A l’heure du débat sur la conscription des étudiants de yeshivot qui fait rage et menace d’explosion la coalition actuelle, il serait bon de réfléchir autour de cette question: quelles sont les sources du sionisme religieux avant 1948?

Les sionistes religieux face au sionisme politique

Si le sionisme politique a rencontré, à sa naissance, des oppositions violentes et durables au sein du monde religieux juif, pour la majorité des juifs orthodoxes du xixe siècle, l’État juif de l’Antiquité avait été détruit par la volonté de Dieu et ne pouvait être recréé que par une action directe de Dieu, à savoir l’envoi de son messie.

Il n’en demeure pas moins que parmi ses précurseurs se trouvaient des rabbins (Kalischer, Alkalaï) et que, en dépit de son caractère originel laïc, certains penseurs religieux vont très rapidement considérer qu’il importe, non de s’y opposer de l’extérieur, mais de le pénétrer pour lui apporter le contenu spirituel hérité de la tradition religieuse.

Le premier, Yehuda Shlomo Alkalai (1798 – 1878), développa ses idées dans son ouvrage « Goral la-Adonai » (Beaucoup pour le seigneur), publié à Vienne, en 1857. Le second, Zvi Hirsch Kalischer (1795 – 1874) publia un ouvrage en deux volumes « Sefer Emouna Yeshara » (Livre de la Foi Juste), dont les volumes sortirent en 1843 et 1871.

Deux aspects principaux transparaissaient dans leurs œuvres :

– un aspect plutôt laïc, par la construction d’un État pour les Juifs persécutés afin d’améliorer leur sort. Ils étaient ainsi en phase avec les réflexions d’autres intellectuels juifs de leur temps, comme Moïse Hess. Le rav Kalischer, en particulier, avait proposé aux juifs de créer et d’adhérer à des associations visant à s’implanter dans la Palestine ottomane.

– un aspect plus religieux, en considérant que les droits civiques accordés aux Juifs dans certains pays, comme la France, annonçaient le temps de la rédemption. Mais, devant aussi être une œuvre humaine, il devenait une obligation pour les Juifs de se rassembler en Eretz Israël.

Cette interprétation, qui mettait une part de la rédemption des Juifs entre des mains humaines, a provoqué de vives critiques chez la majorité des Juifs orthodoxes de l’époque.

C’est dans cette optique que sera créé en 1902 à Vilnius par le rabbin Reines le mouvement sioniste religieux Mizrahi (acronyme de Merkaz Rouhani) Centre spirituel, mais qui, pris en tant que mot, signifie aussi « oriental » c’est-à-dire tourné vers Jérusalem.

Le Mizrahi professe que la Torah devrait être au centre du sionisme et considère le nationalisme juif comme un moyen d’atteindre des objectifs religieux.

La démarche d’alors est dominée par la volonté d’une collaboration étroite avec les autres branches du sionisme, y compris les marxistes du Poale Zion qui venait juste d’être fondé. Le mouvement Mizrahi fait d’ailleurs partie de l’Organisation sioniste mondiale, avec pour volonté de « rejudaïser » le sionisme (au sens religieux), mais aussi de participer au retour des juifs.

Le mouvement a, à l’époque, un poids assez limité au sein du mouvement sioniste mondial : ce sont surtout les sionistes de gauche qui dominent en Palestine mandataire et les sionistes libéraux (sionistes généraux) qui dominent l’Organisation sioniste mondiale (jusqu’en 1931).

Globalement, le Mizrahi est resté allié aux organisations dominantes du sionisme depuis sa création. Après 1933, le contrôle mondiale (et palestinien) de l’Organisation sioniste mondiale passe aux travaillistes du Mapaï, toujours allié avec le mouvement Mizrahi.

Le Mizrahi fut le premier parti sioniste religieux officiel, fonda le ministère des affaires religieuses en Israël et soutint fortement les lois renforçant l’observance de la cacherout et du shabbat sur les lieux de travail.

Le Mizrahi, alimenté par la réflexion et les écrits du rabbin Kook, grand rabbin de la communauté juive de Palestine, demeurera un courant minoritaire et néanmoins influent du mouvement sioniste.

Le Rav Kook  l’un des penseurs du sionisme religieux

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L’oeuvre du Rav Kook a été popularisé les études du Le Rav Yehouda Léon Askénazi -Manitou

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Un immense érudit en Torah, qui n’a pas suivi l’appel de certains Rabbins de ne pas monter en Erets Israël. Comme Grand Rabbin de “Palestine” il n’a pas ménagé ses efforts pour concilier les contraires.

Le Rav Avraham Yts’hak HaCohen Kook, est décédé à l’âge de 70 ans le 3 Elloul 5695, le 1er septembre 1935. Ce jour-là le deuil porté par le Yshouv (nom donné à Israël et à sa population de l’époque) fut lourd.

Ceux qui ont profité de son soutien sont d’abord les pionniers et les agriculteurs à 99% complètement laïcs et souvent même antireligieux. Cet appui, même s’ils ne l’ont quasiment jamais avoué, leur a été d’une aide précieuse et indispensable.

Le Rav voyait en ces pionniers tout d’abord des Juifs qui travaillaient la Terre sainte. Ces laboureurs et ces bâtisseurs étaient pour lui des membres à part entière de la prochaine et finale rédemption.

Marié à 19 ans, veuf et père d’une petite fille deux ans plus tard, il s’est remarié avec la cousine de sa première femme. Très jeune il est nommé Rav de la ville de Zeïmel. Ces années-là, il avale littéralement les livres de philosophie juive et de Cabale. Son premier livre de Torah, qui connut un énorme succès, fut consacré aux lois concernant la mise des Téfilines et leur emplacement exact.

Réputé pour son érudition, il fut choisi comme Grand Rabbin de la ville de Boysk, communauté très prospère.

Le Rav Kook monta en Terre Sainte en 1904 car la communauté juive de Jaffa l’appella comme rabbin. Jaffa était alors la capitale des établissements juifs de Palestine et le Rav Kook arrive avant la naissance de Tel-Aviv. La petite ville était aussi la capitale des nouveaux villages agricoles juifs qui se développaieent depuis 1880; il est nommé “Grand Rabbin de Jaffa et des villages agricoles environnants”.

Le Rav se lia avec les leaders ouvriers, soutint l’implantation agricole et fit la promotion des cédrats; il souligna que les acheter est une forme de soutien à l’agriculture juive. Jaffa était alors le creuset d’idées nouvelles d’intellectuels hébraïques, laïcs et athées, qui cependant écoutaient le Rav Kook ; ainsi Ben Yehouda, qui a renouvelé l’hébreu pour en faire une langue vivante fit appel au Rav Kook pour ses travaux.

Le Rav Kook mèna une polémique contre des rabbins de Jérusalem au sujet de l’année sabbatique (laisser la terre en jachère pendant une année tous les sept ans). Le Rav défendait l’idée de  la prorogation de l’autorisation d’utiliser la fiction juridique de vendre la terre pendant une année instaurée par les autorités halakhiques précédentes, afin d’éviter l’effondrement de l’agriculture.

Dans sa dernière responsa, il cita un texte terrible du Rabbi Haïm de Vologine qui parle « de ceux qui sont sages pour faire le mal »! Cette polémique sur l’année sabbatique devint un débat halakhique mondial.
Il décida que le Talmud ne serait plus la seule matière enseignée. Il ajouta à l’enseignement la philosophie juive et des cours sur l’intériorité de la Torah. Il instaura un cours sur le Kouzari, ouvrage central de la pensée juive médiévale. Pour le Rav Kook, il fallaitt sanctifier le profane et non l’éliminer.

En 1913, première tournée composée des rabbins de Jérusalem et du Rav Kook dans les villages agricoles environnant Jaffa et en Galilée. Pour la première fois depuis des siècles les Juifs pouvaient travailler la terre de leur main et s’en nourrir et qui plus est en Terre Sainte. Le sionisme était encore loin de faire l’unanimité chez les Juifs.

Montèrent en Terre Sainte, 35 000 Juifs entre 1882 et 1903, 40 000 entre 1904 et 1914 alors qu’il y a 10 millions de Juifs dans le monde. Les sionistes étaient minoritaires. Pour le Rav Kook, il n’y a aucun doute : le sionisme était l’avenir, il initia la Rédemption annoncée par les Prophètes.

Il était peiné de voir la déchirure entre le nouveau mouvement religieux “Mizra’hi”** et celui de l’Agoudat Israël. Il ne put, malgré d’innombrables efforts, y remédier. Il voyagea même en Suisse en 1914 pour le Congrès mondial de l’Agoudat Israël, mais sans succès.

La Première Guerre mondiale l’a surpris en Europe mais durant ces quatre ans il n’a pas perdu de temps. Au poste de Grand Rabbin de Londres il a œuvré et influencé le gouvernement britannique en vue de ce qui est devenu plus tard la Déclaration Balfour.

De retour en Israël, il consacra son énergie à la création du Grand Rabbinat Central. A l’époque n’existait que le poste de ‘Hakham Bashi*** et son institution agrée par l’empire ottoman. En 1920 il fut choisi comme premier Grand Rabbin Ashkénaze de “Palestine”.

En 1923, il créa la “Yechiva centrale mondiale” connue aujourd’hui sous de le nom de “Merkaz Harav” à l’entrée de Jérusalem. Dans celle-ci il introduisit l’étude de la philosophie juive, et, chose impensable à l’époque dans les Yechivot ashkénazes: l’étude devait se faire en Hébreu!

Il ne craignait nullement l’administration du mandat britannique. Ses critiques non voilées en étaient la preuve. Il se démena pour éviter la peine de mort à Avraham Stavsky, condamné à tort pour le meurtre d’Arlozorov. Meurtre mis sur le compte de la droite par les dirigeants de la gauche politique.

Le rav Kook avait une foi aveugle dans la réalisation des prophéties, et, comme tout juif croyant, il eut bien raison.

Ses nombreux livres aujourd’hui servent de guide dans une société israélienne où le profane et le Kodesh s’opposent fréquemment sans pour autant comprendre, disait-il, qu’ils font partie du même plan divin.

Cette très grande personnalité a cherché constamment à rapprocher les camps opposés, à relier les divergences recherchant toujours la Paix.

Mizrahi: bilan

Mizrahi répondit aux besoins de son époque en créant une aile ouvrière (Hapoel Hamizrahi) l’ouvrier du mizrahi, un mouvement de Kibbutzim religieux appelé à un essor certain après la création de l’Etat d’Israël, et une organisation de jeunesse importante, le Bnai Akiva.

Il joua un rôle majeur dans la création de l’État d’Israël, construisit un réseau d’écoles religieuses persistant à ce jour et prit part aux élections législatives israéliennes de 1951

Traditionnellement représenté à la Knesset par le parti Mafdal, il connut depuis plusieurs années une crise politique importante et n’était plus représenté au Parlement israélien de façon unifiée.

Adaptation par JG

source 1 Haïm Adar

*Hassidout: ce mot désigne dans le judaïsme une manière pieuse de se conduire envers son Créateur. Il a un deuxième sens depuis 300 ans avec la création par le Baal Chem Tov d’une approche différente du judaïsme jusqu’alors connu et pratiqué en Europe dans les communautés Ashkénazes.
**Il faut savoir, que contrairement à nos jours, le Mizra’hi était un mouvement très religieux, “orthodoxe”. La tenue vestimentaire et la pratique stricte des commandements divins étaient les mêmes que chez les opposants au sionisme politique.
*** Institution de l’époque turque, où le rabbin Sépharade, en place était le représentant de la communauté et en charge de la gestion de la vie juive, de certaines taxes et du fonctionnement de tribunaux rabbiniques.

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Yeoshoua

Entièrement d’accord avec vous Mr Habib

Maurice HABIB

Très vrai, mais l’auteur aurait pu remonter un peu plus loin dans le temps : il aurait décrit les alya successives des séfarades kabbalistes (après l’inquisition), des élèves du Baal Chem Tov, ainsi que des élèves du Gaon de Vilna au 19ème siècle.
Le Gaon de Vilna a lui-même envoyé une vingtaine de ses élèves les plus motivés au début du 19ème siècle, avec pour missions de travailler la terre, réhabiter Jérusalem, construire des villages, etc etc… d’ailleurs chacun devait emmener une pioche dans son sac à dos… Les descendants de ces élèves auront construit ce qui est aujourd’hui devenu de nombreuses villes en Israel, notamment Petah Tikva, et même la garde armée à cheval (en gros des ultr orthodoxes Lituatiens à cheval avec des bâtons pour chasser les voleurs qui pullulaient), et qui est devenu l’embryon de Tsahal ….
Bref, l’amour de la terre d’Israel n’est absolument pas un concept anti-religieux comme certains voudraient le croire, encore aujourd’hui, bien au contraire.
A notre génération de réconcilier l’amour de la terre d’Israel, du Am Israel, et de sa tradition, la Torah de Moshé