Chaos aux frontières : la dissuasion d’Israël s’érode

Analyse: Le gouvernement israélien et la politique suivie par Tsahal contre le Hamas à Gaza débouchent sur une impasse, le retranchement iranien en Syrie est perturbé mais pas stoppé, et il reste très peu de la dissuasion d’Israël. Les événements de la semaine dernière nous rappellent qu’Israël devra bientôt prendre des décisions spectaculaires sur les deux fronts. Pendant ce temps, les actions menées le sont à perte.

La stratégie de dissuasion et de confinement de Tsahal orchestrée par le gouvernement débouche sur une impasse. Au sud, à la frontière de Gaza, Israël n’a pas réussi à stabiliser la situation de calme précaire et à donner aux habitants du Néguev occidental un sentiment de sécurité, qui s’est effondré depuis près de quatre mois – en fait, depuis le 30 mars, jour où les manifestations contre la barrière frontalière ont commencé. Dans le nord, Israël est incapable de stopper l’enracinement militaire iranien en Syrie, il se contente de le ralentir.

Les Iraniens et leurs supplétifs – malgré les coups qu’ils subissent plusieurs fois par semaine – poursuivent leurs efforts pour faire de la Syrie un front actif distinct contre Israël, à partir duquel seront lancés des missiles sol-sol et sol-mer précis et où des systèmes anti-aériens seront stationnés.

Tout cela réduira la liberté de manœuvre de l’armée de l’air et rendra plus difficile pour Israël la parade contre les milliers de missiles et de roquettes que le Hezbollah a accumulés au Liban, et que les Iraniens accumulent progressivement en Syrie. Le dialogue diplomatique intense qu’Israël entretient avec les Russes et le «dialogue cinétique» (l’échange de tirs) avec l’armée syrienne ne constituent qu’une solution partielle et n’empêchent pas les débordements de tirs récurrents.

Le chef des FDI Eisenkot et le Premier ministre Netanyahu (Photo: Alex Kolomoisky)

Le chef de Tsahal Eisenkot et le Premier ministre Netanyahu (Photo: Alex Kolomoisky)

Le jet syrien Sukhoi-22 qui a été abattu cette semaine par l’armée de l’air décourage le régime du président syrien Bashar Assad, mais pas les Iraniens. Les événements qui ont suivi les 24 heures suivantes – les tirs de roquettes syriennes qui ont atterri dans le Kinneret et les tirs de snipers palestiniens qui ont blessé un officier de Givati à la frontière de Gaza – illustrent bien la gravité du problème, qu’ont peut définir par un mot : Chaos. Les choses sont devenues incontrôlables.

Ceux qui ont tiré et frappé l’officier de Tsahal à la frontière de Gaza étaient probablement membres de ce que l’armée appelle un groupe palestinien «errant» (hors contrôle du Hamas ou issu de sa branche armée radicale). Normalement, cela signifie que des organisations extrémistes djihadistes-salafistes tentent de saper la domination du Hamas dans la bande. Mais cette fois, il y a des raisons de croire que, tout comme vendredi dernier – quand le sergent d’état – major. Aviv Levi a été tué par balle – c’était un membre d’une faction plus extrémiste, mais appartenant bien à la branche militaire du Hamas, qui s’est imposé de nouvelles règles à lui-même et à ses comparses.

L'officier de Tsahal blessé par un tireur d'élite cette semaine (Photo: Haim Horenstein)

L’officier de Tsahal blessé par un tireur d’élite cette semaine (Photo: Haim Horenstein)

Ce qu’il faut bien noter, c’est que tant les salafistes marginalisés que les extrémistes tapis au sein des rangs du Hamas tentent, en utilisant les attaques à la frontière, d’entraîner Tsahal dans un nouveau round de combats à grande échelle dans la bande de Gaza. Les salafistes espèrent que cela mettra un terme définitif à la domination du Hamas, tandis que les extrémistes du Hamas pensent que si les troupes de Tsahal entrent dans la bande, ils pourront provoquer de grandes pertes à Israël et kidnapper des soldats pour libérer des prisonniers.

Cela doit avoir été le but de l’attaque, qui a commencé par des enfants envoyés pour protester contre la barrière frontalière. Lorsqu’une unité de Tsahal s’est présentée, à découvert et exposée, pour les disperser, le tireur d’élite, qui était prêt à proximité, a ouvert le feu sur les troupes. L’armée israélienne devra réexaminer ses méthodes d’opération sur la barrière frontalière et veiller à ce que ses soldats effectuent leurs missions à l’abri derrière une bonne couverture.

Mais cela ne résoudra pas le problème. Il n’y a pas de calme dans le sud parce que le Hamas ne s’intéresse pas à l’idée de ramener le calme avant d’avoir atteint ses objectifs et ceci sans avoir à faire de concessions significatives. Le Hamas veut de l’argent de l’Autorité Palestinienne, de l’électricité et de l’eau en provenance d’Israël, et un passage de Rafah ouvert depuis l’Egypte. Cela fait partie des demandes qu’il fait.

Israël est prêt à fournir une aide humanitaire au Hamas à condition qu’il arrête le terrorisme criminel, et même à réhabiliter la bande si elle rend les corps des soldats de l’Opération Bordure Protectrice et des deux civils israéliens qu’elle détient. Mais le Hamas ne veut pas, c’est pourquoi il permet aux factions salafistes « errantes » de fonctionner à une échelle réduite, tout en faisant opérer des escouades de lanceurs de cerfs-volants et de ballons incendiaires. De cette façon, il maintient les tensions le long de la frontière tout autant que le besoin qu’Israël, l’Egypte et l’ONU doivent répondre à ses exigences.

La partie de billard au Moyen-Orient

Le système de la carotte économique et du bâton militaire qu’Israël utilise sur le Hamas a récemment fait faillite, comme les résidents du Néguev occidental peuvent en témoigner tandis que les sirènes d’alerte à la roquette du Code rouge les envoient aux abris presque tous les soirs. Les frappes de représailles de Tsahal, même si elles ont beaucoup porté atteinte au Hamas, non seulement ne parviennent pas à faire en sorte que le groupe terroriste arrête le harcèlement par voie de ballons incendiaires, mais elles n’empêchent pas non plus le Hamas de poursuivre les tirs de roquettes et de snipers, que ce soit directement sosu les ordres des Dirigeants de Gaza ou par le biais des factions errantes.

L’interruption de la circulation des camions à travers le passage de Kerem Shalom est aussi utile que de poser un seau à lait sous un taureau ; et les Egyptiens ne peuvent pas non plus influencer le Hamas, et encore moins l’arrêter. Les efforts égyptiens et de l’envoyé de l’ONU Mladenov pour parvenir au calme échouent encore et encore. Il est temps que nous nous rendions compte que nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu’ils restaurent le calme. Chaque fois que Tsahal porte un coup à l’infrastructure militaire du Hamas, les Hamasniks se précipitent vers la hiérarchie des services de renseignement égyptiens et vers Mladenov, qui retiennent le bras armé Israël pour eux. C’est l’effet contraire qui se produit : les médiateurs sont incapables de mettre fin aux attaques hostiles des Gazaouis, ils ne peuvent que restreindre la réponse israélienne au moment même où elle commence à toucher le Hamas et à lui nuire. On se rend compte à quel point cet arrangement est-il commode pour une organisation qui essaie de maintenir les flammes à un niveau faible pour atteindre ses objectifs politiques et économiques.

Le chef du Hamas Haniyeh à la frontière de Gaza (Photo: EPA)

Le chef du Hamas Haniyeh à la frontière de Gaza (Photo: EPA)

Ce stratagème fonctionne non seulement dans le sud, mais aussi dans le nord. L’armée Khalid ibn al-Walid – qui appartient à Daesh et contrôle l’enclave où se rejoignent les frontières de la Jordanie, de la Syrie et d’Israël – est actuellement l’objet d’une attaque massive menée par l’armée Assad et les milices chiites. L’etat Islamique en Syrie se rend compte qu’il est sur le point de perdre son fief, face à l’armée du régime, comme cela a été le cas à Daraa et Quneitra, et il a donc adopté, cette semaine, une mesure que nous connaissons bien sur la scène Gazaouite, il a lancé des roquettes Grad vers le Kinneret, pensant qu’Israël répondrait en tirant sur l’armée du régime, qui attaque le groupe État islamique. Les hommes de Daesh, sur la zone des trois frontières, espéraient que la riposte israélienne à leurs propres tirs de roquettes, arrêterait net les hommes d’Assad. Une imitation parfaite de ce que les groupes salafistes errants à Gaza essayent de faire. Mais contrairement à ce qui se passe à Gaza, il y a quelques cibles de Daesh sur les listes de l’IAF et du Corps d’Artillerie ; C’est pourquoi des avions israéliens ont attaqué le lanceur mobile BM21 qui a tiré sur les roquettes Grad sur Israël.

Tout comme dans une partei de billard – je frappe la balle israélienne pour qu’elle frappe à son tour la balle du régime syrien, qui est sur le point de me frapper.

À la recherche de shells à l'aide de roquettes ISIS dans le Kinneret (Photo: Avihu Shapira)

À la recherche des shrapnels de roquettes de Daesh dans le Kinneret (Photo: Avihu Shapira)

S’il n’y avait pas eu ces opérations qui se déroulent effectivement, la situation dans le nord aurait pu être bien pire. Tsahal parvient à perturber et à ralentir l’enracinement iranien, les violations de la souveraineté d’Israël sont limitées et n’incluent pas d’attaques terroristes à la frontière. Israël réussit aussi à intéresser les Russes à un dialogue direct avec nous.

Et pourtant, tout cela fait partie d’une réalité chaotique, qui contient beaucoup de détails, mais l’essentiel est tout ce qui compte : l’armée israélienne et le gouvernement israélien ne réussissent plus à créer une dissuasion efficace – ni dans le nord et ni dans le Sud. La dissuasion n’a peut-être pas complètement disparu, mais elle a été gravement érodée, d’une manière qui place l’État d’Israël dans une situation désespérée, face à une menace continue pour sa souveraineté le long de ses frontières, pour la sécurité de ses résidents qui vivent le long des zones frontalières, et pour la poursuite de sa routine quotidienne.

Alors, que peut-on faire dans une telle situation? Dans le sud, le dilemme est beaucoup plus difficile et complexe. Tsahal peut faire bien plus que ce qu’elle a déjà fait en continuant à détruire l’infrastructure du Hamas et même en frappant ses dirigeants (éliminations), mais de telles actions mèneront presque nécessairement à de longues opérations militaires dans la bande de Gaza. À la fin d’une telle opération, nous serons confrontés à des dilemmes tout aussi complexes : abattre le régime du Hamas et rester dans la bande jusqu’à ce qu’un régime différent entre en jeu, ou sortir de la bande après avoir détruit la plupart des capacités militaires du Hamas, puis revenir plus ou moins à la situation dans laquelle nous étions avant le début de l’opération. Aucune des deux options n’assure le calme à long terme pour les résidents du sud d’Israël.

Un char de Tsahal à la frontière de Gaza (Photo: Bureau du porte-parole de Tsahal)

Un char de Tsahal à la frontière de Gaza (Photo: Bureau du porte-parole de Tsahal)

De l’autre côté, il y a un arrangement civil et économique qui calmerait la situation dans la bande, ainsi que le Hamas. Mais ceux qui proposent de tels plans de réhabilitation économique à grande échelle ne peuvent toujours pas démontrer comment ces plans seront exécutés dans la pratique.

Une solution combinée est nécessaire – militaire et civile – conjointement avec les pays arabes du Golfe, ce qui permettra la réhabilitation de la bande en coopération avec le Hamas ou, si Israël décide d’aller dans la bande, sans le Hamas.

Dans le nord, le dilemme est beaucoup plus simple. Contrairement aux Egyptiens, qui se sont révélés incapables d’influencer le Hamas et de le retenir, les Russes en Syrie peuvent effectivement livrer le produit fini. Ils ne l’ont pas encore fait, parce qu’ils ont toujours besoin des Iraniens pour combattre le dernier bastion des rebelles dans le gouvernorat d’Idlib au nord de la Syrie. Si et quand Assad achèvera sa prise de contrôle d’Idlib, le temps pourrait venir où les Russes pourraient mettre en action le «grand accord politique» qu’ils planifient en Syrie, dans le cadre duquel les forces étrangères devront partir.

À l’heure actuelle, il ne sert à rien d’expulser les Iraniens à moins de 100 ou même 200 kilomètres d’Israël. À l’ère des missiles, des roquettes et des cyberattaques, plusieurs centaines de kilomètres n’ont pas de sens. En étant dans notre région, c’est comme si les Iraniens étaient juste sur notre frontière. C’est pourquoi Israël doit continuer à agir militairement et faire comprendre aux Russes qu’il n’y aura pas d’accord – et qu’ils ne pourront pas récolter les fruits de leur ingérence en Syrie – tant que les Iraniens et leurs supplétifs n’auront pas complètement quitté la Syrie.

Pour le moment, il semble que le gouvernement israélien et Tsahal soient en perte de vitesse à la lumière de l’érosion grave de la dissuasion et de la capacité de maintenir la sécurité le long des frontières du nord et du sud. L’action immédiate nécessaire consiste à renforcer de manière significative la défense antiaérienne et antimissile active, y compris par l’acquisition de milliers d’intercepteurs et de douzaines de lanceurs, et bien sûr de fortifier les structures à travers tout le pays. De telles mesures, en elles-mêmes, pourraient immédiatement stimuler la dissuasion.

Ron Ben-Yishai | Publié: 07.27.18, 23:34

Première publication le 27.07.18, 23:34

Adaptation : Marc Brzustowski

ynetnews.com

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Belle

Jeremy
très beau et excellente analyse…
le but des islamistes palestiniens tuer tuer tuer 1 maximum quitté à tuer son propre peuple…
la guerre doit àvoir malheureusement sa propre morale sinon Israël ne se défend pas à la hauteur de la cruauté des islamistes palestiniens et autres terroristes …

serge027

Israël n’a que faire d’une armée morale. Personne ne lui en est grée de toutes les façons. Les termes « armée » et « morale » sont antinomiques. C’est comme si on parlait d’une putain – vierge! Il lui faut une armée EFFICACE et pour cela il ne faut pas se battre à fleurets mouchetés. Au sud c’est simple: il faut éradiquer la Hamas comme les russes éradiquent Daesh en Syrie. Quant au nord la politique de non intervention porte ses fruits pourris comme celle pratiquée par Léon Blum durant la guerre d’Espagne. Donc il faut s’attendre à ce qu’après avoir détruit toutes les forces sunnites anti Assad, les syro-iraniens se retournent massivement contre Israël. Il est inutile de compter sur les russes pour faire le ménage à notre place. Donc ralentir la progression des iraniens, en attendant le moment favorable pour frapper la tête du serpent qui n’est pas en Syrie mais à Téhéran. Si les Iraniens ferment le détroit d’ormouz, ce sont les américains qui se chargeront de cette besogne.

Jeremie etsesjeremiades

C’est Iron dôme qui fait du mal à Israël qui ne riposte pas au hamas comme il l’aurait fait sans Iron dôme .
Une réplique s’il n’y avait pas d’iron dôme aurait mis fin depuis longtemps à cette comédie . On l’a vu dans un pays voisin , ce que signifie une vraie réplique .
En voulant mener une guerre morale on ne fait que la prolonger .
Les palestiniens avaient plus peur d’Israël du temps de béguin ou sharon sans Iron dôme que du temps de Netanyahu avec Iron dôme .
Faudrait revoir l’usage dit-on dôme .
Faudrait laisser le hamas toucher des immeubles en Israël pour faire accepter une riposte terrible contre gaza à la communauté internationale .
A vouloir jouer à l’armée la plus morale du monde on finit dans un cul de sac .
Les interventions égyptiennes , c’est du bidon ..c’est juste pour demander une baisse de tension pour endormir Israël .