Par Richard Prasquier, président du CRIF Je ne signerai pas la pétition intitulée « Appel à la raison » que ses concepteurs, le collectif J Call, vont présenter la semaine prochaine à Bruxelles. Je suis aussi attaché qu’eux à l’espoir que la paix, une paix authentique, puisse se frayer un chemin entre Israéliens et Palestiniens, mais je pense que leur approche partielle, sinon partiale, dessert la cause qu’ils prétendent défendre. Beaucoup des réserves et des critiques qui sont les nôtres s’expriment dans une autre pétition, intitulée « Raison garder ». Le débat d’idées est sérieux et je voudrais ici expliciter ma position qui est celle de l’unanimité du Bureau Exécutif du Crif à qui le texte présent a été soumis.

Voici longtemps que le Crif s’était prononcé en faveur du principe « deux peuples, deux Etats ». C’est déjà ce principe, sous-tendu par le désir de laisser à Israël son caractère démocratique que l’évolution démographique risquait de mettre en tension, qui a poussé le gouvernement Sharon à quitter complètement la bande de Gaza. La grande majorité des Israéliens y souscrivent, le chef du gouvernement Benjamin Netanyahou l’a publiquement annoncé. La majorité des Palestiniens, malheureusement n’y souscrivent pas. Le rejet est déclaré pour le Hamas : l’article 7 de sa charte annonçant un programme d’extermination devrait épouvanter les lecteurs, si la commodité de l’aveuglement et de la négligence n’était si tentatrice. Jamais le rejet forcené de l’existence d’Israël par le Hamas n’est signalé par la pétition. Doit-on comprendre que ses signataires considèrent qu’il s’agit d’un phénomène secondaire, d’une simple réaction à la poursuite de l’occupation ? Mais il n’y a justement plus d’occupation à Gaza et l’article 7 n’a pas été modifié pour autant.

Le rejet est plus subtil, mais malheureusement présent pour l’Autorité Palestinienne dont la demande sur le retour des réfugiés équivaut à une disparition programmée d’Israël et dont les choix symboliques marquent le constant désir de ne pas accepter l’existence d’un Etat du peuple Juif. C’est ce refus existentiel qui joue dans la perpétuation du conflit le rôle fondamental, refus malheureusement en voie de pérennisation par un enseignement de la haine envers les Juifs qui inonde l’esprit des enfants.

Comment faire porter sur Israël, et sur Israël seul, le poids de sa propre délégitimation en suggérant que celle-ci est la réaction à l’ « occupation et de la poursuite ininterrompue des implantations » ? Cette assertion évoque douloureusement les accusations classiques qui font porter sur les Juifs la responsabilité de l’antisémitisme. C’est faire fi de la violence primaire du rejet d’Israël et de son caractère idéologique. C’est éluder par exemple les motifs de la haine contre Israël du Hezbollah libanais qui se prétend mouvement de libération alors qu’il n’a rien, strictement rien, à libérer : ni implantation, ni occupation….

Comment oser le terme de « faute morale » s’agissant des « implantations » à Jérusalem Est ? Jérusalem Est, d’où les Juifs n’ont été chassés qu’à trois moments de l’histoire : après la destruction par les Romains, après les Croisades et après la prise de la ville par l’armée jordanienne de 1948 à 1967. Car Jérusalem n’est pas une implantation ou une « colonie ». C’est le cœur vivant du judaïsme et la capitale de l’Etat d’Israël.

Il y a enfin dans la pétition une liberté de ton à l’endroit d’Israël qui s’apparente à une forme de prétention. Les israéliens ont-ils besoin de la diaspora juive pour savoir quelle est la « bonne » décision, ce que devraient être les frontières d’un pays que leurs fils et leurs filles protègent ? Vouloir faire le bonheur des gens à leur place est une tentation dangereuse. Les Israéliens devraient-ils, eux et eux seuls, rechercher à l’étranger des corrections aux décisions d’un gouvernement élu sur des fondements démocratiques irréprochables? Il y a un enseignement de la Shoah que nous ne devons pas oublier, c’est celui de l’absence des nations et de leurs représentants au moment où leur voix ou leur action aurait pu éviter, ou au moins diminuer, le macabre comptage de l’extermination. Israël revendique le droit élémentaire d’être un sujet et non un objet de l’histoire. Nous pensons que ce n’est pas un « alignement systématique sur la politique du gouvernement israélien » que de lui reconnaître ce droit.

Cela étant, il y a parmi les rédacteurs et les signataires de cette pétition des personnes qui nous sont proches et dont nous estimons le travail et la réflexion. Il en est qui sont membres du Crif et ils y ont toute leur place. Leur engagement envers Israël n’a pas besoin de preuve tant il s’est manifesté dans le passé. Au bureau du Crif, beaucoup partagent leurs angoisses et certains partagent une partie de leurs analyses. Notre institution est et doit rester plurielle. Les invectives, et a fortiori les menaces, n’y ont pas leur place.

Mais l’enfer étant pavé de bonnes intentions nous pensons que demain, en dépit des protestations sincères de ses auteurs, ce texte, signé par une majorité de juifs sionistes, servira de pièce à conviction dans des tribunes, des forums et des rassemblements qui ne le seront certainement pas.

Dans la nécessaire et difficile négociation que nous appelons de nos vœux, il ne suffira pas pour que la paix puisse s’espérer et perdurer qu’on mette un terme à des constructions qui ne gênent objectivement personne, ou que l’on détaille au cordeau des frontières sur des cartes géographiques. Il faudra un changement de mentalités, et pour cela que les interlocuteurs soient sincèrement convaincus de leur intérêt bien compris à l’acceptation de l’autre. Ce serait un beau signal du début de cette acceptation que de voir un texte en miroir à celui de J Call se diffuser dans le monde arabo-musulman. Je regrette que nous n’en soyons pas là actuellement.

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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