En mai 2015, la GRC arrêtait in extremis huit jeunes soupçonnés de vouloir rejoindre les djihadistes en Syrie, à l’aéroport Pierre-Elliott-Trudeau de Montréal. Parmi eux, une jeune femme transportait deux calepins de notes troublants dans ses bagages. Ils détaillaient la marche à suivre pour les jeunes, et les raisons qui les ont poussés à partir en zone de guerre.
L’un de ces calepins contient une lettre d’adieu. La jeune femme y explique qu’elle devait quitter le Québec, une terre de «mécréants», pour aller faire la «hijra», l’émigration vers un pays musulman, souligne une déclaration de la GRC qu’a obtenue notre Bureau d’enquête.
Parmi tous les pays où l’islam est majoritaire, elle choisit la partie de la Syrie sous le contrôle de l’État islamique, «puisque c’est là que la charia est appliquée», selon le document déposé à la Cour du Québec.
Elle ajoute que «si un morceau des terres musulmanes est touché, il est obligatoire de faire le djihad pour repousser l’ennemi».
«L’auteure dit que si elle tombe en martyre, Allah lui demandera qui sont les personnes qu’elle aime pour qu’elles puissent entrer au paradis», rapportent aussi les enquêteurs de l’Équipe intégrée de sécurité nationale (EISN), l’escouade antiterroriste que dirige la police fédérale.
La route pour la Syrie
Dans l’un des calepins se trouve détaillée la procédure à suivre pour passer en Syrie. «Il faut prendre un billet aller-retour. Une fois en Turquie, il faut faire un appel téléphonique. Les passeurs vont informer qu’il faut se rendre à Gaziantep et qu’ils viendront les chercher», résume l’EISN.
La ville de Gaziantep est l’un des principaux points de passage des djihadistes entre la Turquie et la Syrie.
La jeune femme dit qu’elle voulait «se marier avec un frère», mais que sa famille s’y était opposée.
Interceptés in extremis
Les huit jeunes arrêtés à l’aéroport s’apprêtaient à s’embarquer sur un vol de Turkish Airlines. Pour camoufler leurs intentions, ils avaient pris des billets aller-retour pour l’Italie, avec escale à Istanbul. Plusieurs avaient cependant dit à leurs parents qu’ils partaient seulement pour New York en autobus.
La plupart d’entre eux ont refusé de collaborer avec la police ce jour-là.
«Chaque frère va trouver à son frère 70 excuses, tout le monde se fait confiance, c’est comme une famille», a déclaré l’un d’entre eux en interrogatoire, après avoir prétendu qu’il ne connaissait pas les autres membres du groupe arrêtés à l’aéroport.
Une jeune femme a dit ne pas comprendre pourquoi la police l’avait interceptée et a prétendu qu’elle allait «possiblement» visiter de la famille à Milan. Elle a dit préférer transiter par Istanbul au lieu de Paris pour éviter d’être «fouillée comme un chien», selon l’EISN.
Une autre s’est contentée d’«acquiescer en hochant la tête lorsqu’il lui fut demandé si elle demanderait pardon à sa mère».
La plupart de ces jeunes se connaissaient, au moins par l’entremise des médias sociaux, selon la GRC. Plusieurs avaient aussi été en contact avec le prédicateur controversé Adil Charkaoui, comme plusieurs jeunes du Collège de Maisonneuve partis en janvier 2015.
Aucune accusation n’a été portée contre eux, mais l’EISN a saisi les passeports de tous les jeunes.
«HYPNOTISÉ» PAR UN RECRUTEUR SUR INSTAGRAM
«Quelqu’un» a utilisé le réseau social Instagram pour tenter de recruter les jeunes arrêtés en mai 2015, selon la déclaration de la GRC à la Cour du Québec.
Un adolescent de Saint-Léonard «se sentait comme hypnotisé par le discours du suspect», selon son père, qui a appelé la police fédérale pour le dénoncer.
Son fils utilisait son téléphone iPhone pour naviguer sur Instagram et échanger avec le recruteur.
«L’homme lui a dit que vivre au Canada était péché car ce n’est pas un pays musulman», mentionne la dénonciation de la police fédérale.
Le recruteur présumé utilisait toujours un profil différent sur Instagram pour communiquer, mais il commençait toujours par le même nom, caviardé dans le document de l’Équipe intégrée de sécurité nationale (EISN), l’escouade antiterroriste que dirige la GRC.
Faux voyage en Grèce
L’adolescent avait fait croire à sa famille qu’il partait pour un voyage en Grèce avec son école. Son père s’est informé auprès de la direction: aucun voyage n’était organisé. Il a alors interrogé son fils, qui a éclaté en sanglots.
Contrairement à huit autres jeunes, son fils a été arrêté chez lui et non à l’aéroport.
Un autre des 10 jeunes s’était rendu avec lui dans une agence de voyages pour s’informer sur le prix de billets pour Rome, avec escale à Istanbul, selon nos informations. Selon nos informations, il avait acheté un billet, mais a lui aussi abandonné son projet de départ.
UNE CONSOLE PLAYSTATION POUR COMMUNIQUER?
Les enquêteurs de la GRC semblent croire qu’au moins un des jeunes qui voulaient partir en Syrie a utilisé une console de jeux vidéo PlayStation 4 de Sony pour communiquer.
«Il y a un PS4 dans le domicile», note un enquêteur de l’Équipe intégrée de sécurité nationale (EISN) au sujet d’un des jeunes arrêtés le 15 mai à l’aéroport de Dorval à la suite d’une dénonciation.
Six mois plus tard, après les attentats meurtriers de Paris qui ont fait 130 morts, le ministre belge de l’Intérieur soulignait que les djihadistes communiquent entre eux au moyen de cette console, en utilisant l’application de messagerie ou même le micro de l’appareil.
Les jeunes arrêtés fréquentaient cinq établissements scolaires:
– le Collège de Maisonneuve
– le Cégep André-Laurendeau
– trois écoles secondaires dont on ne peut donner le nom
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Ahhhh, la niaiserie humaine peut être abyssalle.