Face à la série d’attentats, magistrats, avocats, enseignants et hommes politiques prônent une révolution juridique respectueuse du droit. Mais les autorités la refusent.

Têtu, le gouvernement a martelé, tout au long du printemps, que jamais «(il) n’alourdir(ait) le quantum des peines», jamais «(il) ne reviendr(ait) sur les crédits automatiques et les aménagements de peines», jamais «il n’y aura(it) d’expulsion automatique». Sous la pression des événements de Nice, le gouvernement a cédé. Sans piper mot, en quelques heures.

Mardi, après l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, Nicolas Sarkozy a déclaré solennellement: «Cette situation doit nous conduire à la plus grande lucidité et à enfin comprendre que nous devons changer profondément la dimension, la mesure, la stratégie de notre riposte.» Il en a appelé à la mise en place immédiate des mesures que défend la droite, à commencer par la rétention administrative pour les retours de Syrie. François Hollande lui a répondu avec la même posture butée: jamais de révision constitutionnelle, jamais renoncer à l’État de droit.

Depuis le début de la vague d’attentats, les avocats ont poussé très loin leur sens des responsabilités.

Mais, dans la tête des parlementaires de droite, comme Guillaume Larrivé, Éric Ciotti et Georges Fenech, qui défendent une proposition de loi visant à donner «aux autorités de l’État des pouvoirs exceptionnels face aux terroristes islamistes», il n’est pas question d’y renoncer. Et c’est bien pour cela qu’ils demandent une révision constitutionnelle. Depuis le début de la vague d’attentats, les avocats ont poussé très loin leur sens des responsabilités. L’ancien bâtonnier Jean-Yves Leborgne rappelle qu’«à des moments d’exception peut correspondre un État d’exception, qui n’est pas un État de droit». Frédéric Sicard, le bâtonnier de Paris, constate «l’évolution d’un système juridique conçu il y a deux siècles», mais, prévient-il, «si l’on renforce les pouvoirs d’enquête, il faudra faire de même avec la défense. Encore faudra-t-il que les moyens y soient.»

La faiblesse du pouvoir régalien apparaît ainsi dans sa difficulté d’appliquer les textes existants. Si la justice est désarmée, c’est à cause de la nonchalance politique à la faire triompher.

Pour un avocat comme Thibault de Montbrial, aux positions tranchées, «le terrorisme est l’addition salée d’un laxisme de plusieurs décennies en matière de petite et moyenne délinquance». Ce magistrat de terrain d’une grande juridiction parisienne s’insurge: «Les textes existent. Les perquisitions sont possibles, mais pourquoi ignorer les mosquées, les associations salafistes ou les écoles coraniques hors contrat? Nous faisons passer des individus en justice pour apologie du terrorisme avec des saisies numériques qui prouvent leur dangerosité, mais ils quittent les tribunaux avec du sursis. Des événements comme celui des Hautes-Alpes vont en droit commun plutôt que d’être qualifiés de terrorisme, pour ne pas effrayer la population.»

L’Union syndicale des magistrats, le principal syndicat de magistrats, qui, lui, s’est opposé à la mise à l’écart du juge judiciaire au profit de la police administrative à travers la prorogation sine die de l’état d’urgence et le vote de la loi du 3 juin 2016, ne dit pas autre chose. «Nous avons des textes de plus en plus répressifs, qui donnent plus de pouvoirs d’enquête aux magistrats. Avant Nice, nous avions déjà la possibilité d’assigner à résidence pour une durée d’un mois, nous avons également des rétentions de douze heures pour contrôler les identités. Nous durcissons aussi les condamnations. Jamais il n’y a eu un tel volume d’affaires pénales, mais encore faut-il que la pénitentiaire suive. Il ne suffit pas de voter des lois, il faut aussi le temps de les appliquer», rappelle Pascale Loué-Williaume.

Du côté des hauts magistrats, on déplore « les angles morts de la justice », mais avec l’idée de renforcer le droit pénal, plutôt que de l’abaisser.

Du côté des hauts magistrats, on déplore «les angles morts de la justice», mais avec l’idée de renforcer le droit pénal, plutôt que de l’abaisser. «Nous sommes face à un constat: l’état d’urgence ne permet pas, à lui seul, d’éviter les actes de terrorisme», analyse Jean-Claude Marin, le procureur général près la Cour de cassation. «Cette vision d’inefficacité, poursuit-il, méconnaît cependant le travail de la justice: les centaines d’enquêtes préliminaires ouvertes pour terrorisme, les milliers de contrôles d’identité auxquels les parquets procèdent. Il est possible d’imaginer de nouvelles infractions, comme la consultation habituelle des sites djihadistes ou la présomption d’intention de participation à une entreprise terroriste pour ceux qui sont allés sur les zones d’opération. Mais toujours dans le respect du droit pénal, qui garantit le droit à un procès équitable.»

François Falletti, ancien procureur général de Paris et désormais avocat, regrette quant à lui «le manque d’anticipation en termes de rédaction de textes que l’on sait pourtant écrire et qui permettraient de renforcer la réactivité de la justice sans abandonner son rôle de défenseur des libertés publiques».

Le figaro

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

0 Commentaires
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires