Les chasseurs de Juifs hollandais qui ont massivement aidé les occupants nazis

Manfred Gerstenfeld interviewe Ad van Liempt

« Quand j’ai arrêté de travailler en 2010, les Archives Nationales m’ont proposé que j’étudie les Archives Centrales du Tribunal Spécial d’après-guerre. Elles contiennent les dossiers d’enquête et de condamnations des citoyens hollandais qui ont le plus fortement collaboré avec les occupants allemands.

« En 2000, ces archives pas très ordonnées sont devenues accessibles au public et ainsi mises à disposition de la recherche. Les premières recherches que j’y ai menées ont débouché sur mon livre de 2002 : Kopgeld, Nederlandse premiejagers op zoek naar Joden. (Combien (d’argent) par tête? Les chasseurs de prime hollandais traquant les Juifs). Après avoir lu les premiers rapports individuels, j’avais besoin de sortir pour respirer l’air frais. Ces documents contenaient des choses tellement horribles que je me demandais : « Comment est-ce possible que ce ne soit pas connu du grand public? »

 

Ad van Liempt, journaliste et historien, est né en 1949 à Utrecht. Il a écrit 21 livres. Plusieurs d’entre eux concernent la Seconde Guerre Mondiale.

« Hanns Albin Rauter, un Autrichien, était l’officier SS le plus gradé aux Pays-Bas. Il a proposé d’offrir des primes pour l’arrestation de Juifs, dans un câble envoyé à Himmler, le plus haut commandant des SS. Le fait d’offrir des primes à des chasseurs de Juifs spécialisés dans cette tâche – des policiers et des citoyens volontaires – ne s’est déroulé, à ce que j’en sais, dans aucun autre pays. Cela explique, en partie, le nombre relativement élevé de Juifs arrêtés et déportés des Pays-Bas.

« Les chasseurs de têtes juives de la fameuse colonne Henneicke, agissant à titre privé – d’après le nom de son dirigeant – ont arrêté entre 8500 et 9000 Juifs. Kopgeld traitait avec eux. Des nombres identiques ont été arrêtés par les unités spéciales de la police hollandaise.

Selon mes calculs les plus prudents, approximativement 15.000 Juifs ont été arrêtés par des chasseurs spécialisés dans cette traque aux Juifs. Ce chiffre est substantiellement plus élevé que ceux publiés par les précédents historiens. Certains des Juifs arrêtés ont évité la déportation vers l’Europe de l’Est en s’échappant.

« J’ai écrit un autre livre avec un groupement de jeunes historiens. Publié en 2012 sous son titre : Jodenjacht, de onthutsende rol van de Nederlandse politie in de Tweede Wereldoorlog. (La chasse aux Juifs. Le rôle choquant de la police hollandaise au cours de la Deuxième Guerre Mondiale). Ce livre traite des recherches lancées contre les Juifs par les unités spéciales de la police. On ne choisissait que les policiers les plus motivés. Presque tous appartenaient au Parti Nationaliste Socialiste Hollandais (NSB). Un seul policier a déclaré : « Ce n’est pas un travail pour moi ».

Il s’est retiré et n’a pas été sanctionné. Cela illustre que la chasse aux Juifs était exécuté par un petit groupe de policiers hollandais fanatiques. Ils ont ainsi participé au processus illégal consistant à pourchasser des citoyens innocents qui seraient plus tard assassinés au nom d’une idéologie mortifère.

« Cette chasse ne visait pas uniquement les Juifs cachés – ni des membres de la résistance. Les policiers ont aussi arrêté, par exemple, les Juifs qui n’avaient pas suivi les ordres de se faire inscrire sur des registres en vue de leur arrestation. La police bénéficiait souvent de tuyaux. Nous avons mener des investigations sur 250 dossiers de ces policiers et tenté de retrouver le nom de leurs victimes. Il est important pour les membres survivants des familles de savoir où leurs parents ou grands-parents ont été arrêtés et par qui. C’est également vrai pour les gens issus de la résistance.

« Nous avons aussi tenté d’élucider la façon dont la chasse aux Juifs et aux combattants de la résistance a été menée par la police. Le fait d’enquêter sur les pires policiers génère une vision très sombre de ce qu’est l’humanité. Je dis toujours aux gens :  » Ne lisez pas ce livre avant d’aller vous coucher ». Globalement, il y a probablement plus de policiers néerlandais qui étaient du « bon », plutôt que du « mauvais » côté.

A propos du refus catégorique du gouvernement hollandais de présenter des excuses à la communauté juive pour l’échec de ses prédécesseurs en exil à Londres, Van Liempt déclare : « Je ne parviens pas à comprendre pourquoi des gouvernements hollandais successifs ont eu autant de difficultés à admettre cet échec et à présenter des excuses. Nos dirigeants politiques ne sont pas souvent généreux en matière de reconnaissance et d’excuses.

« Nous sommes très forts dans le domaine du floutage des questions. La société néerlandaise La société néerlandaise se structure autour de ça. Notre élite s’est particulièrement distinguée dans l’usage du langage de dissimulation. Rien qu’un exemple : en 2005, le ministre néerlandais des Affaires étrangères, Ben Bot, a déclaré que les Pays-Bas avaient été du mauvais côté de l’histoire, au moment de l’indépendance de l’Indonésie. Il a utilisé une belle expression qui, en même temps, diluait à haute dose sa façon d’admettre la vérité du bout des lèvres.

« La difficulté à admettre des erreurs ou des fautes fait partie de la nature humaine. Cette attitude est haute développée aux Pays-Bas. Personne ne veut non plus être responsable de paroles qui peuvent avoir des conséquences financières. Nous devons être infatigables dans la présentation des faits sur lesquels le public peut se faire son jugement. On peut seulement regretter que les autorités néerlandaises agissent de façon aussi lâche face à ces questions ».

Van Liempt conclut : « Je travaille, actuellement, sur une biographie d’Albert Gemmeker, le commandant allemand de Westerbork. C’était le camp de transit des Pays-Bas d’où les Juifs Néerlandais étaient déportés en Europe de l’Est pour y être ensuite assassinés. Il est surprenant qu’un homme qui ait été responsable de la déportation de 80.000  Juifs ait pu être condamné par un tribunal néerlandais à seulement dix ans de prison. Il a été libéré au bout de six ans et il est retourné à Düsseldorf en Allemagne. Et il vit là, tranquillement, depuis 31 ans, un homme qui porte une si lourde culpabilité »…

Le Dr. Manfred Gerstenfeld a présidé pendant 12 ans le Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem (2000-2012). Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

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Wildstein Charles

En Belgique ceux qui denoncaient des Juifs recevaient une prime de 200 frb de l’epoque . Aux Pays bas , bien avant la Shoa , il fallait declarer sa religion a la mairie , ceci jusque dans les annees 1990 . Ceci pour les subsides alloues aux differentes religions . C’est ainsi que le Winkler Prins en 20 volumes de 1967 pouvait donner des chiffres axacts de l’appartenance religieuse des habitants d’une ville . Pas des environs 40 % , mais des % précis au centieme de % [ 41,17 ou 56,61 ]

Jarl

Terrible! On devrait cependant préciser que la déportation n’était pas vers les Pays dits « de l’Est » mais directement vers les camps allemands de la mort que Hitler a construit chez lui et là en Europe où bon lui semblait. Les gens allaient directement à la mort et n’allaient pas avant passer du temps à un autre endroit en Europe simplement pour être éloignés de chez eux ou d’une terre « germanique ». Quelque chose qui fait aussi penser à un film de Verhoeven…

Réal Bergeron

Existe-t-il un pays en Europe qui n’aurait pas vendu ou éliminé ses Juifs au nom du nazisme ?

L’histoire de la Shoah en sol européen, doit être enseignée pour le bien mémoriel de l’humanité.

Outre la Shoah dans les chambres à gaz, il en existe une autre plus répendu et hypocrite dans un mutisme historique, c’est la Shoah par balles.