La disparition de Jean d’Ormesson, hommage à un grand écrivain.

La nouvelle est tombée tôt hier matin ; l’âme de ce grand Monsieur, de ce grand écrivain français du XXe siècle et du début duXXIe , que fut Jean d’Ormesson (que ces intimes appelaient Jean d’O..) s’est envolée durant la nuit vers le ciel. Tous, amis ou pas, reconnaîtront l’extrême affabilité, les mœurs raffinées d’un grand aristocrate, tant au plan social que philosophique et littéraire. Cet académicien avait bénéficié de l’enseignement direct de sa propre mère, ce qui ne fut pas un handicap puisqu’il fut reçu à l’agrégation de philosophie.

Il faut dire qu’il avait de qui tenir : il marcha dans les brisées de son père, comme des montagnards placent leurs pas dans ceux laissés dans la neige par leurs devanciers. Homme résolument de droite, mais d’une droite humaniste, croyant mais sans bigoterie,  chrétien sans être antisémite, il dégageait cette bonté et cet amour de l’humain qui était l’apanage quasi exclusif des gens bien nés. Il était de droite et le proclamait, même lorsqu’il fut décoré par François Hollande de la plus haute distinction de notre premier ordre national ; grand croix de la légion d’honneur.

Un jour, en l’écoutant, moi qui eus l’insigne privilège de le remontrer au moins deux fois et qui eus l’occasion de m’entretenir avec lui quand on me présenta au fauteuil du défunt cardinal Jean-Marie Lustiger à l’Académie française, une pensée s’imposa à moi naturellement, comme une vérité coulant de source : le monde entier aime Jean d’Ormesson. Certes, comme toute vie humaine, cette existence remarquable eut un lot d’épreuves à traverser dans cette vallée des larmes qu’est la vie. Mais on peut dire, à présent que le bilan est à tirer, qu’il ne s’en sortit pas trop mal.

Je rencontrai pour la première Jean d’Ormesson à la fin des années soixante-dix, juste après la disparition de l’académicien Roger Caillois, à l’ombre duquel Jean d’Ormesson évoluait. A ce moment-là je poursuivais mes études et préparais mon premier doctorat. J’étudiais la philosophie allemande à la Sorbonne, avançais dans mon sujet de thèse en philosophie médiévale juive et arabe sous la direction de mon maître Georges Vajda à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes et m’intéressais sérieusement à la manière la plus habile de jeter un pont entre mes études juives et mes études germaniques. Etudiant l’histoire de la kabbale de manière historico-critique sans la moindre concession aux charlatans qui prétendaient en disserter doctement sans en avoir la moindre science digne de ce nom, je trouvai la solution : il me fallait traduire de l’allemand en français toutes les conférences données par Gershom Scholem lors des rencontres Eranos à Ascona en Suisse.

Jeune et inexpérimenté, je ne me rendis pas compte de l’excessive difficulté de la tâche. Scholem parlait et écrivait une langue allemande très difficile. Cela tombait bien car j’étais moi aussi, sans le savoir, un peu archaïsant et le Moyen Age était mon domaine de recherches. Je décidai de m’intéresser à une étude de Scholem sur la symbolique des couleurs dans la mystique juive… Je me mis au travail sans bouée de sauvetage, sans crainte de me noyer et sans aucune aide extérieure. Mais une fois le travail achevé, non sans peine, il me fallut obtenir l’autorisation de Scholem depuis Jérusalem et aller en quête d’un terrain d’atterrissage ; quelle revue voudrait bien me publier sur un thème aussi abscons  et surtout abriter un texte aussi long. Georges Vajda me conseilla d’essayer Diogène, revue de l’UNESCO, sise rue Miolis. .

J’y fus reçu par une dame adorable Madame Galley qui eut pour moi des sentiments presque maternels et qui insista pour que je rencontre Jean d’Ormesson. Celui-ci apparut soudain de derrière une porte, comme virevoltant autour de moi, semblable à un papillon doré, très élégant, volubile, chaleureux, et ne quittant pas des yeux son visiteur. On avait l’impression qu’il vous connaissait de longue date alors qu’il vous voyait pour la première fois. Je fus aussitôt sous le charme d’un homme qui tournoyait autour de moi… Une scène inoubliable ! Il me fallut plus de trente ans pour comprendre rétrospectivement le charme foudroyant que cet homme, fin, élégant, raffiné, pouvait exercer sur la gent féminine. Et l’avenir ne me donna pas tort, même si l’homme mentait délicieusement en proférant ce mensonge exquis : les femmes m’ont toujours dit, non !!

Avec tout le respect dû à un si grand esprit, ce ne fut pas vrai, c’est le contraire qui l’est.

D’Ormesson me dit qu’il était flatté de publier cet article de Scholem, qu’il trouvait ma traduction parfaite (en réalité elle était moyenne), et que Diogène la produirait en deux parties. Puis il se retira. Madame Galley m’assura même que je recevrai un peu d’argent pour mon travail. Grâce à cet éminent académicien ami des Juifs et de la culture juive, sans oublier l’Etat d’Israël, je connus, à 26 ans, les honneurs de l’impression pour la première fois. Chaque fois que j’examine ma liste de publications, j’ai une pensée pour cet homme de bien.

Pourquoi toute cette histoire ? Juste pour dire que ma toute première publication a eu lieu grâce à ce grand homme. Sans lui, qu’aurais-je fait ? Par la suite, j’invitai Jean d’Ormesson à venir présenter un de ses ouvrages à la grande synagogue Victoire, notamment Le juif errant.Depuis l’époque de Diogène, l’homme était devenu académicien et allait de conquête en conquête. Mais pour moi, désormais, la générosité intellectuelle avait un nom, une incarnation : Jean d’Ormesson. Devenu professeur, je continuais à lui envoyer mes livres chez lui. Il me répondait toujours. Le dernier ouvrage envoyé portait sur le Zohar. D’une extrême politesse il m’écrivit que ce livre était le plus beau des cadeaux qu’on pouvait lui faire…

Le compliment tient plus de la volonté de faire plaisir que du jugement objectif sur la qualité même de mon travail. Mais c’est dire combien cet homme était bon et savait ménager les autres et reconnaître leur travail.

Il y a quelques années, il me téléphona pour savoir si je me trouvais à Paris afin de parler de ma candidature à l’Académie. Mais je me trouvais en Suisse et lui-même devait partir pour la Corse.

En écrivant plus haut que tout le monde l’aimait, je pense à un fait précis : un dimanche vers 13 heures, le journaliste de France 2 Laurent Delahousse invita Jean d’Ormesson en compagnie de… Jean-Luc Mélenchon. Nous étions ce dimanche là en Normandie et je dis alors à ma femme qu’il y aurait de la cervelle sur les murs. Je m’attendais à une violente confrontation. Et à quoi avons nous assisté ? Un Mélenchon plus que respectueux, attentionné, parlant à voix basse, usant d’un ton mesuré face à cet homme qui symbolisait tout ce qu’il abhorrait… Le spectacle offert est resté gravé dans les mémoires. D’Ormesson a assagi Mélenchon, l’indomptable ; avait il été drogué ? Eh bien, non, pas du tout. Le charme et l’aura de Jean d’Ormesson avaient produit leur effet.

On dit souvent du mal des aristocrates, pourtant la plupart ont de très bonnes manières. Pour finir, je ferai mention d’une autre interview, en  solitaire cette fois-ci, toujours avec Delahousse. D’ormesson fit cette déclaration : Oui, j’ai commis des péchés… Pressé de dire s’il faisait allusion à quelque chose de précis, il raconta la chose suivante : follement attiré par l’épouse de l’un de ses cousins, il se laissa aller à la séduire, ce que lui valut les mercuriales de son père. Il était sincère en disant qu’il n’aurait pas dû…

Les Juifs qui prient le jour des propitiations, Yom Kippour, citent au moins trois fois cette phrase du prophète, véritable confession du pécheur : mekhassépesha’awloyatliyah u modéweosévyerouham.

Celui qui cache ses péchés ne s’en tirera pas mais celui qui les reconnaît et s’en détounr, celui-là sera gracié.

Maurice-Ruben HAYOUN

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