Un réseau de trésorerie régionale dirigé par la Russie pourrait neutraliser les sanctions américaines contre l’Iran

Un panneau présentant les taux de change du dollar américain et de l’euro contre le rouble russe est exposé devant une succursale bancaire à Moscou, en Russie, le 10 avril 2018.
RÉSUMÉ DE L’ARTICLE
La Russie serait en train de développer les négociations avec l’Iran pour créer un réseau intégré régional de transfert de paiement.

La Russie se préparerait à établir un réseau intégré régional de transfert de paiement. L’Iran souhaite naturellement se joindre à une telle entreprise. Mais à quoi ressemblera un tel réseau, quelles seront ses implications pour l’Iran et la région, et comment sera-t-il reçu par d’autres pays, notamment les États-Unis?

Aboutaleb Najafi, PDG d’Informatics Services Corporation, un organe exécutif de la Banque centrale d’Iran (CBI) créé en 1993 pour créer et exploiter le système d’automatisation bancaire et les réseaux de paiement en Iran, a annoncé pour la première fois la nouvelle de l’initiative russe. Najafi n’a pas divulgué beaucoup de détails, tandis que la couverture médiatique en Russie a été très faible. Mais les deux parties ont déjà témoigné de la nécessité de s’éloigner progressivement du dollar américain et de négocier en devises nationales. D’autres pays tels que la Turquie ont également été désignés comme partenaires potentiels, susceptibles de rejoindre une telle initiative.

Selon un responsable de la CBI connaissant bien la question, et qui s’est entretenu  avec Al-Monitor sous couvert de l’anonymat, rejoindre un réseau de paiement russe signifie qu’une partie importante du besoin d’employer des billets physiques sera éliminée, ce qui sera un avantage majeur pour l’Iran.

« Nous comptons encore trop sur les billets pour mener nos transactions [commerciales], et les sanctions ne faciliteront certainement pas cette situation », a-t-il déclaré à Al-Monitor.

D’un autre côté, dit-il, le réseau de transfert de paiement pourrait servir de passerelle à l’usage de l’Iran pour stimuler de façon remarquable ses relations commerciales avec d’autres pays-membres du même réseau. Quand on les a contactés pour leur demander de commenter cette nouvelle, autant le bureau de Najafi et que la source de la Banque Centrale Iranienne se sont abstenus de fournir de plus amples détails, quant à configuration de ce fameux réseau de transfert de paiement, à l’heure qu’il est, mais il va de soi que la région mentionnée comprend les 10 républiques post-soviétiques de la Communauté des Etats Indépendants (CEI).

Les données douanières officielles publiées par l’Organisation de promotion du commerce Iranien indiquent que le commerce non pétrolier total du pays avec les pays membres de la CEI s’élevait à 3,94 milliards de dollars au cours de la dernière année iranienne, contre 4,64 milliards l’année précédente. La Russie a représenté 1,03 milliard de dollars de ce montant – en baisse de 42,14% sur un an – pour se classer au 18e rang des principaux partenaires commerciaux de l’Iran.

Dans ce contexte, les efforts déployés pour mettre en place un réseau de transfert de paiement régional pourraient servir de tremplin pour stimuler le commerce de l’Iran avec la CEI et mieux réaliser son objectif à long terme d’élargir le commerce non pétrolier pour réduire sa dépendance au pétrole. Ceci est d’autant plus important que le volume des échanges commerciaux entre l’Iran et les pays membres de la CEI est loin des 15,46 milliards et 14,36 milliards de dollars de transactions non pétrolières enregistrées l’année précédente avec le Conseil de coopération du Golfe et l’Organisation de coopération économique, qui compte un nombre similaire d’États membres.

Il y a aussi d’autres dimensions à considérer. Avec des échanges commerciaux et des liens économiques plus forts, se nouent des relations politiques et culturelles plus solides. La Russie est déjà un allié majeur dans la mesure où l’Iran se tourne de plus en plus vers l’est pour renforcer ses liens, face à  l’hostilité américaine. Dans le même ordre d’idées, l’Iran pourrait établir des liens plus durables et mutuellement bénéfiques avec les États membres de la CEI et mieux promouvoir les liens culturels qu’il dit rechercher. Mais, bien sûr, rien de tout cela ne peut se concrétiser à court terme, l’idée d’un réseau de transfert de paiement régional étant encore nouvelle et comportant de nombreux accrocs potentiels.

Selon Najafi, la Russie n’a pris la décision d’établir le réseau que ces derniers mois, ce qu’il a appelé un « changement de stratégie ». L’idée initiale, lancée en septembre 2016, était d’intégrer les systèmes de cartes bancaires iraniens et russes, permettant aux citoyens iraniens et russes d’utiliser leurs cartes bancaires dans l’un ou l’autre des deux pays. Les deux parties ont convenu de mettre initialement en œuvre le programme à une échelle limitée afin que l’Iran puisse d’abord améliorer son infrastructure technique avec l’aide de la BPC russe, fournisseur reconnu de solutions de paiement électronique dans le secteur financier international. La première phase a été mise en œuvre avec succès en mai 2017, selon le CBI, et le régulateur a promis que le système serait pleinement opérationnel en août 2017. Mais il a été interrompu par plusieurs retards en raison de problèmes techniques du côté iranien, le pays n’utilisant pas la technologie des puces EMV [Une carte EMV est une carte de crédit ou de débit avec une puce intégrée et une technologie associée conçue pour permettre un paiement sécurisé sur des terminaux compatibles avec le point de vente] dans toutes ses institutions financières.

Outre la Russie, l’Iran a également proposé de mettre en place des systèmes bancaires intégrés avec au moins sept autres pays, à savoir le Japon, la Chine, l’Azerbaïdjan, l’Iraq, la Turquie , Oman et l’Ouzbékistan. Cependant, les insuffisances techniques liées aux sanctions américaines risquent de poser des problèmes importants. Dans cet ordre d’idées, la source de la Banque Centrale Iranienne (CBI) a déclaré à Al-Monitor : «Nous devons procéder à de nombreuses mises à niveau avant de pouvoir raisonnablement affirmer que nous serons en mesure de rejoindre le réseau de paiement russe.

« Cela est lié à la façon dont la Russie décide de poursuivre en ce sens », a-t-il expliqué. « L’une des solutions consiste à délivrer une carte uniforme à tous les pays membres et aux banques désignées pour les distribuer aux représentants qui les utiliseront. Mais puisque nous parlons de commutateurs intégrés de cartes bancaires, il est plus probable que tout le monde puisse utiliser ces cartes bancaires dans tous les pays membres, ce qui nécessite une coopération et des négociations d’un tout autre niveau « .

Ensuite, a-t-il souligné, il y a le problème de la réglementation bancaire en constante évolution, la mise en œuvre de directives de diligence et de connaissance du client appropriées et le respect des réglementations anti-blanchiment. Tous ces facteurs à prendre en considération rendront l’exécution du projet plus difficile pour la Russie, mais, ces difficultés seront d’autant exponentielles pour l’Iran, parce que ce pays est en retard de plusieurs années en termes de conformité aux normes et réglementations internationales.

Au moment où un réseau de paiement régional peut entrevoir la ligne d’arrivée, d’autres pays ont peut-être déjà lancé des initiatives similaires, car la croissance rapide des technologies financières de stockage et de transmission d’informations, (transparente, sécurisée, et fonctionnant sans organe central de contrôle) ouvre de nouvelles pistes innombrables de développement. Des rivalités politiques vieilles de plusieurs décennies rappellent également que le projet ne pourra se réaliser sans rencontrer nécessairement des opposants acharnés.

« Les Etats-Unis vont sans aucun doute entraver ce projet à différents stades, par le biais de sanctions et la rhétorique des menaces de rétorsions », a reconnu la source de la CBI à Al-Monitor.

Indépendamment des progrès réalisés dans la mise en place du réseau de paiement, l’Iran ferait bien de réformer son secteur bancaire et d’accélérer le processus de modernisation de son infrastructure financière afin de mieux se conformer aux réglementations internationales et de parvenir à des solutions commerciales. Dans le cas contraire, les problèmes actuels continueront à peser lourd – même dans le cas peu probable où l’Iran réintégrerait soudainement le système financier mondial.

Trouvé dans:BANQUE ET FINANCE

Maziar Motamedi est un journaliste financier iranien basé à Téhéran. Il couvre les banques iraniennes, le marché des changes, les assurances, la technologie financière et le logement.

Read more : al-monitor.com

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