LE COUTEAU A LA MER ! Evidemment, nos activités suivaient de près le calendrier hébraïque et nous redoutions tous cette période qui nous terrifiait et que nous ne comprenions pas très bien : celle où on jetait « un couteau dans la mer » !!!

Nous savions qu’il y avait une période de 3 semaines pendant laquelle il n’y avait pas de fêtes ou de réjouissances mais nous avions peu de renseignements à ce propos. Mais, nous ne mesurions pas la gravité historique des événements qui eurent lieu en Judée en ces temps-là.

Pour nous signifier que non seulement on ne mangeait pas de plats carnés et que l’on n’abattait pas de bêtes pendant cette période et que l’on ne se baignait pas dans la mer on « stylisait » la pensée en disant que le couteau spécial utilisé pour l’abattage avait été jeté dans les flots bleus.

Personnellement je ne saisissais pas pourquoi personne n’allait récupérer ce couteau pour éviter qu’on ne se blesse surtout si on savait où on s’en était débarrassé et puis, de toute façon en se baignant, on pouvait faire attention de ne pas se blesser et si on le voyait on pouvait le rendre à qui de droit !

La friandise, spécifique à Alger, que nous préférions, consistait en une sorte de nougat de semoule très légèrement grillée avec des amandes, des noix grillées et du miel. Les barres de nougat étaient roulées dans des graines de sésame.

Ces neuf jours en particulier ne semblaient pas vouloir se terminer, un peu comme les huit jours de Pessah qui s’éternisaient !!!! En attendant, Mouloud le célèbre poissonnier, affichait complet et proposait plus de poisson que d’habitude au Marché de Bal El Oued…

Mes pensées se tournaient toujours vers la mer et je m’imaginais que cela devait être apparemment bien difficile de retrouver un autre couteau spécial mais mon inquiétude fit place à une grande joie lorsqu’au lendemain du 10 av il y eut de la viande à table à nouveau : « Maman, ils ont retrouvé le couteau ????? »….. Cette réflexion fit le tour de toute la famille…

Pour avoir eu de la famille dans le constantinois et la région de Sétif, nous savions qu’il y avait un plat que l’on servait là-bas par coutume, après 9 beav (prononcez tchabeb) il s’agissait du couscous au gras double et au poulet. Et puis, le shabbat qui suivait 9 beav que l’on appelait Shabbat Nahamou, était en judéo arabe : « sabbt el frej » traduisez par shabbat de la libération (dans le sens de rétablissement-guérison).

A la fin des grandes vacances, pendant lesquelles nous partions parfois en France pour rendre visite à certains membres de la famille, le grand souci était de se rendre dans les grandes librairies (Soubiron/ la Maison du livre) et les grandes papèteries (Chaix) pour nous équiper pour la prochaine rentrée des classes qui, à l’époque, avait lieu le 1er Octobre.

L’odeur caractéristique qui régnait dans ces magasins me rendait heureuse et je me voyais alors déjà en classe avec mon tablier qui, chaque année changeait de couleur selon la fantaisie de l’Institutrice, il fallait aller chez Trigano ou chez Moatty aux 3 horloges pour acheter le tissu en question et il appartenait aux mamans de broder le nom de leur fille sur cette blouse dont seule la façon était décidée par la maman (ou la jeune élève).

Par la suite, en arrivant en Israël, j’ai appris que les Juifs séfarades avaient le droit de célébrer fiançailles, mariages et Bar Mitsva du 18 tamouz au 1er av. Les cours de judaïsme qui étaient dispensés à Alger étaient rares dans les années 50 pourtant, le Grand Rabbin Fingerhut Abraham Moshé ז »ל enseignait les femmes au « Centre Culturel » au 1 de la rue Monseigneur Bollon. Il parlait clairement et de telle façon qu’il donnait envie aux femmes de son cours de mettre en pratique ce qu’elles y apprenaient.

Dès la conquête de l’Algérie et le début de la colonisation où des personnes françaises se portaient acquéreurs de domaines agricoles qu’ils débroussaillaient par eux-mêmes et se mirent à cultiver ces terres, d’autres familles françaises déclarèrent leur volonté d’arriver et de vivre en Algérie, parmi ces personnes se trouvèrent des familles juives d’Alsace telle la famille Guggenheim : la synagogue Guggenheim pour le rite ashkenaze se trouvait rue Boutin.

Il est à souligner que de nombreux rabbins d’origine alsacienne furent nommés en Algérie et à Alger en particulier tels que les Grands Rabbins Michel Aharon Weill (1814-1889) Grand Rabbin d’Alger de 1846 à 1864, Isaac Bloch (1848-1925) grand rabbin d’Alger de 1882 à 1890, Abraham Bloch (1859-1914) grand rabbin d’Alger de 1897 à 1914 (mort à la guerre), Moïse Weill (1852-1914) et grand rabbin d’Alger de 1891 à 1914, Abraham Moshé Fingerhut (1908-1979) fut grand rabbin de 1928-1936, Maurice Eisenbeth grand rabbin de 1932/1936 à 1958 et (le dernier grand rabbin d’Alger) David Askenazi (1897-1983) de 1958 à 1962.

En 1956, l’Union des Etudiants Juifs (de France ?) prit l’initiative d’effectuer une sorte de recensement des familles juives. C’est ainsi qu’un jeune homme nous rendit visite et posa un certain nombre de questions à ma mère sur notre identité juive et la renseigna sur les cours existant « en ville ». Ce fut le point de départ d’un retour plus intense vers la pratique et une plus grande prise de conscience mais tout le monde apparemment n’eut pas la même chance ni ne fut aussi réceptif.

Auparavant, pour les fêtes nous achetions de la viande cashère (sans la « laver » pour autant) et nous achetions de la charcuterie cashère rassurés par la présence d’un plomb au milieu duquel se trouvait une étoile avec le mot bassar בשר en relief la différence avec le mot casher כשר était minime et cet abus de confiance dénoncé, le célèbre fabricant de charcuterie de l’époque dont le nom ne pouvait éveiller le moindre soupçon poursuivit sa forfaiture en faisant graver toujours au centre de l’étoile figurant sur le plomb le mot hébraïque « ציון » abusant la bonne foi de personnes non hébraïsantes qui, sur la foi du plomb achetait la marchandise persuadées de consommer casher !!

C’est ainsi que, petit à petit, grâce aux efforts conjugués et multipliés de la rabbanout et de jeunes hommes pleins de bonne volonté et de pédagogie pour éduquer le public qui commençait à se former, que – entre autres volontaires et bénévoles – Simon Darmon et Jacquot Grunewald déployèrent des tonnes d’énergie pour nous permettre d’emprunter la bonne voie et de rectifier des erreurs que nous faisions bien innocemment, en organisant de courtes allocutions et des cercles d’études pleins d’enseignement.

Caroline Elishéva REBOUH

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Bonaparte

@ Caroline Elishéva REBOUH

Magnifique message plein de nostalgie .

Merci .