Tel Aviv est connue pour être une ville de noctambules. Et le soleil du matin méditerranéen rend la grasse matinée difficile. Cela explique peut-être pourquoi le matin on entend les serveuses de la ville qui répondent au traditionnel « Boker tov » (Bonjour) que l’on emploie tout au long de la journée, – par « Boker or », qui signifie « matin de lumière ».

Mais quelle est l’origine de cette formule de salutation matinale qui évoque la lumière?

Pour trouver la source de l’emploi du mot « or » (lumière) dans le traditionnel salut matinal, j’ai d’abord consulté le célèbre Dictionnaire Shoshan, et de fil en aiguille le Livre de la Genèse, puis un professeur d’arabe appelé Maha, qui diffuse ses cours sur YouTube.

Tout d’abord le dictionnaire : il prétendait que l’expression ‘boker or’ vient de la Genèse. Ça m’a semblé un début prometteur et assez logique. ‘Boker or’ (matin de lumière) apparaît en effet dans Genèse 44: 3, bien qu’il y soit dit « Ha’boker », soit, « Le matin est lumière ». « Et bien sûr, la quintessence du mot « or », (lumière), est biblique, et vient du fameux  » Yehi or « , de la Genèse, qui veut dire « Que la lumière soit », l’une des plus grandes déclarations de tous les temps.

Mais je n’étais pas satisfaite.

Un parent qui a étudié l’arabe de façon obsessionnelle a souligné que l’idée d’employer « boker or « (matin de lumière) comme salutation – et pas comme une déclaration, comme dans la Genèse – est probablement le fait d’un emprunt à l’arabe, traduit en hébreu.

Donc, je me suis mise à écouter un tutoriel sur les salutations en arabe enseigné par Maha dans «  Learn Arabic with Maha », sur YouTube. En entendant Maha énoncer les salutations dans les prononciations des divers pays arabes, j’ai constaté qu’en arabe, « bonjour » se dit « Sabah el kheir, » et la réponse appropriée est « Sabah el noor ».

Et que signifie Noor? Lumière.

Si noor nous semble familier, c’est sans doute parce que Noor est un prénom populaire en arabe, rendu encore plus célèbre par la glamour américaine Noor de Jordanie, la veuve du roi de Jordanie. Le nom complet qu’elle a pris à l’occasion de son mariage c’est Noor al-Hussein ou «Lumière de Hussein»; elle est née à Washington, D.C., sous le nom de Lisa Najeeb Halaby. Et bien sûr, l’hébreu or, signifiant «lumière», est un prénom très répandu en Israël.

Plus j’écoutais Maha, plus je pensais que ce n’était peut-être pas exactement le boker ou le sabah el noor qui avait été emprunté à l’arabe, mais plutôt ce concept de répondre au « boker tov » par « boker or ». Ce rituel matinal exprimé en deux parties. Ce bref échange que j’ai entendue encore et encore tous les matins, groggy dans les cafés, ressemble beaucoup à la tradition arabe de répondre à « sabah el kheir » par « sabah el noor ».

Je me suis ensuite demandé comment fonctionnent les autres salutations hébraïques, et pas seulement le boker or le boker tov. Et j’ai reconsulté la Torah. Le boker de la Genèse, ou celui des serveuses, fait aussi partie de la belle tendance de la Torah d’inclure des sentiments aux salutations afin de ne pas les réduire à un simple «Bonjour» ou «Bonne nuit», et donc, d’où ce rituel des salutations en deux parties, où chaque orateur a un rôle à jouer.

Considérez « Hashalom lecha? » Qui signifie « Êtes-vous tout? » Ou « Êtes-vous d’accord? » Qui apparaît 15 fois dans le Tanach.

Le mot shalom partage une racine avec le mot shalem qui veut dire «entier». Par cette salutation on ne demande pas à quelqu’un s’il est en paix. Le demandeur veut savoir si son invité est parvenu à traverser la nuit « en entier ». Il veut comprendre si les bras, les jambes et la tête de son invité se sentent complets.

La bienveillance qu’exprime cette salutation disparaît dans la traduction, parce que « Êtes-vous entier? » semble bizarre. Mais en hébreu, quand Jacob parle aux bergers dans Genèse 29: 6, et demande des nouvelles de Laban, Jacob demande « Hashalom lo? » (« Est-il entier? » Ou « Est-ce qu’il va? »), Et la réponse des bergers est simplement « Shalom ».

Dans la traduction de la Jewish Publication Society, par exemple, le shalom disparait. Et l’échange est traduit par: « Il a continué, » Est-il bien? « Ils ont répondu, » Oui, il est.  »


Les formules de salutations de Jacob peuvent être amusantes à traduire, mais il m’arrive aussi d’apprécier celles d’un autre patriarche, Abraham, qui souhaite la bienvenue à ses invités. J’aime imaginer Abraham au crépuscule, disant «bonsoir» ou «Erev tov». Le mot erev, ou «soir», en hébreu, semble être un emprunt à l’errebum akkadien. Et l’Akkadien était la langue maternelle d’Abraham – son mamaloshen en yiddish qui veut dire «langue maternelle».

Je ne me lasse pas d’écouter les Abrahams contemporains, ce qu’ils empruntent à leurs voisins et ce qu’ils gardent de leur mamaloshen quand il s’agit de salutations; ça me fait me sentir « entière », comme si tout le temps et l’espace et la langue se fondaient pour composer une démocratie internationale de hello et d’au revoir.

Heureusement, il ne faut jamais plus de 10 minutes, assis dans un café de Tel Aviv pour entendre le leur fameux salut « ahalan », qui est entièrement arabe et veut dire Bonjour. Cet emprunt direct est évident. Mais ce qui peut être encore plus fascinant, c’est d’écouter les piliers de café quand ils partent en lançant « az yallah bye », une locution typiquement israélienne. C’est un cocktail linguistique qui assemble au revoir en trois langues :

‘az’, ou « so », qui vient de l’hébreu;

« Yallah » qui veut dire « Allons-y » ou « Dépêche-toi » ou « Viens » est arabe,

et « bye » ‘au revoir’, en anglais.

Ce mélange linguistique est à la fois typique du 21ème siècle, mais c’est aussi Abrahamique: il se compose un peu de moi, un peu des voisins immédiats, un peu des voisins lointains.

Az yallah bye symbolise l’israélien contemporain. D’un côté il se rattache à ses racines avec l’hébreu, avec un mot qui apparaît dans la Torah: az, ou « so ». Avec l’autre extrêmité de l’expression il se rattache à l’anglais, à la lingua franca de l’Occident et à la langue de la technologie qui en fait le voisin de tout le monde. Et au milieu, il se rattache à l’arabe, un clin d’œil à tous les voisins physiques immédiats d’Israël, ainsi qu’aux Arabes israéliens vivant en Israël.

Quand j’entends boker or ou az yallah bye, je pense, « Qui possède la lumière, de toute façon? » Et, « Qui peut déterminer la propriété d’un au revoir? » Ces héritages – ce soleil et ces langues et ces anciennes traditions de salutations – nous appartiennent à nous tous, indépendamment de notre mamaloshen, en nous réveillant à la lumière du matin.

Aviya Kushner est la chroniqueuse linguistique de Forward et l’auteur de « The Grammar of God » (la gramaire de Dieu)(Spiegel & Grau, 2015). Suivez-la sur Twitter, @AviyaKushner

The Forward – traduction JFORUM

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alexandra

Merci pour cet article « lumineux » (et c’est le cas de le dire) !