Le Consistoire, morne plaine où rien ne bouge…

Regard d’un rabbin Massorti sur les élections consistoriales

Dimanche dernier (26/11/2017) ont eu lieu les élections au sein du Consistoire de Paris (et région parisienne). Sans surprise, la liste du système actuel en place, « Osons le judaïsme » avec Joël Mergui, l’a emporté très largement avec 12 sièges sur 13.

Je connais bien des gens déçus par ces résultats. On aurait souhaité un système moins sclérosé, moins fermé, une plus grande victoire des listes d’ouverture. On critique le nombre de votants : 3713 sur un potentiel de près de 40.000… Un vote assez proche d’une organisation opaque et bien peu représentative de la pluralité juive.

Tout d’abord, si les gens inscrits ne vont pas voter, je ne suis pas certain que cela relève de la responsabilité de l’équipe de Joël Mergui. Je ne suis pas certain non plus d’ailleurs que si nous organisions au sein de notre mouvement Massorti des élections analogues, elles auraient proportionnellement plus de succès. Cela montre tout simplement que l’immense majorité des Juifs d’Ile-de-France (soit à peu près 300 000 personnes) se fiche totalement de l’institution consistoriale dont ils ne font pas partie et n’ont pas envie de faire partie. C’est mon cas par exemple. Cela montre aussi que l’immense majorité des Juifs qui cotisent au Consistoire et donc se reconnaissent dans cette institution, sont indifférents dans le fond à ses orientations religieuses et politiques. Ces élections n’intéressent tout simplement pas tous ces cotisants du Consistoire qui paient leur cotisation comme on paie une obole (j’en connais, une fois encore, un certain nombre). Cela montre enfin que le système est bien noyauté par la tendance Joël Mergui et le sera encore longtemps (mais on le savait déjà).

Au regard de ces faits, je pense que nous sommes face à un non événement. Ces élections n’ont simplement aucun intérêt, elles ne mobilisent personne et 90 % des juifs se fichent pas mal de cette institution et de ses orientations, sinon ils réagiraient.

J’avoue avoir le même sentiment. Je n’attends strictement rien du Consistoire. Je n’ai pas besoin de lui dans ma vie quotidienne. Y compris pour la kashrout qui pourrait très bien fonctionner autrement. J’achète des produits estampillés Beit Din de Paris, mais j’achète également d’autres produits sous d’autres surveillances. Je sais qu’une partie de l’argent payé va au Consistoire, cela ne me dérange pas, c’est ma petite contribution à la survie de cette vieille dame. Pour la prière quotidienne, je fréquente parfois un Minyan orthodoxe qui n’est pas consistorial et je donne un peu d’argent à cette petite synagogue pour qu’elle se maintienne. Le shabbat, je vais dans ma synagogue Massorti qui n’est pas consistoriale. Comme l’immense majorité des Juifs en France, je n’ai pas eu besoin du Consistoire, ni pour une circoncision et je n’en aurai pas besoin, je l’espère, pour un enterrement car il existe diverses alternatives. Il est vrai que je me suis marié sous l’égide d’un Grand rabbin consistorial (le regretté Max Warschawski), mais c’était un homme aux antipodes de ce qu’est devenu le consistoire depuis, même si quelques rabbins consistoriaux restent courageusement dans cette lignée des plus estimable, mais complètement étouffée au sein du Consistoire actuel.

J’ai scolarisé mes enfants à l’école juive et le Consistoire n’a rien eu à faire là dedans. Mais au regard du prix exorbitant et du niveau très bas de l’enseignement juif prodigué, je les ai retirés pour les mettre à l’école publique. Là encore, le Consistoire n’a eu aucun rôle, mais une autre institution qui fonctionne mal : l’Alliance israélite et sa politique scolaire sur laquelle il y aurait beaucoup à redire. La seule école qui m’aurait convenu, mais trop loin et jusqu’à présent dépourvue de classes de collège ou Lycée, c’est l’Ecole Juive Moderne qui n’a rien de consistorial, puisqu’elle a été fondée par nos soins (rattachée sur le tard à l’Alliance, ce qui laisse quelques espoirs pour la remontée des autres écoles de ce réseau en matière de judaïsme).

Cela fait bien longtemps que je n’ai pas lu un livre intéressant écrit par un rabbin consistorial ou un quelconque ouvrage émanant de cette glorieuse institution (dans le passé, il y a eu quelques bons ouvrages et traductions). Il en est de même pour les conférences.

Et pourtant, je suis un Juif ultra impliqué, « un Juif professionnel » qui n’a que très peu de temps pour autre chose que le judaïsme…

Tout cela pour dire que le judaïsme qui me convient se passe ailleurs qu’au Consistoire et ne dépend nullement de lui.

Je me fiche totalement, en tant que rabbin, d’être reconnu ou pas par le Consistoire. L’opinion du Grand Rabbin de France ne m’intéresse pas beaucoup. Les orientations des synagogues consistoriales regardent le public qui a envie de les fréquenter. Je fais partie de l’immense majorité qui ne s’y reconnaît pas, ou avec grande modération.

Je pense donc que ces élections n’ont pas grand enjeu. Le système mis en place par Joël Mergui continuera probablement son bonhomme de chemin pendant des décennies. Je pense que le pouvoir de nuisance de la fermeture actuelle n’a d’influence que sur les personnes qui veulent bien la subir, les autres n’ont qu’à relever la tête pour respirer.

Je crois profondément à la pluralité du judaïsme et à l’effet positif de la concurrence. Je suis démocrate, partisan d’une économie libérale et sociale, méfiant des partis uniques et des institutions sclérosées… Je ne vois pas pour pourquoi les valeurs qui forgent mes opinions politiques à la ville n’auraient pas d’influence sur mes opinions au sein du judaïsme. Je suis un Juif ouvert, féministe, critique, pluraliste… bien loin du Consistoire donc.

J’ai bien conscience que le Consistoire représente officiellement les Juifs pratiquants dont je suis. Mais dans une France laïque, cette représentation n’a qu’un enjeu très limité et les pouvoirs publics ne sont pas dupes sur le système consistorial. Donc, là encore, cela me laisse un peu indifférent que des représentants élus par 1 % des Juifs viennent faire de la figuration sur le perron de l’Elysée. « Sei gesundt », comme on dit en yiddish.

Je ne vis pas mon judaïsme dans le regard des pouvoirs publics, pas plus que je ne le vis dans le regard des rabbins ultra-orthodoxes qui ont noyauté le Consistoire. « Je vis parmi mon peuple » pour reprendre une expression biblique, mais je ne vis pas parmi une institution qui me semble aujourd’hui presque inutile. Le judaïsme existe depuis 4000 ans, le Consistoire depuis 200 ans. S’il était efficace, ouvert à la pluralité juive actuelle et représentait un lieu de réflexion pour l’avenir du judaïsme en France, j’en deviendrais immédiatement un militant. Je pense que c’est tout simplement un club assez restreint de gens en lesquels je ne me reconnais guère : soit des Juifs assez bornés, figés dans un ritualisme étroit ou dans des idées toutes faites sur ce que peut ou ne peut pas être la tradition juive ; soit des Juifs institutionnels, prisonniers de la synagogue de leur grand-père, donc tournés vers le passé, ou pris au piège de la survie d’une institution dont la reconnaissance leur est essentielle pour se sentir juifs. Personnellement, je m’intéresse à un judaïsme qui regarde vers l’avenir, un judaïsme de réflexion, de défis et de spiritualité. Le banc de la synagogue bourgeoise de mes ancêtres ne m’intéresse pas. La carte d’un parti qui ne me propose rien comme pensée profonde, ni comme valeurs éthiques, ni comme ouverture sur le monde, ne m’intéresse pas non plus. Le niveau de la communauté juive basique, obsédée par la longueur de la barbe et la largeur du chapeau, acceptant des discours lénifiants de rabbins mal formés, ne me convient pas.

Je n’ai donc aucune raison de m’émouvoir de la sclérose de l’institution consistoriale qui, à mon avis, est le reflet fidèle d’une partie de notre communauté. La seule chose que je puisse faire est de proposer des alternatives pour les gens qui en ont besoin. Ce que je fais au quotidien, et invite à faire tous ceux pour qui le judaïsme reste un enjeu sérieux dans leur vie, quelque en soit le cadre.

Yeshaya Dalsace


Editeur : DorVador
http://www.dorvador.org

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2 Commentaires
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Danielle

Ce qui n’est pas acceptable c’est que Joel Mergui ne veut pas partager son trône !
Les anciens tiennent la barre et ne la lâcheront pas.
Il n’y aura donc aucun renouveau au Consistoire si les jeunes ne font pas leur entrée.
Même la Marianne a changé de visage !

Adam

Cela ressemble à l’orchestre qui continue de jouer sur le pont du Titanic alors que le bateau coule, à l différence prêt que tous les passagers semblent avoir quitté le navire pour suivre chacun son propre radeau.
Et pourtant on en a besoin du Consistoire. Face à la multiplication des labels de cacherout, il en faut au moins une en laquelle avoir 100% confiance. De même, le Consistoire assure cette noble tâche qu’est la Hevra Kadicha et la bataille avec les communes pour disposer de carrés juifs dans les cimetières. On pourrait aussi parler des nombreuses petites synagogues qui sans le Consistoire n’auraient pas les moyens d’exister.
Sentiment paradoxal donc vis à vis d’une institution qui n’intéresse plus personne mais dont personne n’a d’intérêt à ce qu’elle s’effondre ou pire disparaisse.
Oui, il faut une refonte en profondeur de l’institution car le désintérêt des premiers concernés est mortel. Mais tout le monde n’a pas le talent, la possibilité ou l’envie de relever le défi, de la même manière que tous les citoyens ne peuvent être candidat à la députation et encore moins à l’Elysée.
Que ceux qui se sentent cette vocation n’hésitent pas à s’engager.