis traduit, réédité, et porté à l’écran, ce magnifique ouvrage sera à nouveau bientôt réédité en France, grâce à Monsieur Claude Sarfati. Une réédition très attendue (Pour plus de précisions vous pouvez contacter Monsieur Sarfati-La Torah-Oblong-sarfati. /sarfati.claude@orange.fr ou par téléphone : 06 80 42 26 08).

En attendant, nous avons le plaisir de pouvoir découvrir dès à présent l’introduction à cette réédition écrite par Maurice-Ruben HAYOUN.

Ce dernier, passionné, comme à son habitude, maîtrise cet ouvrage qu’il adore. Pour cette raison, sa dense introduction sera publiée ici en plusieurs fois.

En voici la cinquième partie (lire les quatre premières ici :  Le Golem, vu par Maurice-Ruben HAYOUN© , Le Golem, vu par Maurice-Ruben HAYOUN (2ème partie)©Le Golem, vu par Maurice-Ruben HAYOUN (3ème partie)© et Le Golem, vu par Maurice-Ruben HAYOUN (4ème partie)©


La personnalité divine

Résultat de recherche d'images pour "golem meyrink"Concernant la personnalité divine, voici un autre thème que les mystiques –et, partant, Oetinger lui-même- n’ont pas manqué d’évoquer en dépit de son extrême difficulté. Tous les documents révélés parlent du Dieu vivant (Elohim hayyim). Mais  comment concilier l’attribut de vie, synonyme de changements, avec celui d’éternité, donc d’immutabilité’? Quand on sait que le dogme de l’immutabilité divine est la principale pomme de discorde entre philosophes aristotélicien et kabbalistes, on comprend aisément que l’aspect vivant implique le changement…

Cela pose un autre problème qui explique la rupture entre les maimonidiens et les kabbalistes : si la volonté divine est éternelle –et elle doit l’être si l’on veut préserver la transcendance de l’essence divine- à quoi  servirait la prière qui demande à Dieu d’agir sur le coup, de changer le cours des choses, par exemple de guérir les maladies graves, de sauver ceux qui vont mourir , bref de conjurer le sort ? A quoi servirait la prière si l’essence divine et donc sa volonté étaient immuables ? Le Dieu immuable, commente Pierre Deghaye, c’est Dieu en soi alors que le Dieu révélé de la théologie  nous est décrit en devenir, in fieri, suivant les modes successifs qu’il revêt pour se communiquer aux hommes(36). Ce serait donc à lui que s’adresseraient les prières. Contrairement aux philosophes juifs, sectateurs d’Averroès qui n’accordèrent qu’une  place modeste à la liturgie (37), les kabbalistes rédigèrent d’innombrables ouvrages consacrées à la mystique de la prière(38).

La mystique juive donne deux noms étranges à deux aspects différents de la divinité. On retrouve ces deux désignations divines chez Oetinger : la grande face, arikh anpin, qu’il conviendrait de traduire par le Longanime, et la petite face, ze’ir anpin que l’on rendrait correctement par Celui qui a le souffle court.  La première entité couvre les trois sefirot supérieures, réputées incognoscibles et la seconde, les sept restantes. Mais les kabbalistes chrétiens ne purent résister à la tentation de voir dans la première triade une préfiguration de la sainte Trinité.

Dans son ouvrage hébraïque intitulé Les doctrines du Zohar (Mishnat ha-Zohar) Yeshaya Tishby donne une très intéressante définition du monde séfirotique : les sefirot sont l’archétype divin d’un monde qui ne l’est déjà plus…(39)

Nous n’allons pas nous poser ici la question de savoir si ces sefirot sont l’essence de la divinité ou tout simplement les organes par lesquels elle manifeste son action au sein de l’univers. Nous allons plutôt voir succinctement le rôle joué par la notion lourianique de tsimtsoum dans la philosophie sacrée d’Oetinger qui, on se le rappelle, avait de bonnes connaissances des grands thèmes de la kabbale de Safed.

Cette notion d’auto-contraction de Dieu (Scholem intitula son étude sur ce sujet Die Selbstverschränkung Gottes) n’est que le développement kabbalistique d’une notion  déjà connue de l’ancienne littérature midrachique, notamment les Pirké de-Rabbi Eliézer. On y lit qu’avant la création de l’univers, il n’existait que Dieu et son Nom…L’idée sous-jacente était que la production ou l’émanation de l’univers extradivin avait pour origine le divin lui-même. On croit généralement que cette notion mystique de tsimtsoum divin est due à Louria (1534-1572), alors, qu’en réalité, c’est Moshé Cordovéro (1522-1570)  son contemporain plus âgé, qui en fit état le premier..(40) Ces deux grands maîtres de la mystique juive du XVIe siècle à Safed cherchaient à dépasser l’aporie philosophique de la création ex nihilo.

Ils s’appuyèrent donc sur ce texte des Pirké de-Rabbi Eliézer dont l’implication est claire : rien n’existait à part Dieu et son Nom, donc du divin intégralement. Pour laisser une place au monde en passe d’être créé, il fallait que la divinité évacue en quelque sorte un espace primordial où le monde créé prendrait place. Ce monde commence par être celui des dix sefirot et aboutit à l’univers matériel des hommes. Les kabbalistes réglaient donc, à leur façon, l’épineuse question de l’Un et du multiple. Alors que Maimonide et ses commentateurs butaient sur l’insoluble problème de l’origine du monde, les questions de temps et d’espace de la physique aristotélicienne, les kabbalistes recouraient à la notion de néant mystique, enfoui au sein même de la divinité, pour expliquer la procession de l’univers. Mais si la notion de tsimtsoum a vraiment un sens, c’est au sein même de la divinité, même si elle se rétracte, que l’univers trouve sa place. Partant, le tsimtsoum assigne au monde une place à l’intérieur de Dieu lui-même.  Comment et pourquoi la volonté divine décide une tel retrait en soi-même, nul ne le sait. Mais pour Oetinger c’est le désir divin de se révéler aux créatures qui explique cette auto-contraction, expression suprême d’une volonté absolument libre.

Pourtant, dans cet espace ainsi libéré, le Dieu inconnu, En-Sof va  permettre les émanations de dix puissances ou forces ou esprits, les sefirot, qui sans porter atteinte à son unité essentielle le doteront d’une unité dynamique laissant apparaître plusieurs facettes de son être. Ainsi se  trouve conciliés l’immutabilité et la personnalité vivante de la divinité : à travers les sefirot qui se succèdent, l’homme fait la connaissance de la pluralité divine sans que cela ne porte atteinte à son unité. Unité dynamique et immutabilité de l’essence divine semblent s’accorder. Mais les kabbalistes ont fait preuve d’une incroyable hardiesse puisque, si l’on pousse leur raisonnement jusqu’au bout, c’est le tsimtsoum qui crée le néant d’où ils font procéder l’univers tout entier.  On comprend mieux, à présent, pourquoi une telle doctrine a pu séduire des mystiques d’autres religions.

Mais si les ingrédients de cette philosophie sacrée d’Oetinger sont empruntés au mysticisme juif du XVIe siècle, son aboutissement et ses conclusions sont intégralement dévoués à la gloire du Christ. Lorsque la procession des sefirot parvient à son terme et que l’avant-dernière sefira yesod, le fondement, est bien à sa place, un processus de restauration de l’harmonie cosmique, mise à mal par l’irruption du mal, commence. Jusqu’ici, on retrouve l’idéologie lourianique qui plaçait cette restauration de l’équilibre au terme d’un cycle ternaire. Sauf que Oetinger accorde au sang de Jésus une vertu régénératrice universelle. Comme l’écrit Pierre Deghaye, le sang de la blessure de Jésus guérit une blessure bien plus profonde, celle subie par la divinité elle-même au cours de son auto-contraction…(41)

Et dans ce cas, Oetinger suit Böhme et sa christosophie bien plus que les enseignements de la kabbale lourianique.  Mais est-ce vraiment étonnant ? En cultivant la kabbale dont ils pensaient qu’elle préfigurait les grandes doctrines christologiques, les  théosophes et théologiens chrétiens du Moyen Age et de l’époque moderne poursuivaient des objectifs bien précis.

Et ceci nous conduit au terme d’une longue enquête sur les sources mystiques ayant permis à Gustav Meyrink de composer son livre sur Le Golem en 1915. Tirons en les enseignements et essayons de voir ce que cette publication représentait et représente encore pour l’homme et la culture de l’Europe.

Maurice-Ruben HAYOUN

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Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève

 

(36) Pierre Deghaye (op. cit.) p 135.
(37)Cf. Maurice-Ruben Hayoun, La liturgie juive. Paris, PUF, Que sais-je ? 1996.
(38) Il y a évidemment le commentaire d’Azriel sur les prières quotidiennes, mias vers la fin de la kabbale espagnole, l’œuvre du kabbaliste Méir ben Ezéchiel ibn Gabbay qui accordait à la prière une place éminente (tsorékh gavo’ah)
(39)  Déjà cité in Maurice-R. Hayoun, Le Zohar, p 182s
(40) Sack, Bracha, The Kabbalah of Rabbi Moshe Cordovero [bi-she’arey ha-kabbalah shel rabbi Moshe Cordovero]. Mossad Bialik, Jérusalem, 1995
(41) Cf. Pierre Deghaye (déjà cité) p  157.

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