On a beaucoup glosé sur l’insurrection du ghetto de Varsovie, qui va très au-delà du symbole qui s’est forgé, mais aussi des légendes qui l’ont accompagnée, dans une volonté de donner une version « officielle », parfois controversée, en certains points du récit :
par exemple, l’a emporté la version d’une OJC (Organisation Juive de Combat) comme unique emblème de la révolte, ralliant tous les courants, en une vision plutôt « socialiste » des courants dominants au sein du ghetto ; or, les Sionistes, de gauche (Poale Zion) comme de droite (Bétar), ont été très actifs, dans l’approvisionnement en armes, et en formant parfois leurs propres groupes combattants (ZZW). Surtout, ils ont contribué à apporter des modifications tactiques, notamment dans l’aménagement de tunnels et de véritables bunkers souterrains, dès janvier 1943, qui ont énormément compliqué la tache des forces de Stroop, venues les déloger.
De même, on a souvent totalement occulté la participation à l’intérieur même du ghetto, de quelques commandos de l’AK, qui sont parvenus à se glisser et à prêter main forte aux insurgés juifs. On voit qu’il y a derrière ces écrans de fumée idéologiques, de véritables conflits de sens que certains cherchent à exacerber. Tout simplement, l’image d’abandon total des Juifs de Pologne risquerait d’être écornée, en signalant cette aide extérieure, même si elle demeure, effectivement, « symbolique », face à l’énorme machine de guerre allemande.
D’abord, on doit s’interroger sur le renforcement de la conviction et des motivations au combat des habitants du ghetto, qu’il n’y a d’autre issue que la révolte violente contre les Nazis, qui, à l’époque, dominent toute l’Europe (malgré le premier revers cinglant de Stalingrad, du  au qui commence à avoir ses premières répercussions).
Les premières rafles de juillet 1942 n’entraînent pas de réaction immédiate des organisations juives et des habitants du ghetto. Les Allemands disent qu’on emmène les Juifs vers l’Est pour travailler. Le manque de ressources et le chômage forcé sont tels que certains accueilleraient presque la nouvelle des déportations avec soulagement.
Adam Czerniakow, président du «Judenrat» (Conseil juif), convoqué à la Gestapo le 21 juillet 1942, reçoit l’ordre de faire accepter à la population du ghetto son «évacuation», il n’ignore pas la signification de celle-ci. Il demande combien de temps va durer l’opération. La réponse, il la note dans son carnet: «Sept jours sur sept.» De retour à son bureau, il se suicide, comme le feront également quelques membres du Conseil, au lieu de révéler la vérité – un geste critiqué par la Résistance. Un suicide, s’il est connu – et celui de Czerniakow l’a été immédiatement – livre un message sans équivoque. Il est clair qu’il n’y a rien à attendre de ces « repeuplements vers l’Est » et que certains ont appris la vérité…
     Très vite, les organisations juives veulent savoir ce qu’est ce Treblinka dont ils ont appris l’existence. Un membre du Bund, Zalman Friedrich, va tenter l’incroyable, aller à Treblinka. Âgé de 32 ans, il est né à Varsovie dans une famille très religieuse (hassidique). Cependant, lui-même adhérera au Bund, parti socialiste juif. Il est blond aux yeux bleus et c’est la raison pour laquelle il est désigné pour cette mission, au début du mois d’août 1942. Il  contacte un cheminot qui le prend dans un train de voyageurs vers Treblinka. Zalman Friedrich descend à la dernière gare de voyageurs avant le camp : Sokolow, à une quarantaine de km de Treblinka.
Là, il rencontre Uziel Wallach, déporté en juillet 1942 et qui a réussi à s’évader du camp. C’est aussi un bundiste. Il lui raconte ce qu’il a vu : la sélection de quelques hommes, la séparation des hommes et des femmes à qui l’on dit qu’ils vont aller travailler, le déshabillage, le boyau dans lequel ils sont poussés à coups de trique, la baraque de « douches », les portes qui se ferment, les cris…
Varsovie-Treblinka
Varsovie-Treblinka,
deux voies ferrées serviront à la déportation.
 (Carte Martin Gilbert)
     Zalman rentre à Varsovie. Il reste à convaincre les Juifs de ce qui se passe. Le Bund publie l’avertissement dans l’édition du 20 septembre de son journal Oïf der Vache (En garde), avec une description précise du camp de Treblinka. L’article se termine par un appel :
Ne vous laissez pas tromper !
Rejetez toutes vos illusions !
Vous êtes conduits à la mort,
à l’extermination !
Ne les laissez pas vous anéantir !
Ne vous laissez pas vous-même emmener par ceux qui vont vous tuer !
     Dès ce moment, ce qui se prépare dans les organisations juives, c’est le combat armé.

Dans le ghetto, la mort est courante. Elle est causée par la faim, mais aussi par des épidémies de typhus et de tuberculose. Il n’est pas rare de retrouver des cadavres en pleine rue. Une charrette passe alors ramasser les corps, qui sont comptés puis enterrés dans une fosse commune. Au début de l’année 1942, on compte une naissance pour 45 décès

Les Allemands et leurs auxiliaires massacrèrent plus de 10 000 Juifs dans le ghetto de Varsovie pendant les opérations de déportation. Les autorités n’accordèrent qu’à 35 000 Juifs d’y rester, tandis que plus de 20 000 s’y cachaient. Pour les 55 000 à 60 000 autres, au moins, la déportation semblait inéluctable.
L’approvisionnement en armes (deux sources) : 
Il est aussi faux de dire que la résistance polonaise n’a pas fourni d’armes : certes, ils en ont donné insuffisamment : plusieurs tentatives de contact ont lieu, à l’initiative de l’OJC, pour approcher l’AK polonaise ((Armia Krajowa-AK, l’Armée du peuple) à l’extérieur du ghetto : si la première, à l’été 1942, échoue, la deuxième tentative de l’OJC (ou Żydowska Organizacja Bojowa : ZOB), en octobre, a été fructueuse, et l’AK a pu commencer à leur procurer quelques armes, essentiellement des pistolets et des explosifs. Ensuite cet approvisionnement en armes se poursuit :

 

L’organisation militaire juive (ŻZW), émanation du Betar, associée au parti Sioniste révisionniste Hatzohar, au mouvement de jeunesse du Betar, à l’Organisation juive de combat Żydowska Organizacja Bojowa (ŻOB) et l’Union générale des travailleurs juifs (Bund), fait parvenir, en , soit au moins 4 à 5 mois de l’éclatement de la révolte, une première livraison d’armes au ghetto de Varsovie.

Le , au cours d’une rafle, conformément à l’ordre d’Himmler, les unités de police et la SS tentèrent de reprendre les déportations de masse. Un groupe de combattants juifs armé de pistolets infiltra une colonne que l’on emmenait de force vers le Umschlagplatz (point de transfert). Au signal, ils rompirent les rangs et attaquèrent les gardes. La plupart de ces combattants périrent dans la bataille, mais l’assaut désorienta suffisamment les Allemands pour que des prisonniers s’éloignent. Après avoir attrapé 5 à 6000 résidents du ghetto pour les déporter, les Allemands durent interrompre l’opération jusqu’au 21 janvier. La nouvelle de l’attaque se répand rapidement dans le ghetto. Durant quatre jours, les Allemands rencontrent d’autres actes de résistance de la part du ŻOB.

Encouragés par ce qui semblait être un succès pour la Résistance, et qui pourrait suspendre les déportations, les habitants du ghetto se mirent à construire des bunkers et des abris souterrains en vue d’un soulèvement qui arriverait si les Allemands tentaient la déportation finale de la population encore sur place.

Pour ce qui est de l’aide extérieure, en plus de la fourniture d’armes, le commandant en chef de l’AK, Stefan Rowecki forme les insurgés aux techniques de combat et de sabotage, impliquant la confection de bombes, grenades et cocktail Molotov.

Plaque commémorative des soldats de l’AK, Eugeniusz Morawski, dit Młodek et Józef Wilk, dit Orlik, morts pendant le soulèvement du Ghetto, au 12 rue Bonifraterska à Varsovie

Les premiers plans de secours aux juifs insurgés, comme de faire sauter les murs pour permettre aux Juifs de s’échapper du ghetto, naissent dans les rangs de l’AK au tout début de l’année 1943. Le groupe Kedyw est désigné pour accomplir cette mission. Estimant que les Juifs ne seront en mesure de résister que quelques jours et que l’opération ne sera possible que si elle est réalisée le premier jour des combats. Une seule attaque est donc prévue.

Les commandos de l’AK, sous le commandement d’Henryk Iwański, réaliseront finalement plusieurs tentatives et mèneront plusieurs combats contre les unités allemandes à l’intérieur même du ghetto (extrait de l’article de Wikipédia en polonais intitulé « Akcja Getto » Action-Ghetto)

Les organisations marxistes comme le Bund ont pris une grande part au soulèvement du ghetto de Varsovie le 19 avril 1943, mais on y a rencontré, également des sionistes de tout bord : sionistes de gauche du  Poalei Zion (Travailleurs de Sion) mais aussi les partisans de Jabotinsky, le Bétar, les sionistes de droite.

Le 28 juillet 1942 naissait l’Organisation juive de combat (Zydowska Organizacja Bojowa, ZOB), sous l’égide de Mordechaj Anielewicz, âgé de 23 ans, à partir de novembre 1942. Le 18 janvier 43, il a échappé de justesse aux accrochages contre les Nazis. On estime alors à environ 200 le nombre de ses membres.

Le Parti révisionniste (ou Betar, sioniste de droite) fonda une autre organisation de résistance, l’Union combattante juive (Zydowski Zwiazek Wojskowy, ZZW).
Malgré certaines tensions, les deux groupes décidèrent d’affronter les Allemands ensemble si ceux-ci tentaient à nouveau de détruire le ghetto. Au moment du soulèvement, le ZOB comptait environ 500 membres, et le ZZW environ 250.

La légende  socialiste d’après-guerre, sous-jacente dans le courant Ben Gourion, a voulu consacrer l’OJC comme la force centrale, la véritable incarnation de la « résistance ».

Ce conflit de sens a alors recoupé celui, existant en Israël, entre progressistes et révisionnistes. Le rôle des Sionistes a largement été minimisé.

Or l’historiographie récente démontre que ce sont les Sionistes qui ont eu, entre autres (elle s’est par la suite diffusée et a été partagée), l’idée d’explorer les souterrains et de créer des bunkers de résistance, mais aussi tunnels de façon à trouver des échappatoires. Cette fluidité souterraine des combattants leur a permis de tenir un mois, au moment où il ne restait plus que devoir combattre ou se suicider. Ils ont organisé des filières et permis de sauver des vies, dont celle de Marek Edelman et d’autres, qui ont témoigné de l’âpreté des combats.

 

Le soulèvement commence le 19 avril 1943, veille de Pessa’h, la Pâque juive, en réponse à une dernière grande rafle organisée par les nazis. Destinée à liquider le ghetto des quarante à cinquante mille Juifs restant en les déportant dans les différents camps, et principalement à Treblinka, cette rafle se heurte à l’opposition armée juive au grand étonnement des nazis. L’Organisation juive de combat – qui rassemble les communistes, les bundistes et plusieurs courants du sionisme – comporte de 600 à 700 insurgés (non pas 220 comme certains le laissent entendre), tandis que l’organisation de droite AMJ, proche du Betar, en compte entre une centaine à 200.
Les Allemands comptaient poursuivre l’opération de liquidation du ghetto le 19 avril 1943, la veille de la Pâque juive, au matin. Lorsqu’ils entrèrent dans le ghetto, les rues étaient vides. Presque tous les habitants s’étaient réfugiés dans les bunkers ou d’autres cachettes. Cette intervention donna le signal pour une révolte armée.
Le commandant du ZOB, Mordechaï Anielewicz, dirigea les forces de la résistance lors du soulèvement du ghetto de Varsovie. Armés de pistolets, de grenades (la plupart artisanales) et de quelques armes automatiques et fusils, les combattants prirent de cours les Allemands et leurs auxiliaires dès le premier jour. Ceux-ci furent forcés de battre en retraite et de s’éloigner du ghetto. Dans son rapport, le général SS Jürgen Stroop signala la perte de 12 hommes, blessés ou tués, pendant ce premier assaut.
Le troisième jour du soulèvement, des forces blindées commandées par Jürgen Stroop commencèrent à raser le ghetto, un immeuble après l’autre, pour faire sortir les Juifs de leurs cachettes. Les combattants tentèrent des échauffourées mais ne purent empêcher les Allemands de réduire le ghetto à néant. Ils tuèrent Anielewicz et ceux qui l’accompagnaient dans une attaque contre le bunker de commandement au 18 de la rue Mila, qu’ils prirent le 8 mai.
Les troupes allemandes brisèrent la résistance militaire armée en quelques jours, mais les combattants, seuls ou en petits groupes, se cachèrent ou livrèrent bataille pendant presque un mois.
Ce n’est pas seulement le fait de l’Organisation juive de combat – qui ne réunit, comme tous les mouvements de résistance, qu’une minorité – mais celui de l’ensemble du ghetto. Au point que Stroop se plaint, lors même qu’il annonce sa victoire, d’avoir eu 631 bunkers à liquider!
Ce combat sans espoir « pour votre liberté et pour la nôtre » s’achève le 16 mai, un mois après son déclenchement, avec la destruction de la grande synagogue de Varsovie. Après cette date, des combats sporadiques ont encore lieu dans le ghetto en ruines.

Du ghetto, il ne restait que des ruines. Stroop rapporta avoir capturé 56 065 Juifs (et détruit 631 bunkers). Selon ses chiffres, ses unités avaient tué 7 000 Juifs durant le soulèvement. Environ 7 000 autres furent déportés à Treblinka et, pour la plupart, gazés dès leur arrivée.

Même après la fin de la révolte le 16 mai 1943, des habitants isolés, cachés dans les ruines, continuèrent à attaquer les patrouilles.

Tout le ciel de Varsovie était rouge. Entièrement rouge.
Benjamin Meed (témoignage vidéo)

Le soulèvement du ghetto de Varsovie fut le plus grand, le plus important sur le plan symbolique, et le premier à se dérouler dans une ville de l’Europe occupée. La résistance en inspira d’autres, dans des ghettos (Bialystok et Minsk) et dans des centres de mise à mort (Treblinka et Sobibor, celui d’Auschwitz).

Il coïncide aujourd’hui, chaque année, avec le Jour de l’Indépendance de l’Etat d’Israël (Yom Haatsmaout).

Marc Brzustowski, grâce à des sources diverses (Musée du Mémorial de la Shoah, United States, etc.)

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Gaulois furieux

Hommes et femmes admirables ! Rien à perdre (sauf une vie déjà en sursis), rien à gagner (sauf une gloire posthume), rien à attendre des autres (que ce soit le gouvernement polonais en exil, les Alliés, Staline, le Vatican etc…). Même pas la victoire (impossible de vaincre les Allemands). Ce n’est pas la victoire ou la mort, la liberté ou la mort. C’est le choix entre la mort les armes à la main et la mort atroce et anonyme dans un camp de même nom.
Aussi valeureux que les Léonidas et ses Spartiates aux Thermopyles, aussi glorieux que Kellermann et ses volontaires chantant la Marseillaise à Valmy. Le combat des braves choisissant leur mort au combat pour la dignité de la vie et de la mort. un modèle et un exemple à tout jamais mémorables.