Daesh montre pour la première fois des femmes se battre dans ses rangs en Syrie
Il y a quelques jours, des spécialistes du terrorisme islamiste remarquaient un détail frappant dans une vidéo mise en ligne par Daesh. On voyait dans celle-ci, pour la première fois, des femmes soldats combattre pour la cause salafiste. Il s’agit de l’aboutissement d’un long cheminement pour une armée terroriste de plus en plus aux abois.
Daesh est coutumier de la réalisation et de la diffusion de vidéos de propagande montrant exécutions, destructions diverses et combats rapprochés. Mais, dernièrement, une de ces captations a tranché sur cet horrifique ensemble par un détail des plus frappants: pour la première fois, on y voyait des femmes soldats se battre en Syrie sous les couleurs noirs de l’organisation salafiste.
« Sans précédent mais pas inattendu »
Le chercheur Charlie Winter, exerçant au sein du Centre international d’étude de la radicalisation au King’s College de Londres, et spécialiste du décryptage de la propagande, le notait vendredi dernier sur Twitter. « Il y a quelques jours, Daesh a évoqué (et filmé) explicitement le déploiement de femmes sur un champ de bataille en Syrie. La vidéo est sans précédent, mais pas inattendue – on l’a vue venir de loin », déclarait-il.
Rita Katz, directrice de SITE, organisme d’observation des extrémismes, a précisé dans un autre tweet que ces images avaient été prises durant un affrontement avec les forces kurdes.
Une première allusion en 2015
S’il s’agit de la première officialisation d’une telle participation féminine au jihad en Syrie, cet emploi guerrier des femmes ne vient pas de nulle part. Charlie Winter, sur Twitter et dans un article co-écrit avec Devorah Margolin publié à l’été 2017, a retracé l’évolution de l’armée islamiste sur cette question.
Les prédécesseurs de Daesh en Irak, Al Qaïda en Irak, n’ont pas hésité dans les années 2000 à envoyer des femmes à la mort dans des attaques suicides. Daesh avait rompu avec cette pratique, appelant uniquement les femmes à remplir leur rôle de « mère » et d' »épouse » . Peu à peu cependant, la situation du soi-disant « Califat » allant en se dégradant, les rangs de ses troupes de plus en plus clairsemés, la réflexion de ses dirigeants a évolué, et il semble que ceux-ci ont entrepris de préparer le terrain il y a déjà bien longtemps.
Au début de l’année 2015, un document connu sous le nom de manifeste Khansa, ce qui l’affilie à la brigade Al Khansa qui opérait à Raqqa en tant que police religieuse féminine veillant à l’application des préceptes salafistes parmi les femmes, commençait à circuler sur internet. Si le texte insistait sur l’idée que la place des femmes était avant tout « à la maison, avec leurs enfants et maris », il ouvrait de manière inédite une perspective nouvelle au sein de Daesh: la possibilité d’un engagement de combattantes dans le jihad. Celui-ci était permis, selon la proclamation, si l’ennemi venait à « attaquer leur pays et que le nombre des hommes pour le défendre n’était pas suffisant pour le protéger ». Toutefois, la participation des femmes à la guerre était encore soumise à une autorisation préalable via une fatwa émise par les autorités religieuses à ce sujet.
Une propagande de plus en plus belliqueuse
Peu après, en août 2015, un nouveau pas était franchi. Les partisans de Daesh faisaient circuler le « traité de la fondation Zawra ». Ce dernier mettait en avant les quelques cas de figure permettant le déploiement des femmes sur le champ de bataille: en cas d’invasion du foyer, d’un lieu public, en cas d’injonction d’un « émir ».
Mais la position militaire, et l’état des troupes, de Daesh étaient alors loin d’être désespérés et ce questionnement ne relevait que de la théorie et de publications officieuses. En décembre 2016, une revue officielle de Daesh abordait finalement le sujet: le journal de propagande, al-Naba. « Le jihad n’est pas, en tant que règle, une obligation pour les femmes mais si l’ennemi entre dans leurs demeures, il est aussi nécessaire pour la femme que pour l’homme et elle doit le repousser par tous les moyens », y était-il écrit.
Bientôt, la machine de communication des islamistes allait prendre des accents plus belliqueux en la matière. A l’été 2017, le onzième numéro de la revue de propagande de Daesh, Rumiyah, évoquait d’abord les rôles d' »épouses » et de « mères » dévolus aux femmes vivant sur le territoire de l’organisation puis encourageait les femmes à se « lever avec courage et abnégation dans cette guerre », leur donnant en exemple les « les femmes vertueuses qui le firent au temps du Messager d’Allah ». Pas question alors de reconnaître que cet appel aux armes plus direct encore que les autres était dû aux pertes de l’armée terroriste. L’article assurait ainsi qu’il ne fallait pas y voir l’influence du « petit nombre d’hommes » mais l’effet du désir des femmes « d’entrer au paradis ». En octobre 2017, al-Naba enfonçait le dernier clou, sans plus cacher que Daesh était contraint à cette dernière extrémité: « Dans le contexte de cette guerre, des épreuves et de la peine éprouvées, il est obligatoire pour les musulmanes » de se « tenir prêtes » au combat, était-il écrit.
La vidéo diffusée il y a quelques jours par Daesh indique ainsi que les terroristes, dans leur sinistre fuite en avant, sont passés des mots et des artifices idéologiques aux actes.