l s'agit des premières manœuvres communes Iran-Irak depuis 1979 (photo d'illustration).@ AHMAD AL-RUBAYE / AFP

REFERENDUM POUR L’INDEPENDANCE DU KURDISTAN :

UNE FAUSSE BONNE IDEE ?©

 

Par Michel Rozenblum

 

Le 25 septembre 2017, les dirigeants kurdes d’Irak ont réalisé un référendum local sur le sujet de l’indépendance du Kurdistan irakien. Une bonne idée ?

Si les Kurdes ont connu leur heure de gloire avec Saladin, vainqueur des Croisés, ou sous le nom de « Mèdes » fondateurs d’un empire, force est de constater que, comme le peuple Juif, ils sont globalement des victimes de l’Histoire et des appétits des peuples conquérants. Sauf qu’ils bénéficièrent de périodes parfois longues (trois siècles du 16ème au 19ème siècle) d’autonomie, en contrepartie d’un rôle essentiel dans la défense des frontières de l’empire ottoman.

Les Kurdes se rappellent de l’« âge d’or » où les régions kurdes étaient autonomes. Aujourd’hui, les Kurdes sont présents dans plusieurs pays, dans lesquels ils forment des minorités qui ont été de longue date méprisées et opprimées.

Cette oppression allait jusqu’à leur interdire de parler leur propre langue.

L’impasse actuelle est la conséquence des décisions unilatérales du colonialisme européen du 19ème siècle, et plus précisément de l’impérialisme britannique dans ce cas particulier. Les territoires ont été découpés arbitrairement, comme ce fut le cas en Afrique, pour satisfaire des dirigeants dont on espérait faire des « clients » et pour créer des sources potentielles de conflits en divisant pour régner, politique dans laquelle l’Empire britannique excellait.

C’est aussi le refus d’application, en Turquie,  du Traité international de Sèvres signé par les alliés (France, Etats-Unis et Grande Bretagne) avec l’empire ottoman, à la fin de la Première Guerre Mondiale, qui, le 10 août 1920, suggérait dans la section III (art 62-64) du traité, la création d’un Kurdistan indépendant sur une partie du territoire de l’empire ottoman.  Comme la déclaration Balfour à peu près à la même époque, ce traité ne fut pas respecté, les forces ottomanes sur le terrain s’opposant à son application.

Etre minoritaire, c’est être soumis aux caprices et persécutions de la faction religieuse ou ethnique au pouvoir et bénéficier de conditions économiques et culturelles inférieures aux citoyens issus de l’obédience du dirigeant dominant. La minorité représentée par Assad en Syrie a échappé à cette domination en prenant le pouvoir et en favorisant principalement les citoyens issus de ses rangs.

Etre minoritaire (ou être exclu du pouvoir parce que celui-ci est détenu par une minorité, comme en Syrie, ou du temps de Saddam Hussein, comme en Irak) c’est aussi voir sa propre culture rejetée au profit de la culture dominante et être obligé de s’« assimiler » ou de « collaborer » avec la structure dominante, et notamment de lutter contre ses propres frères au profit de ceux qui les oppriment. Les Juifs ont connu cela, l’Inquisition constituant l’une des plus spectaculaire des persécutions religieuses subies, en dehors de la Shoah et des exils suivant la destruction du Temple par des envahisseurs.

La culture, la religion, l’histoire spécifique des Kurdes, justifieraient l’existence d’un Etat indépendant, dans les régions où ils sont majoritaires, en Turquie, Syrie, Irak et Iran.

L’Etat d’Israël est l’un des seuls à soutenir une telle indépendance, non pas par compassion mais parce que l’existence d’un Etat kurde indépendant permettrait de créer une zone tampon, et une zone d’action, grâce à l’octroi de facilités aériennes et terrestres, pour prendre à revers la Syrie et faciliter les actions de renseignement et de riposte contre l’état islamique d’Iran.

La coopération est ancienne et a connu ses heures de gloire.

Elle ne s’est pas arrêtée mais s’est faite récemment plus discrète, l’Etat hébreu, pour des raisons économiques (relations commerciales) et sous la pression des Etats-Unis, ayant réduit son assistance au cours des dernières années. La Turquie, même si elle donne des signes d’inquiétude aux pays de l’OTAN en regardant du côté de la Russie et en achetant ses armements, est un membre essentiel de l’organisation. Ses soldats sont réputés et l’idée que la Turquie bascule vers la Russie « donne des migraines » à plus d’un stratège occidental.

La plupart des Etats sont opposés à l’idée d’un Kurdistan indépendant.

Les Etats-Unis ont fourni des armements aux forces kurdes mais se sont bien gardés de les équiper avec des défenses anti-aériennes, en dehors de quelques lanceurs, et n’ont pas, à notre connaissance, formé de pilotes d’avions de combat. Les livraisons en matériels blindés et en canons sont aussi restées limitées sous l’influence des pressions de Erdogan, le dirigeant de la Turquie.

L’opposition de la Turquie à l’indépendance du Kurdistan irakien n’est pas la seule raison du rejet d’une telle indépendance par l’ensemble des « pays de l’Ouest ». La crainte d’un effet « domino » est bien réelle, y compris dans le Golfe persique, en raison des tensions entre communautés et des volontés indépendantistes qui se manifestent périodiquement. Sans compter les risques de conflits de ce genre en Afrique.

Pourtant, quand ils ont pensé y trouver avantage, les pays occidentaux ont tout fait pour favoriser le dépeçage de l’ex Yougoslavie, créant des inimitiés qui, un jour, pourraient se traduire par des conflits de voisinage.

En cela, comme au 19ème siècle, ils ont agi avec un total cynisme, les arguments moraux masquant des intérêts tout à fait terre à terre.

Une population kurde divisée, prompte à des combats fratricides

Une phrase célèbre proclame, « Dieu, protège-moi de mes amis, mes ennemis ne m’en charge ». Ce cri, qui pourrait s’appliquer dans beaucoup de lieux et de milieux, est particulièrement vrai lorsque l’on s’intéresse à la population kurde.

Les différences entre kurdes irakiens, syriens, turcs ou iraniens sont grandes. Un peu comme les distinctions que l’on retrouve en Afghanistan.

Des clans se sont souvent affrontés par les armes.

Leurs leaders poursuivent leurs objectifs personnels.

Il n’y a pas d’unité.

Pire, dans certaines circonstances, certains leaders seraient près à mettre leurs forces à la disposition de l’Etat où ils résident pour écraser un clan concurrent.

Tentative de conciliation, ou ruse pour remettre en cause l’indépendance ou justifier une intervention armée contre les Kurdes : les propositions d’autonomie présentées par le gouvernement irakien, sous la pression notamment des Etats-Unis, sont ambiguës.

Les dirigeants kurdes d’Irak ont refusé les dernières propositions des autorités irakiennes, soutenues par les pays occidentaux, de renoncer à l’indépendance en contrepartie de l’obtention d’une autonomie et de l’ajout de territoires supplémentaires, autour de Mossoul, notamment, à leur zone de compétence.

Cette promesse était celle d’un Etat faible. L’Irak, une fois débarrassé de la menace islamiste, respectera-t-il ses engagements ? Il est permis d’en douter. Le gouvernement actuel est encore faible et est conduit aux atermoiements pour gagner du temps. Tôt ou tard, l’autonomie sera remise en cause. Par le pouvoir en place ou par l’un de ses successeurs.

Une volonté d’indépendance ressentie comme une provocation et un danger mortel par les pays voisins, mais pas seulement par ces pays, en raison de la contagion possible de l’esprit d’indépendance dans la région.

L’annonce d’un référendum sur l’indépendance est comme un chiffon rouge agité devant, non seulement les dirigeants irakiens, mais aussi devant les Syriens, les Iraniens et les Turcs qui craignent une contagion sur leur propre minorité kurde, malgré les rivalités, parfois sanglantes, qui opposent les diverses populations kurdes.

Les Turcs n’ont pas hésité à bombarder par priorité les forces kurdes de Syrie, de préférence aux islamistes de DAECH pour contenir la poussée kurde vers l’Ouest et vers la frontière turque. Une alliance des pays frontaliers est donc probable en cas de déclaration d’indépendance en Irak.

Les Russes aussi, sous prétexte d’appuyer les forces du président Assad, ont pilonné les forces d’opposition syriennes qui comprennent un contingent important de combattants kurdes. Seule l’interposition américaine, et quelques déboires dans des affrontements directs avec les Kurdes, ont limité les attaques des Turcs à l’intérieur du territoire syrien.

Le référendum a eu lieu, et il s’est prononcé pour l’indépendance.

Va-t-on voir se constituer une coalition qui pourrait comprendre les Turcs, les Syriens du président Assad, les Forces irakiennes et les armées iraniennes, toutes équipées d’une aviation pouvant faire la différence au sol. Les Russes pourraient aussi apporter leur assistance militaire.

Car tous ces pays ont une véritable hantise d’un Etat indépendant kurde, certes pour des raisons très différentes, mais des raisons suffisamment puissantes pour qu’une alliance de circonstance puisse se mettre en œuvre.

Première étape de la lutte contre l’indépendance : la guerre économique

Le référendum kurde a obtenu 90% de votres positifs, ce qui est réellement impressionnant. Mais le territoire kurde est enclavé, son débouché vers le Golfe Persique peut facilement être coupé, soit sur terre, soit par un blocus naval.

Toutes ses importations et exportations passent, soit par l’Irak, soit par les pays voisins. Le pétrole est en grande partie exporté via la Turquie.

La première riposte des Etats voisins et de l’Irak a été d’interrompre les communications aériennes, de poster des soldats aux frontières et de taxer, ou d’empêcher le transit, des marchandises allant vers, ou provenant du Kurdistan indépendant.

Ce qui n’est pas sans effets sur les Etats pratiquant le blocus puisque de nombreuses entreprises travaillent avec le Kurdistan, voire y envoient des travailleurs.

L’essentiel des revenus permettant de payer les salaires des fonctionnaires, des soldats, des retraités provenant du pétrole, l’arrêt des exportations porte un coup terrible à l’économie du pays. A la pénurie monétaire risque de s’ajouter la pénurie alimentaire, le risque de coupures d’électricité qui metterait fin à toute activité économique.

Un marché parallèle se met en place, mais sera-t-il suffisant pour combler la chute des ressources ?

Les voisins du Kurdistan indépendant espèrent que le blocus sera suffisant pour mener ses dirigeants à meilleure composition. En attendant, ils se préparent à une intervention militaire.

Le gouvernement de Bagdad dispose, en sus du blocus des relations commerciales et aériennes, d’une arme économique qui pourrait s’avérer plus efficace que l’argument militaire.

Si l’on en juge par un article récent du Times of Israël, l’intervention militaire des autorités irakiennes ne sera toutefois pas forcément nécessaire. Bagdad dispose d’un argument de poids : la subvention qu’il verse au Kurdistan irakien qui représente avec 12 milliards de dollars,  17% du budget national. Cette subvention représentait 80% des recettes de la région et permettait de payer leurs salaires aux fonctionnaires et aux peshmergas.

Du fait de l’avancée des islamistes et de leurs exactions, de nombreux réfugiés ont rejoint le territoire des Kurdes d’Irak, pesant lourd sur le budget de leur autorité. Les réductions de salaires importantes, 60%, n’ont pas suffit à absorber le déficit et le gouvernement autonome kurde se trouve en cessation de paiement, incapable de verser les rémunérations des 1,2 millions de fonctionnaies et retraités.

Le Kurdistan produit en moyenne 600 000 barils par jour dont 550 000 b/j sont exportés via Ceyhan en Turquie. La Turquie pourrait, du jour au lendemain fermer les robinets de ses pipe-lines.

C’est donc une situation à hauts risques pour les Kurdes, s’ils décidaient de mettre leur menace d’indépendance à exécution.

L’argument pétrolier joue-t-il en faveur de l’indépendance kurde ?

La Russie a obtenu des droits d’exploitation pétrolière au Kurdistan irakien. On pourrait penser qu’elle serait réticente à mettre en danger cette ressource en s’opposant à l’indépendance.

Mais la Russie a besoin d’une remontée des cours du pétrole pour financer sa politique de reconquête et de réarmement.

Le rapprochement récent avec l’Iran, les ouvertures vers la Turquie pour la construction d’un pipe-line s’expliquent sans doute par ce besoin vital.

Les Kurdes, de ce point de vue, représentent plus un handicap qu’un avantage.

A la fin des combats contre l’Etat islamique, si la guerre économique ne suffit pas, on peut s’attendre à une attaque généralisée contre les Kurdes.

Le risque d’intervention s’accompagnant du bombardement des populations civiles, comme c’est largement le cas dans cette région, est très probable. Les « dégâts collatéraux » que l’on constate régulièrement dans les opérations des coalisés en Irak, en Syrie et au Yémen montrent que la sécurité de la population civile ne constitue pas une préoccupation majeure dans la région.

Le risque est patent, même en l’absence de déclaration d’indépendance : l’autonomie prise  de fait par les Kurdes est ressentie comme un danger et une menace pour l’Autorité de Bagdad.

Dans le cadre d’une attaque coordonnée de plusieurs Etats, appuyée par l’aviation et l’artillerie, de la destruction systématique des moyens de subsistance et de communication, les pertes civiles pourraient être très importantes.

La « nation » kurde n’est pas constituée d’une unité homogène. Des clans concurrents visent des objectifs différents. Certains servent les intérêts de la puissance dominante, comme une fraction des Kurdes d’Iran. Ces factions opposées pourraient se mettre au service des puissances venant combattre les indépendantistes en Irak. Des affrontements ont déjà eu lieu dans le passé entre factions kurdes.

Les Pasdarans, « gardiens de la Révolution » iranienne, et le Hezbollah pourraient être mis à contribution dans l’écrasement de la sécession kurde.

L’armée « classique » kurde pourrait-elle s’opposer à la force aérienne alors qu’elle n’est pas équipée pour y faire face, comme l’indique le très faible nombre d’appareils perdus par les turcs lors de leurs bombardements et l’absence de pertes russes lors de leurs pilonnages des forces rebelles ?

Les autorités kurdes devraient à un moment, soit se rendre, soit transformer leur combat en un combat de guérilla, en profitant du relief et de leur connaissance du terrain.

Il en serait différemment si les Etats-Unis décidaient, compte tenu de la lente, mais dangereuse et inexorable dérive du président turc, de prendre le risque de soutenir les Kurdes dans leurs revendications. Mais il faudrait que cette décision soit accompagnée d’une démarche diplomatique habile auprès du leader turc pour éviter une rupture de la Turquie avec l’OTAN et son basculement à l’Est, voire vers une politique internationale agressive comme celle de l’Iran.

La tension avec la Russie monterait de plusieurs crans, de même qu’avec les autorités irakiennes.

Mais une telle action serait, peut-être, finalement, une réponse plus efficace à la nucléarisation iranienne et à l’hostilité croissante de la Turquie que les imprécations et menaces du président Trump, imprécations qui soulignent surtout l’impuissance de ce président.

Les Etats du Golfe, dont l’Arabie Saoudite, aideront-ils les Kurdes ?

L’Arabie Saoudite et une partie des Etats du Golfe s’inquiètent des appétits iraniens et de la menace qu’ils représentent de plus en plus pour leurs régimes. Après une premiière intervention musclée contre les Chiites d’un Etat du Golfe, l’intervention au Yémen est un signe alarmant des effets de la montée en puissance de l’Iran.

Cette intervention au Yémen avait contraint les Etats du Golfe de retirer leurs forces aériennes du front syrien pour le reporter sur leur frontière de l’Est.

Et surtout la création d’un axe chiite qui va de l’Iran à la Méditerranée en incluant l’Irak, la Syrie et le Liban représente une situation intolérable pour les Etats sunnites.  

S’ils ne réagissent pas, certains Etats du Golfe pourraient basculer aussi dans la sphère chiite iranienne et les Etats restants seraient encerclés, étouffés, par des Etats hostiles.

La création d’un Etat Kurde indépendant, qui briserait la continuité chiite à l’Ouest et focaliseraient une partie des forces armées de l’Iran et de ses alliés serait donc en apparence la bienvenue.

A l’heure où ces lignes sont écrites, il n’est pas encore fait état, dans la presse, d’une aide Saoudienne aux Kurdes et il n’est pas certain que ce pays envisage de s’engager dans un soutien autre que symbolique. Avec l’engagement actuel au Yémen, il n’est pas évident que les Saoudiens puisse mobiliser assez de moyens pour s’engager sur deux fronts, d’autant plus qu’ils auraient à faire face potentielllement à trois pays hostiles à l’indépendance du Kurdistan :, l’Irak, l’Iran et la Turquie(la Syrie (étant pour l’instant incapable de mobiliser des troupes pour ce conflit).

De plus, les Saoudien pourraient être soumis à une pression américaine pour ne pas intervenir sur ce front.

La contagion de l’autonomie, voire de l’indépendance gagne les Kurdes de Syrie, à la fureur de Erdogan et d’Assad.

En mars 2016, les territoires semi-autonomes kurdes de Syrie annoncèrent la création d’une « région fédérale » faisant avaler de travers les dirigeants turc et syrien.

Les élections locales qui en ont résulté et qui se poursuivront dans les mois qui viennent inquiètent en effet ces dirigeants et pourraient favoriser une intervention militaire précédée éventuellement d’un blocus économique.

Le spectre d’une guerre civile opposant les Kurdes d’Irak et de Syrie aux gouvernements reconnus internationalement

Les mouvements indépendantistes sont favorisés par l’aliénation ressentie par des populations souvent méprisées et tenues à l’écart par les gouvernements en place, par les spécificités ethniques, culturelles et religieuses, mais aussi par la démagogie de leaders qui  recherchent leurs intérêts à court terme, au point de ne pas saisir les enjeux ni prendre conscience de la disparité des forces en présence.

Zones enclavées dans des pays hostiles à toute indépendance kurde, les territoires promis à l’indépendance risquent d’être victimes de l’ambition de leurs dirigeants, au prix d’une catastrophe humanitaire.

En l’absence de soutien de grandes puissances et en raison de l’enclavement du pays au milieur de pays hostiles à toute séparation, les velléités d’indépendance du Kurdistan irakien risquent de faire long feu.

Michel Rozenblum

Institut de Stratégie Internationale et de Simulation I.S.I.S.

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires