L’histoire du faux photographe Eduardo Martins et celle des manipulations en Birmanie nous poussent à nous interroger sur l’usage de l’information.

PAR KAMEL DAOUD

Source : Le Point

Deux millénaires consacrés à la « vérité », une préhistoire pour le règne de la « vision », un siècle ou deux pour le culte de l’« exactitude », et déjà une décennie pour le concept de la postvérité, les fake news, mais pas seulement.

À redéfinir : la fake news est une fausse information, qui se répand vite à cause d’Internet, de son effet viral et de son mode open source, ouvert à tous et aux pires. Mais le politique, avec Trump déjà, a installé la fausse information, la fake news, comme une sorte de norme, d’usage accepté, de banalité : on peut mentir, cela ne change rien. La vérité n’existe pas, parce qu’elle n’est pas importante. Et, si elle ne l’est pas, vous n’avez aucune importance vous non plus : la vérité, c’est vous. Cercle vicieux : Trump, et son époque, vous dit que l’on vous ment, mais il vous ment à son tour en vous disant qu’il vous dit vrai.

Sauf que la fake news n’est pas possible sans son pendant : le fake lecteur. Le faux lecteur de l’époque Internet. Celui qui ne lit presque pas, ou juste le titre d’une info, qui relaie, appuie et défend. C’est un fake reader.

Il gonfle les rangs des radicalismes en général, étend le bruit mondial de la rumeur. C’est un ami collègue, directeur d’un journal électronique, qui m’a parlé des réactions à propos de certaines de mes chroniques qui provoquaient des polémiques. Je l’interrogeais sur la possible mauvaise foi de ces lecteurs qui m’accusaient de ce que je n’ai pas écrit. Mon interlocuteur me révèle que des outils permettent de vérifier si un article a été lu entièrement.

Et, dans le cas des articles qui ont le plus provoqué de polémiques, il apparaît que la lecture a été partielle, rarement achevée ou s’arrêtant au titre. L’essentiel n’est pas ce que vous écrivez, mais ce qu’on croit, avec votre texte comme prétexte. L’important n’est pas la vérité, mais la croyance.

On en vient à des extrêmes : la fauxtographie. Deux histoires l’illustrent. D’abord, celle de ce faux photographe de guerre, Eduardo Martins, qui a berné de grandes publications, construit un réseau de clients, des plans de séduction, du sex-appeal, une image, sans jamais avoir mis les pieds en zone de guerre. Enfant croisé d’Internet et de Photoshop, Tarzan de la faille numérique entre la crédibilité et la possibilité.

Le journalisme à l’ancienne y apparaît suranné, appelé à la révolution ou à la disparition. Photoshop tue la vérité, pas la laideur.

L’autre histoire, c’est celle des fausses photographies sur la répression des Rohingyas en Birmanie. Là aussi, un effet viral confessionnel fait des dégâts : si la tragédie est vraie, beaucoup de photos sont fausses, participent du voyeurisme victimaire ou de la culpabilisation facile pour mieux se déculpabiliser.

Des corps, des horreurs, des entassements de cadavres puisés dans d’autres tragédies, mis en scène pour étayer la théorie de la répression pour cause de confession. Un enfant yéménite massacré fait moins mode qu’un village birman incendié. Parce qu’il faut que le coupable soit un étranger. Pourquoi ces fauxtographies ?

À l’évidence pour appuyer l’idée d’une épuration au nom de la religion (cela relance le commerce des islamistes, d’Erdogan et des récupérateurs de tous bords), cela « prouve » la chasse internationale aux musulmans.

Dans l’islamosphère, la fauxtographie est une vérité qui ne se soucie pas de la fidélité. C’est de la fake news, mais la fake news a sa vérité dans son usage, pas dans son essence. Tous les radicaux, les fachos et extrêmes droites en usent : la fauxtographie est à la fois l’impossibilité de la vérité, son inutilité, la perspective affolante qu’elle ouvre : rien n’a d’importance, mais l’important est d’y croire. Noyées sous la fausse information, les victimes se retrouvent recluses par leur propre mise en scène. On s’en débarrasse en les exhibant. On vide le cadavre par la fauxtographie. On détruit la vérité et, du coup, son élan de compassion possible.

 

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires