Le grand rabbin Josy EISENBERG nous a quittés…

Le choc fut des plus rudes à l’annonce de cette si triste nouvelle, car il fut le rabbi Akiba de notre temps, celui que le talmud présente comme le sage le plus érudit de tout le judaïsme antique, en l’occurrence ici, du judaïsme français et même francophone. Il laisse un vide immense.

Que l’on me pardonne si je fais ci une remarque personnelle : mercredi soir, il y a tout quarante-huit heures, nous avons fait un enregistrement ensemble de 16 heures à 18 heures, au moment où je l’ai quitté. Je sais que la remarque paraîtra inepte, mais rien ne laissait entrevoir une fin aussi brusque. J’ai passé donc plus d’une heure en face de lui pour la préparation de l’émission, et il réagissait comme d’habitude. Ce qui m’a frappé, mais a posteriori, c’est le fait qu’il parlait peu et intervenait moins que d’habitude.

Tout a commencé pour ce jeune et talentueux rabbin lorsque le guide du judaïsme français des années soixante l’a repéré et en fit une sorte de secrétaire particulier, bien qu’ayant une communauté parisienne à laquelle il était statutairement rattaché. Le vote de la diffusion des émissions religieuses par l’Assemblée Nationale, chaque dimanche matin, allait changer la vie de ce jeune rabbin brillant, cultivé et fort bien de sa personne.  Pour le paysage télévisuel, ce dernier élément est crucial.

Le Grand Rabbin Jacob Kaplan, membre de l’Institut, le désigna pour prendre en main cette émission, devenue sous la férule de ce rabbin remarquable la vitrine du judaïsme français, observée et appréciée par tous nos concitoyens indépendamment de leur appartenance religieuse. Josy, ainsi que nous l’appelions affectueusement, devint ainsi, par un très heureux concours de circonstances, l’incarnation du judaïsme français à la télévision.

Moins de vingt ans après la découverte de la Shoah, une telle émission allait panser bien des blessures et redonner une certaine fierté à un communauté juive, renforcée et revigorée par l’apport vivifiant de Juifs séfarades, contraints de quitter les pays arabes où ils n’étaient plus les bienvenus.

Et il faut bien le reconnaître, Josy sut parfaitement rétablir un équilibre entre le vieux courants du judaïsme de notre pays : d’un côté, le franco-judaïsme local et, de l’autre, une religiosité fervente, moins conforme au canon de la culture mêlée à la foi, mais si pleine de vitalité et d’audace. On l’aura compris : tous les dimanches que Dieu fait, la communauté juive, et pas uniquement elle, se retrouvait devant le petit écran pour voir ce que Josy allait dire, interviewer, recenser, etc..

La première fois que je vis Josy à la télévision, j’étais élève interne avec mon frère Samuel à l’Ecole Maimonide de Boulogne sur Seine. Il interviewait dans son inépuisable et inusable émission A bible ouverte, le rabbin Léon Ashkénazi, de son totem scout Manitou. Cette scène est restée gravée dans ma mémoire : je ne pouvais pas imaginer que vingt années plus tard, je nouerai avec Josy de tels liens de travail et d’amitié.

Cette émission s’est développée et l’on assista à la naissance de judaica qui nous permettait de découvrir les richesses de notre culture sans sortir de chez nous…. De même, les émissions d’un quart d’heure alternaient avec des émissions d’une demi heure. Et Josy invitait toutes sortes de gens, qu’ils fussent religieux, athées, sionistes, anciens déportés, rabbins, professeurs, etc… Et même lorsque l’invité n’en était qu’à ses débuts ou ne dominait pas vraiment le sujet, la générosité intellectuelle du présentateur n’en laissait rien voir et l’incitait à  se porter au secours de son invité.

Ceci pour dire que toutes les sensibilités du judaïsme contemporain étaient représentées. Certes, quiconque connaît le péché mignon des communautés juives sait que le climat n’est jamais vraiment irénique, la bataille des egos faisant généralement rage : passer à la télévision, même si l’on n’avait rien à dire ou, même pour tenir des discours d’analphabètes, qui pourrait y résister ?

Mais dans ce domaine Josy sut tenir bon et limita les émissions statutaires (solennités, fêtes de pèlerinage, grands jeûnes de l’année liturgique) au strict minimum… Ce ne fut pas toujours facile, notamment au cours de ces dernières années, mais Josy tint bon et sut maintenir le cap.

Il est impossible de rendre compte d’une telle vie, si bien remplie, si bienfaisante, en quelques pages. Ce n’est pas non plus une chronique nécrologique, mon but est de mentionner les grands moments de l’action immense d’un homme qui a occupé une place éminente durant plus d’un demi siècle. Signalons, entre autres, qu’il nous a permis de mieux connaître Elie Wiesel et son œuvre. Sans lui, nous n’aurions pas eu accès à ce magnifique maître qu’estAdinSteinsalz, le modernisateur du Talmud.

Il y a quelques années,  de 19 heures à minuit passé, environ mille personnes ont acclamé debout Josy Eisenberg au théâtre Marigny, non loin des Champs Elysées, à Paris. Ce fut une véritable consécration, largement méritée et unanime. Comme le fit remarquer le présentateur, la Source de vie n’est pas une vieille émission, c’est plutôt une émission ancienne, celle qui défie le temps et a résisté à tous les obstacles, tant externes qu’internes. Sa capacité à se renouveler est unique.

L’expression source de vie (mekorhayyim) connaît une occurrence biblique (Psaume 32 ;10) : Avec Toi source de vie, par ta lumière nous verrons la lumière. Cette émission cinquantenaire porte bien son nom : elle a éclairé et éclairera toujours des millions de gens, au fil des années.  On peut dire, sans flagornerie, que Josy est le luminaire du judaïsme francophone. Maïmonide cite ce verset des Psaumes dans l’introduction à son Guide des égarés.

Le grand philosophe néoplatonicien Salomon Ibn Gabirol, (mort vers 1050) l’Avicebron des Latins, a donné ce titre à son traité de métaphysique : Mekorhahyim, Fons Vitae. J’ajoute que Salomon a aussi rédigé le KéterMalkhout, lu la veille de kippour. C’est le grand orientaliste judéo-français Salomon Munk qui a démontré que l’Avicebron des Latins et le Ibn Gabirol des Juifs était une seule et même personne.

Le plus beau discours, le plus attendu, le plus fin et le plus respectueux fut, comme il se doit, celui du président de France Télévision de l’époque, Monsieur Rémi Pflimlin qui a rappelé avec émotion  sa vie d’étudiant à Strasbourg, son séjour inoubliable au kibboutz Bééri et aussi son respect pour la culture juive ainsi que sa profonde admiration pour Josy Eisenberg.

Madame Laure Baudouin, la sympathique responsable des émissions religieuses sur France 2, a prononcé un discours enjoué et très amusant qui a recueilli bien des applaudissements. Évoquant avec humour et en franglais les émissions de Josy, elle a contribué à créer une atmosphère bon enfant parmi le public. Et je ne suis pas resté insensible au fait qu’elle a si gentiment évoqué la saga du roi David à laquelle Josy a déjà consacré une vingtaine d’épisodes.

Alors, comment caractériser, en peu de mots,  l’activité éclairante passée, de Josy ? C’est un adepte, un éclaireur du judaïsme des Lumières.

Je me souviens : en 1986, lorsque je fis paraître ma traduction française des Dix-neuf épîtres sur le judaïsme de Samson-Raphaël Hirsch (1808-1888), je voulus une préface de rabbin. Et bien évidemment, je me suis tourné vers Josy qui a accepté de la rédiger. Je lui avais alors dit que je me tournais vers lui car il est le rabbin le plus intelligent de son temps. En langage zoharique, le lion de la confrérie (ari ha-haboura)..

Entre rabbi Siméon ben Shétah, celui qui, dit-on, fit exécuter les 70 sorcières d’Ascalon, d’une part, et rabbi Aqiba, d’autre part, le plus grand savant du judaïsme talmudique, Josy est, je me répète, une sorte de réincarnation du second. On oublie parfois que, sous la contrainte d’événements dramatiques, la religion d’Israël a vécu une véritable révolution copernicienne en passant du judaïsme du temple (culte sacrificiel) au judaïsme de la Tora (avodasheba-lév)et de la prière (aréshétsefaténou). Patiemment, avec persévérance, servi par une grande érudition qu’il sait mettre à la portée de tous, Josy est vraiment le Monsieur judaïsme.

Aux yeux de ses millions de téléspectateurs, il a montré et montre encore que ce n’est pas la fonction qui crée la compétence et qu’il est l’homme qu’il faut là où il faut..

Pour finir, une phrase d’un collègue anglais qui est aussi un grand admirateur de Josy : rabbi Josy Eisenberg has jewishscholarship on hisfingerprints (Josy est un érudit juif jusqu’au bout des ongles).Et il a remis à l’honneur, l’adage talmudique dont Samson Raphaël Hirsch a fait son slogan : yafé talmud Tora imdérékhérets.

J’avais jadis évoqué avec Josy une phrase inoubliable  de Martin Buber qui s’énonce ainsi : nous ne sommes pas une nation comme les autres, nous sommes l’exemplaire unique de notre espèce, nous sommes Israël.

Et durant plus d’un demi siècle  Josy s’en est montré digne.

Maurice-Ruben Hayoun

Le professeur Maurice-Ruben Hayoun, né en 1951 à Agadir, est un philosophe, spécialisé dans la philosophie juive, la philosophie allemande et judéo-allemande de Moïse Mendelssohn à Gershom Scholem, un exégète et un historien français. il est également Professeur à  l’université de Genève. Son dernier ouvrage: Franz Rosenzweig (Agora, universpoche, 2015)

Nous vous informons que le professeur Maurice-Ruben Hayoun, dont les chroniques sur JFORUM font notre plaisir, va tenir prochainement un cycle de conférences à la Mairie du 16ème arrondissement de Paris, sur le thème « L’Europe, plus une culture qu’un continent – Aux racines de la culture européenne.

Ce nouveau cycle de conférences se penche sur l’humus spirituel et les valeurs premières qui gisent au fondement de ce continent.

Mais l’Europe n’est pas seulement un continent, c’est aussi et surtout une culture, axée autour de courants spirituels et d’écoles philosophiques, qui passent à juste titre pour sa constitution théologico-politique ou éthique.

Les réflexions qui seront exposées dans la salle des mariages de la Mairie du 16ème arrondissement couvrent la critique biblique, la littérature éthique, la philosophie médiévale sous son triple aspect, gréco-arabe, chrétienne et juive au miroir des pères spirituels de l’Europe : Thomas d’Aquin, Maimonide, Averroès et Maître Eckhart.

Le programme est le suivant :

Jeudi 19 octobre – 19h : Religion et philosophie selon le Traité décisif d’Averroès

Jeudi 23 novembre – 19h : L’allégorie philosophique d’Ibn Tufayl, Vivant fils de l’éveillé (Hayy ibn Yaqzan)

Jeudi 14 décembre – 19h : Qui était Maître Eckhard?

ENTREE LIBRE – Dans les salons de la Mairie

Mairie du 16e Arrondissement : 71, avenue Henri Martin

 

 

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Jean-Claude BOUREL

Trop pris par l’émotion toujours présente après 23 jours de son départ, j’ai posté trop vite mon message et ai oublié de présenter à tous les êtres chers dans le cœur de Josy, mes très sincères condoléances.

Jean-Claude BOUREL

Comme beaucoup de chrétiens qui regardent  » Le jour du Seigneur  » le dimanche sur France 2, j’ai sincèrement été effondré d’apprendre le départ vers un monde meilleur de Josy. J’ai 71 ans et Je suis régulièrement  » La Source de Vie » depuis de nombreuses années, à tel point que Josy faisait partie de la famille. Merci Josy pour toute la culture que tu m’as apportée. Repose en Paix en terre Sainte au Mont des Répits. אדון לקבל אותך בממלכה שלו (désolé si j’ai mal traduit mais je me suis servi d’un traducteur sur internet). Je voulais très humblement dire :  » Que l’Eternel te reçoive dans son royaume !)

Franck Emmanuel

Je regarde ce matin l’hommage au grand Rabbin Josy EISENBERG moi qui suis Chretien je regrette très profondément se disparition car nous avons tellement appris avec lui sur le judaisme et nos religions monothéistes, par sa démarche il œuvrait pour la paix .C’est une grande perte pour tous et une grande tristesse
FEL

Sarah LENTY

Que d’années passées en sa compagnie le dimanche matin.
La communauté juive vient de perdre un sacré bonhomme, mais elle a la capacité d’en trouver un (ou une, style Liliane VANA) tout aussi brillant. Sa façon bienveillante d’écouter ses locuteurs restera cependant inimitable.
Ce sont des gens comme lui qui m’ont appris à dire, moi la chrétienne : Touche pas à mes kippotes.

Marc

Joli jeu de mots

sew

Quelle tristesse, les dimanches ne seront plus les mêmes, Merci !

sew

Une tristesse immense, les dimanches ne seront plus les mêmes. Merci pour tout !

Le Goy Séfarade

Quelle tristesse, chez moi on regardait tous les dimanches matins son émission qui nous éclairait et nous remplissait de joie avec ses explications de la TORA avec des invités toujours très intérressants.
Il va nous manquer.
Une pensée affectueuse pour sa famille

Josiane. D’ISRAEL

Quel choc ce dimanche je regardais l emission habituelle avec ce grand plaisir puis quelques minutes apres sur mon iphon je ne sais plus je recois un message disant qu il etait decede non j ai cru a une erreur????? Wah incroyable que dire si ce n est qu il repose en paix sur cette terre d ISRAEL

Jacqueline arragon-revel

Je suis complètement atterrée d’apprendre la disparition de Josy que j’ai regardé encore ce matin dans son émission qui nous entraîne toujours plus en avant.
Il va bien nous manquer. Je pleure avec toute sa famille. B’H pour lui et chaque membre de sa famille ainsi que pour son émission remarquable qui ne s’éteindra jamais.

bstention

Fierté du Judaïsme
L’hommmage de Madame Line Houdion , à la suite de la disparition du rabbin Josy Eisenberg est remarquable et parfaitement justifié. Cet homme de foi, devenu homme de télévision est, en effet,
la fierté du judaïsme français par ses connaissances théologiques, son envie de transmettre et surtout un esprit ouvert et on l’a bien vu kirsqu’il n’a pas hésité à inviter la remarquable femme rabbin, issue de la communauté libérale.
Sauf erreur de ma part, France 2, la chaîne de télé sur laquelle il diffusait son savoir, depuis près d’un demi-siècle n’a pas dit un mot sur lui. Et je regrette, aussi, qu’au delà des innombrables citations, le portrait que vous présentez sur le site ne permet pas d’en savoir un peu plus sur l’homme qu’il était…
Marc Guedj

Koubi

שלום À tous ,
Mon chèr mon sage homme de foi , l’image du judaisme en France notre quide supreme Josy Eisenberg.
Temellement qu’on parle de jonnny qu’on oublie cette grand homme repose en paix .
תנחומים

Houdion Line

Je ne suis pas juive mais chrétienne, aimant Israël et la Torah; j’avais toujours grand plaisir à apprendre de Josy par ses explications lumineuses, sa grande connaissance qu’il transmettait simplement. Le choix de ses invités et le respect qu’il témoignait faisaient que l’émission du dimanche me passionnait et va me manquer dorénavant!Que Dieu soit remercié de l’avoir donné à votre communauté, aux français qui ont bien voulu écouter et s’enrichir de son enseignement. Sincères condoléances à sa famille et à tous ceux qui l’ont aimé.

hugoi

C’est avec une tristesse immense que j’ ai appris par la présentatrice de France 2, la disparition de Josy Eisenberg, j’ étais un fidèle de ses émissions, il me passionnait avec ses sujets , son érudition, sa sympathie, son ouverture d’esprit, son humour aussi. J’ ai comme l’ impression d’ avoir perdu un membre de ma famille.