Jeudi soir, j’ai visionné à maintes reprises ce passage où François Fillon, sur une grande chaîne de télévision nationale, se déclare chrétien.

A lire les meilleures plumes journalistiques mais aussi à entendre les commentaires de quelques hommes politiques, y compris de droite, j’avais presque cru que le candidat de la droite et du centre à l’élection présidentielle avait fait, au sens propre du terme, une véritable « profession de foi » chrétienne à la face du pays tout entier.

En d’autres termes, qu’il aurait clamé et proclamé sa foi chrétienne militante, un peu comme le font certains représentants de l’athéisme militant.

C’était assez incroyable, d’autant qu’ayant observé de près ses faits et gestes durant les cinq années qu’il a passées à l’hôtel de Matignon, aucun indice ne laissait présager un tel changement.

En observant la mimique de l’ancien Premier Ministre, j’ai vu qu’il avait, tout en prononçant la petite phrase qui fait débat, porté sa main à sa poitrine, au niveau du cœur, comme pour souligner sa profonde sincérité… Ce dernier geste, personne n’a voulu en tenir compte.

Et toute la presse, écrite, parlée ou télévisuelle a emboîté le pas aux commentateurs qui y voyaient une impardonnable atteinte à la laïcité, érigée depuis quelque temps au rang de véritable religion avec ses dogmes, ses interdits et ses rites…

Sans solliciter le texte le moins du monde, il semble bien que François Fillon pensait à tout autre chose en rappelant qu’il est chrétien. Il faisait simplement allusion à un christianisme social qui florissait de l’autre côté du Rhin au milieu du XIXe siècle, et que les théologiens protestants avaient considérablement développé (Sozialchristentum).

François Fillon voulait dire qu’en raison de ses convictions intimes, jamais, au grand jamais, il ne brutaliserait les plus faibles, jamais il ne pratiquerait une politique antisociale. Rien d’autre. Et nous pensons que s’il avait pu s’imaginer une telle frénésie médiatique, il aurait, non pas, dissimulé ses convictions que chacun connaît, mais il aurait ajouté un commentaire destiné à éclairer les commentateurs.

Mais certaines questions se pressent sur nos lèvres car elles s’imposent à notre esprit : depuis quand est-il honteux de se dire chrétien en France ? Surtout lorsqu’il est question, non pas de la dogmatique chrétienne, mais du contenu social des Evangiles, dans le strict prolongement du Décalogue hébraïque. Le fait que ce soit l’auteur de ces lignes qui le rappelle ne manque pas de sel…

Résonnent encore à mes oreilles la question du défunt souverain pontife, lors des JMJ : France, qu’as-tu fait de ton baptême ? Après tout, la France est, nous dit-on, la fille aînée de l’Eglise. D’autres iraient jusqu’à rappeler que la France est laïque depuis un siècle mais chrétienne depuis le baptême de Clovis…

Toute notre littérature, nos moralistes, se sont abreuvés à ces mêmes fontaines. Dans un autre pays que la France, la remarque très personnelle et très sincère de Fr. Fillon, serait passée entièrement inaperçue. Il est vrai que l’Hexagone présente un profil très particulier.

Je me souviens de la phrase-choc de mon regretté collègue Bruno Etienne : La France est un pays catho-laïque!

Notre pays est parvenu à la paix religieuse; la loi de 1905 a mis fin à un insupportable cléricalisme mais elle n’a pas jeté par dessus bord les racines chrétiennes de la France.

On se souvient du contentieux franco-allemand à Nice du temps de Jacques Chirac et de Lionel Jospin quand nos amis allemands voulaient mentionner les racines religieuses et spirituelles de l’Europe (geistig-religiös) ; ils se heurtèrent à un niet définitif de la part des deux têtes de l’exécutif…

Le Je suis chrétien de Fr. Fillon a été mal interprété. Nul n’est partisan d’une ingérence religieuse dans la politique française mais on a parfois tendance à pousser très loin la haine de soi, car l’héritage chrétien ou judéo-chrétien de ce pays a imprégné toutes les strates de la vie sociale : je reste persuadé que c’est exactement ce que voulait dire Fr. Fillon.

Il y a de nombreuses années, le grand rabbin Jacob Kaplan, membre de l’Académie des Sciences Morales et Religieuses, avait donné une communication sur l’origine biblique de la Déclaration des droits de l’Homme. IL y trouvait la source dans le Décalogue et aussi, par voie de conséquence, dans les Evangiles.

Dans son recueil intitulé A l’heure des nations, le philosophe français Emmanuel Levinas rappelle dans un débat avec un évêque allemand, Mgr Hemmerlé, l’idéal de charité chrétienne prônée par les Evangiles : fermer sa porte à son frère humain venu implorer aide et assistance, revient à renvoyer Dieu…

Un dernier point : le juriste allemand qui s’était assez compromis, du moins au début, avec les Nazis, Carl Schmitt avait publié au début des années vingt un recueil de quatre conférences, qu’il intitula, Politische Theologie (traduite en 1988 aux éditions Gallimard).

En gros, il y démontrait la genèse religieuse du politique : la quasi-totalité des thèmes de la vie en société, disons toute la socio-culture d’un pays, baigne dans cette source archaïque (au sens grec originel et non pas suranné ou passé de mode) qu’est sa culture religieuse.

L’assurance-maladie, la solidarité entre les classes sociales, la préservation de la vie, l’institution judiciaire, bref tout ce qui illustre la profonde unité de l’humanité, y compris le droit d’asile et l’accueil, sous certaines conditions, des étrangers en détresse, tout ceci surgit d’un fonds religieux. Et le législateur civil a su réinsérer tous ces idéaux dans un milieu plus ouvert.

Levinas, déjà cité plus haut, parle en se fondant sur l’Etoile de la rédemption de Fr. Rosenzweig de notions pré-philosophiques qui gisent au fondement de la philosophie politique elle-même.

Parler de ses attaches religieuses, sans en faire toutefois le ressort exclusif de son action politique, n’est pas une obscénité. Loin de là.

Maurice Ruben HAYOUN

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marman68

ils ont accusés Fillon d’avoir embauché un membre de sa famille et, il ce trouve que ce n’est pas interdit par la loi, ce qui prouve encore une fois de plus la nullité des socialistes,et, encore une fois beaucoup de bla bla pour rien, si ce n’est encore une fois d’avoir essayés de tromper les Français Mais tant que les socialistes sont au pouvoir ils feront tout pour massacrer la droite, et pour ce qui est de son appartenance chrétienne et alors … il y’a bien des musulmans au gouvernement et là ça ne choque personne, il y’a bien des francs maçon au gouvernement et ça ne choque personne,alors une personne qui s’attache au valeurs chrétienne ça ne peut que faire du bien à la France

André

Aujourd’hui en France le christianisme social en politique est bien oublié, pas en Allemagne avec les chrétiens-démocrates. La France est véritablement dirigée par une minorité de fanatiques laïcs de gauche et étatistes de droite qui vont jusqu’à oublier qu’effectivement se dire chrétien a aussi le sens premier d’être du côté des pauvres et non du Vatican…

MISSISTRANO Jean-Pierre

C’est ce qu’on appelle l’humanisme qui n’est ni de droite, ni de gauche, pouvant être partagé par tous les humains, de « ceux qui croyaient au ciel et ceux qui ni croyaient pas ». La religion pas plus un parti politique ne pouvant donner de leçons en ce domaine, vu le nombre de morts que chacun à hélas générer et continue, en leur nom….

MISSISTRANO Jean-Pierre

Dès que l’on introduit une notion d’appartenance religieuse, çà prête à discussion et surtout à polémique, ce qui est paradoxal, dans un milieu prêchant la tolérance.
Dans le contexte de cette phrase, il s’agit d’un tout autre niveau : les socialistes en France, se disent « humanistes », alors que les gens de droite sont volontiers caricaturés de « fachos ». Mr. Fillon a souligné son appartenance « chrétienne » en tant que valeurs auxquelles il est attaché, (il n’a pas dit « catholique »), pour montrer essentiellement qu’il avait aussi une fibre sociale, humaine, même s’il devait sortir économiquement de la faillite le système de sécurité sociale… Attaque grossièrement détournée de la part de ses détracteurs.