Alors que des scènes d’extrême violence ont été rapportées en Seine-Saint-Denis, la journaliste Eloïse Lenesley s’inquiète de la conjonction entre ce climat insurrectionnel des banlieues et l’impuissance politique du gouvernement.

Eloïse Lenesley est journaliste. Elle collabore notamment à Causeur.


C’était le 17 juin 2016. Il faisait beau et la France était en deuil. Elle rendait hommage à Jean-Baptiste Salvaing et Jessica Schneider, les policiers de Magnanville tués par un terroriste islamiste. Quand l’un des agents refusa de lui serrer la main, François Hollande passa son chemin sans même y prêter attention, tandis que Manuel Valls chercha à comprendre. «Il y a trop de problèmes dans la police!», lui rétorqua-t-il. Manuel Valls a compati, lui a tapoté l’épaule ; les problèmes ont continué.

Voitures de flics incendiées par des casseurs à Paris ou des racailles à Viry-Châtillon, slogans et affiches prônant la haine de la police, provocations des Nuit-deboutistes, agressions exponentielles contre des forces de l’ordre épuisées par l’opération Sentinelle ayant pour consigne de ne pas répliquer: au total, 32964 actes de «violences à dépositaires de l’autorité» ont été signalés en 2015 ; la même année, 25 gendarmes et 45 policiers se sont suicidés. En octobre 2016, la police a manifesté son ras-le-bol, largement soutenue par la population ; les problèmes ont continué.

Dans les banlieues «sensibles», se sont développées au fil des décennies des zones de non-droit. Les municipalités et gouvernements successifs ont cru pouvoir acheter la paix sociale en injectant de l’argent çà et là ou en prêtant allégeance au communautarisme. À l’essor de la délinquance, la garde des Sceaux Christiane Taubira répondit par l’angélisme judiciaire, François Hollande par un projet de récépissé de contrôle d’identité, Manuel Valls par un plan de lutte contre le racisme ; les problèmes ont continué.

C’était le 7 février 2017. Il faisait froid et la France était en flammes. François Hollande avait accompli sa visite «surprise» au chevet de Théodore, dit Théo, 22 ans, grièvement blessé quelques jours plus tôt lors de son interpellation à Aulnay-sous-Bois. Violé à coup de matraque, il gardera peut-être des séquelles à vie. La police des polices évoque un acte involontaire, vidéo à l’appui. Difficile d’y croire. Tout comme on a du mal à capter pourquoi un policier se serait risqué à infliger à un citoyen des sévices sexuels en pleine intervention, au vu et au su de tous: devant ses collègues devenant forcément complices, les riverains et les caméras de surveillance. De cette histoire où rien n’est clair, l’embrasement a jailli et irradié la Seine-Saint-Denis. Au prétexte de réclamer justice, des manifestants ont saccagé et incendié l’espace public, sans se soucier de mettre en danger la vie d’autrui: une fillette a été sauvée de justesse par un adolescent d’une voiture en feu. François Hollande s’imaginait-il naïvement enrayer l’escalade insurrectionnelle qui gronde dans les cités, alors qu’en orchestrant une théâtralisation victimaire dans une chambre d’hôpital, il n’a fait que légitimer un peu plus l’ire des émeutiers? Nul ne saurait remettre en cause la gravité des blessures, tant physiques que psychologiques, assénées à Théo. En revanche, la récupération politique de cette affaire a quelque chose de parfaitement abject.

Filmer ce jeune homme affaibli, murmurant un appel au calme du fond de son lit, ne pouvait que décupler la rage de ceux qui puisent leur jouissance dans la destruction et le chaos. Elle ne pouvait qu’aiguillonner un peu plus leur exécration du flic, jeter le discrédit sur une profession entière qui ne bénéficie pas de la présomption du «padamalgam», elle. Si les faits sont confirmés par l’enquête, si Théo a bel et bien été violé par un agent, alors le travail d’une police couverte d’opprobre sera encore plus difficile, du fait de l’inconséquence d’un seul de ses représentants. Derrière chaque interpellation musclée se profilera le spectre de la violence policière volontaire, gratuite. Les guérillas urbaines enfleront, goudronnant une rutilante autoroute au Front national qui n’en espérait pas tant, à quelques encablures de la présidentielle. De quoi provoquer un début d’orgasme à tous ceux qui fantasment sur une guerre civile débouchant sur l’intronisation de Marine Le Pen. Depuis une semaine, la fièvre insurrectionnelle se propage à Aulnay, Bobigny, Argenteuil, Nanterre, Torcy, Villeurbanne, Chambéry, Epinay-sur-Seine, Clichy-sous-Bois ou Neuilly-Plaisance. Pourquoi s’arrêterait-elle, puisque les journalistes, toujours prompts à dénoncer les bavures et à minimiser les agressions contre la police, lui confèrent une complaisante couverture médiatique? La combustion, c’est télégénique.

Sur les réseaux sociaux, l’outrance bat son plein entre les bobos qui couinent à la tyrannie policière, les conspirationnistes de tous bords et les semeurs de braise qui appellent à tout casser comme en 2005 – reste à savoir pour qui ces derniers roulent réellement. Dans les ministères, comme d’hab, on dénonce des «violences inacceptables» faute d’y pouvoir changer quoi que ce soit. Et les forces de l’ordre, que peuvent-elles faire, lâchées dans des jungles de béton hostiles, fiefs de l’économie parallèle, où l’on se fait traiter à l’envi de «fils de pute» et caillasser dans des guet-apens? Que peuvent-elles faire sinon succomber lentement à cette contagion de bestialité en se mirant dans l’abîme? Comment s’étonner, sans toutefois les en excuser, que certains flics finissent par disjoncter en martelant le coup de matraque de trop? «Ce sentiment d’impunité fait que depuis quelques années, du jet de pierres sur les véhicules de police on en arrive à des jets de cocktails Molotov. Et des insultes, des brimades, on en arrive aux coups de poing sur des contrôles d’identité. C’est vraiment le quotidien de mes collègues sur la voie publique aujourd’hui», confie à BFMTV Grégory Goupil, secrétaire général adjoint syndicat Alliance police 93.

Des échauffourées du Trocadéro aux vandalismes des banlieues, en passant par les Nuit Debout, le gouvernement de François Hollande s’est montré particulièrement incapable de maîtriser, en plein état d’urgence, les innombrables débordements qui ont émaillé son mandat. Ce n’est sûrement pas Emanuel Macron, l’énarque inexpérimenté, la coqueluche des salons lounge, du Cac40 et des médias, le candidat convaincu que la culture française n’existe pas, qui va terrasser cette insécurité abrasive balafrant le territoire. Pas plus que le communautariste Hamon. Le moment est peut-être venu de s’interroger sur la priorité accordée à l’«exemplarité» du politique, qui a vampirisé ce début de campagne avec l’affaire Fillon. Ce dernier a abusé, comme tant d’autres, des privilèges choquants octroyés à sa caste. De par l’acharnement dont il fut la cible, il a très certainement expié pour tous ceux qui, avant lui, se sont engraissés sur un système dont les Français ne veulent plus. Il se sait attendu au tournant. Il est sans doute, plus que ses adversaires, à la hauteur de la mission présidentielle pour redresser la croissance et faire fléchir la criminalité. Cruel dilemme, réponse en avril.

C’était le 14 février 2017. Il faisait frisquet et la France était en fleurs, Saint-Valentin oblige. François Hollande s’était rendu à Aubervilliers pour parler du respect dû aux citoyens et aux institutions, pour vanter les mérites de la Seine-Saint-Denis (le département le plus touché par la pauvreté), se gargariser de la généralisation du dispositif «garantie jeunes», réaffirmer «le besoin d’être ensemble» dans «une société apaisée» (!) Mais plus personne ne l’écoutait ; les problèmes ont continué.

  • Par Eloïse Lenesley
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Le Figaro

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