Ce qu’enseigne Israel sur la légitime défense

Ce qu'enseigne Israel sur la légitime défense

Il y a en France beaucoup de sujets tabous, généralement liés à ce qu’on considère comme étant des « acquis » dont on feint d’ignorer l’échec. Parmi ceux-là, le droit au port d’arme et son corollaire nécessaire en ce qu’il définit les règles d’engagement : le régime de la légitime défense. Beaucoup opposeront immédiatement les externalités médiatiques du modèle états-unien, tout en ignorant des exemples plus heureux comme ceux helvète ou israélien.

Il y aurait pourtant des leçons à tirer de l’expérience des Israéliens, visés, comme en France, par des attaques terroristes opérées par des individus seuls (type Thalys, Merah…) ou en petite équipe (type Bataclan).

En Israël, 665 attaques terroristes ont étés recensées entre septembre 2015 et septembre 20161. Les autorités israéliennes ont reconnu l’échec d’une sécurité qui ne repose que sur l’État et ont fait évoluer leur législation en conséquence. En effet, en Israël, malgré une militarisation de l’espace public, une majorité d’attentats visant des civils est empêchée, ou du moins le terroriste est neutralisé avant ou après l’acte, par un civil armé. En effet, le Docteur Shlomo Shapiro, spécialiste de la question et chercheur à l’Université de Bar-Ilan, estime que « dans 40 à 50 cas au cours des 10 dernières années, des citoyens israéliens armés sont intervenus lors d’attentats terroristes » et que « dans 70% de ces cas, leur intervention était cruciale ».

L’efficacité de la primo-intervention en Israël est due à un environnement juridique favorable : un régime de la légitime défense pragmatique, et un droit au port d’arme étendu.

La souplesse du régime juridique de la légitime défense

La section 34J de la Loi pénale2 dispose :

« Nul ne doit être pénalement responsable d’un acte qui était immédiatement nécessaire pour repousser une attaque illégale qui représente un réel danger pour sa propre vie, sa liberté, son corps ou sa propriété ; toutefois, une personne n’agit pas en légitime défense lorsque son propre comportement illicite a causé l’attaque, et que la possibilité d’un tel développement était prévisible. »

Les juristes israéliens identifient 6 conditions cumulatives de la légitime défense :

  • L’existence d’une attaque illégale, ce qui exclut bien entendu l’homicide d’un membre des forces de l’ordre dans le cadre d’une arrestation.
  • L’attaque doit constituer un risque d’une atteinte réelle à la vie, à la liberté, au corps, ou à un bien.
  • La réplique devait être immédiatement nécessaire. Contrairement au droit français qui considère l’instantanéité de la réplique, le droit israélien apprécie l’immédiateté de la nécessité, sans considération pour la temporalité de l’attaque. Ainsi, si celui qui craindrait le retour d’un assaillant le menaçant de revenir après avoir été mis en fuite, pourrait se réclamer de la légitime défense, sans que cela ne l’exempte de remplir la condition de proportionnalité citée plus bas.
  • L’attaque ne doit pas être la conséquence d’un comportement illicite. Les deux exemples classiques sont : A demande à B d’attaquer C puis attaque l’un ou l’autre en prétendant le défendre, et le cas d’une provocation en duel. Ce dernier exemple est souvent cité par la doctrine israélienne, il faut croire que cela arrive plus qu’on ne le pense.
  • La réplique devait être nécessaire : il n’y avait aucun autre moyen d’éviter l’attaque que de répliquer. Par exemple, la réplique n’est pas nécessaire si le défenseur a la possibilité de se replier dans un endroit sûr, à condition qu’il puisse être certain du bénéfice de ce repli.
  • La proportionnalité entre le préjudice occasionné et celui qu’on entendait éviter est en fait sous-entendue dans la nécessité.

Il est intéressant de noter, à propos de ces deux dernières conditions, la nécessité et la proportionnalité, que la Cour Suprême israélienne rappelle régulièrement que l’homme dans l’action n’a pas les capacités d’analyses d’une machine, que l’appréciation de ces conditions ne peut pas être arithmétique et qu’en conséquence elles doivent être interprétées avec souplesse3. Un bon sens qui, hélas, échappe trop souvent aux juges français. Enfin la loi prévoit que si l’une de ces deux dernières conditions venait à faire défaut, le juge, qui ne pourrait alors pas reconnaître la légitime défense, peut prononcer une peine minorée selon les circonstances.

Le droit israélien est à la confluence du droit ottoman, du droit anglais datant de la Palestine mandataire et de loi juive. Ce syncrétisme juridique aura eu une influence dans notre sujet. En matière de légitime défense, l’État israélien a d’abord connu une interprétation restrictive comme en droit britannique, puis la législation et son interprétation ont évolué en faveur d’un régime plus souple sous l’influence de la loi juive pour laquelle la défense de soi-même ou d’autrui d’une attaque illégitime n’est pas un droit, mais un devoir.

Un droit au port d’arme étendu

D’après le registre du Ministère de l’Intérieur, 163 274 licences étaient détenues en 2012 par des citoyens israéliens. Depuis des changements apportés par le ministère de la Sécurité intérieure israélien, il s’agirait de dizaines de milliers de licences supplémentaires qui auraient été octroyées, alors que leur nombre avait chuté de 300 000 au début des années 90 à environ 170 000. En 1992, devant cette chute du nombre de licenciés et convaincu de l’efficacité de la défense collective, le gouvernement israélien a commandé à une commission ad hoc, la commission Cohen, un rapport sur les évolutions possibles de la politique d’armement civil. Après l’assassinat du Premier ministre Yitshak Rabin en 1995, la question est devenue plus pressante, pourtant ce n’est qu’à partir de 2014 que des changements significatifs ont été apportés.

Aujourd’hui, qui sont ces citoyens autorisés à porter des armes ? À quelles conditions ?

Avant 2014, étaient éligibles : les anciens officiers de Tsahal du rang de Lieutenant au moins, les réservistes du rang de Capitaine, les pompiers, les ambulanciers, et également les habitants de localisations risquées, c’est-à-dire proches des frontières palestiniennes. Mais, en 2014, un attentat perpétré dans une synagogue a poussé le ministère de la Sécurité intérieure israélien à étendre les critères d’éligibilité à la licence à tous les anciens officiers de Tsahal et aux agents de sécurité gardant les écoles et jardins d’enfants. Cette loi a en outre permis aux municipalités de rendre sa population éligible en se définissant elle-même « zone à risque ». Enfin, elle a provisoirement autorisé, pour un an seulement, les agents de sécurité privée à porter leur arme en dehors de leur travail.

En 2015, la menace terroriste que constituent les « loups isolés » a mené la Knesset à intervenir de nouveau pour étendre ce droit aux sous-officiers militaires de réserves, et de police à porter leur arme en dehors du service. Il faut préciser qu’en Israël toute personne de moins de 40 ans ayant réalisé son service militaire obligatoire, sauf femmes mariées ou ayant des enfants, sont réservistes d’office. À 30 ans, la majorité des Israéliens ont atteint le rang de sous-officier. Par ailleurs, les citoyens habitant des zones à risque sont également éligibles, sur décision de la municipalité, alors qu’auparavant la dangerosité de la zone d’habitation devait être constatée pour chaque licence par le ministère. L’éligibilité a été étendue aux fermiers (isolés des zones urbaines), et aux guides touristiques.

Quel que soit le critère d’éligibilité retenu, tous les candidats doivent remplir plusieurs conditions :

  • avoir terminé le service militaire — donc avoir au moins 21 ans pour les hommes et 20 ans pour les femmes —

ou être résident permanent depuis 3 ans et avoir plus de 27 ans,

  • disposer d’un certificat médical adéquat. Ce formulaire se compose de 24 questions, allant de la santé physique du patient à son histoire de toxicomanie et de soins psychiatriques.
  • La police effectue une vérification des antécédents et transmet les renseignements au ministère des licences d’armes à feu du ministère
  • suivre une formation d’entrainement au tir, à la connaissance de l’arme et des règles de sécurité. Auparavant de 3 ans, la durée de validité de la licence a été ramenée en 2015 à 1 an en contrepartie de l’extension de l’éligibilité. La licence donne le droit à la possession d’une seule arme de poing, semi-automatique ou non.

Toute détention supplémentaire doit faire l’objet d’une autorisation spéciale.

La détention illégale d’une arme est punie de 10 ans d’emprisonnement maximum et 40 % des demandes de licences sont rejetées. Ainsi, le droit au port d’arme est étendu, mais sévèrement contrôlé.

Pour conclure, il convient d’amener une précision sur l’efficacité de la sécurité israélienne. Les soldats, professionnels et conscrits, ont l’obligation de porter leur arme — des fusils d’assaut la plupart du temps — en permanence, y compris durant leur permission. Israël est un pays où l’on voit déambuler sans cesse des centaines de jeunes hommes et de jeunes filles de 18 à 21 ans avec des fusils d’assaut M16 sans qu’il y ait des tueries de masse. Il est presque paradoxal que l’accès à la licence soit encore « si restreint » alors que des soldats de 18 ans ont l’obligation d’amener leur M16 avec eux à la plage. On peut indubitablement dire que les Israéliens ont de ce fait une certaine culture des armes, et qu’en matière de défense collective ils ne distinguent pas l’action de l’État de la leur. Même non armé les images de la vidéosurveillance montrent qu’ils sont prompts à intervenir quelle que soit l’agression.

Cependant, contrairement aux États-Unis, le port d’arme n’est pas un droit fondamental, mais un privilège, suffisamment étendu pour améliorer la sécurité de tous.

Pistes d’inspiration pour la France :

L’efficacité de la primo-intervenante en Israël est due à un environnement juridique favorable. L’institut Mirabeau constate que l’efficacité de la primo-intervenance en Israël est due à un environnement juridique favorable. À l’heure où le monde politique analyse une Israélisation de notre société en matière sécuritaire, nos propositions devraient susciter l’intérêt des pouvoirs publics français :

PISTE 1 : Revirement de l’interprétation prétorienne française en faveur d’une légitime défense plus réaliste sur le modèle de la jurisprudence de la Cour suprême israélienne.

PISTE 2 : Étendre le port d’arme pour les sous-officiers d’actives et de réserve.

  1. Ne sont recensées ici que les attaques aux couteaux, à l’arme à feu, à la voiture bélier et aux cocktails Molotov, excluant les poses de bombes contre lesquels le régime de légitime défense n’est pas en cause.
  2.  V. SANGERO (B.), “Self-Defence in Criminal Law”, Hart, 2006, p. 121.
  3.  Supreme Court, Nir Somekh c/État d’Israël, 10 septembre 2015, n° 4784/13.

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Terranova

En matière de légitime défense, le droit Français est fou, puisque le citoyen n’a le droit de tirer qu’après avoir été tué. L’appréciation des faits est d’une totale absurdité, puisqu’il faut évaluer comme une enquête policière, non seulement les faits (nature de l’arme, position de l’agresseur), mais en plus, les intentions. Ce qui revient à attendre la balle pour répondre. Sinon, les tarés qui font les lois et les appliquent, considèrent l’agressé comme l’auteur volontaire d’un meurtre.
Il va sans dire que cette manière de penser ne traduit pas qu’une débilité mentale profonde, mais des perversions bouchères sadiques qui mériteraient la mort pour leurs auteurs.
La position Israélienne ne me paraît pas assez rationnelle pour autant.
j’ai subi des attaques à main armée, ce qui m’a permis de dégager une position philosophique de type : « jugement de Salomon ».
Face à une personne armée qui met la vie d’autres personnes en danger, même si elle se sert d’armes par destination (voiture, camion, massue, couteau), le seul devoir des témoins est de la neutraliser immédiatement, de préférence en la tuant, de face, de côté, par derrière, par dessus, par dessous, sans chercher à comprendre ses intentions, ses motivations, ses antécédents.
Seule réserve, s’il ne s’agit manifestement pas d’un acte dit politique ou crapuleux, mais d’ordre sentimental, les témoins intervenants doivent éviter de tuer l’agresseur s’il ne présente pas un danger imminent, parce qu’il est aussi une victime.