Il est abondamment question dans la presse, depuis quelques jours, de l’annulation de la réunion que Stéphane Hessel devait tenir le mardi 18 janvier à l’Ecole normale supérieure (ENS), dont je suis la directrice. Certains déplorent les pressions qu’aurait exercées le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) sur la direction de l’ENS , d’autres croient voir la liberté d’expression bafouée. Dans ce vacarme d’indignation sincère et de mauvaise foi mêlées, peut-on faire entendre les faits et les raisons ?

J’ai décidé d’annuler la réservation de la salle prévue pour ce meeting, dix jours avant la date où il devait se tenir. Je l’ai décidé seule. Si une situation analogue se présentait de nouveau, j’agirais de la même façon. Je n’ai eu aucun contact avec le CRIF. Au moment où j’ai pris cette décision, j’ignorais les démarches entreprises par plusieurs personnalités. Quiconque souhaitait savoir ce qui s’était vraiment passé n’avait qu’à me le demander. Mais les faits ou les explications se sont vite trouvés dépourvus d’intérêt. Une rumeur était lancée, et elle progressait en roue libre sur Internet, et même dans nos journaux d’information.

Voici les faits. A la mi-décembre 2010, une demande de réservation de salle émanant d’un chercheur de l’ENS m’a été soumise. Il s’agissait de réunir autour de Stéphane Hessel des normaliens et quelques personnalités pour débattre de la liberté d’expression. A cette requête, j’ai donné évidemment mon accord. Stéphane Hessel sera toujours accueilli dans notre école pour exposer ses idées et discuter avec nos élèves. J’ai eu maintes fois l’occasion de le lui dire.

Le 7 janvier, des amis m’ont transmis l’annonce de la réunion telle qu’elle circulait très largement sur de nombreux sites. Je regrette qu’aucun des articles qui ont consacré tant de colonnes à commenter ma décision n’ait jugé bon de reproduire cette affiche. Chacun aurait pu constater qu’il ne s’agissait aucunement d’une réunion interne à notre école entre Stéphane Hessel et des élèves, mais d’un meeting organisé par le collectif Paix Justice Palestine.org, qui soutient, entre autres, le boycottage des universitaires israéliens. L’appel largement diffusé laissait prévoir une assistance importante et totalement extérieure à l’école. J’ai aussitôt pris la décision d’annuler la réservation de la salle.

J’avais été trompée sur la nature exacte de cette réunion, ce qui est à soi seul un motif d’annulation. L’Ecole normale supérieure est un établissement de recherche et d’enseignement. Elle est aussi un lieu de débat, de réflexion, et de critique. Elle abrite de nombreux cercles d’études politiques. Y sont souvent organisées des réunions sur des sujets liés à l’actualité, y compris celui du Moyen-Orient, avec le souci d’une pluralité minimale de points de vue et le souhait d’un approfondissement dans la connaissance et la réflexion.

Ceux qui étudient et enseignent à l’ENS sont souvent engagés dans la réflexion politique, en cela ils prolongent la tradition de notre école. Mais ils n’avancent pas masqués, ils annoncent clairement la nature de la réunion qu’ils souhaitent organiser (interne, ou bien ouverte au public) et discutent avec nous de la façon dont nous pouvons, et parfois ne pouvons pas, l’accueillir. En particulier, nous ne souhaitons pas la tenue à l’école de meeting sans débat, où l’on ne fait que confirmer à plusieurs l’énoncé d’un point de vue.

J’ajoute qu’un rassemblement comme celui qui s’annonçait aurait très probablement, du moins c’est ainsi que j’en ai jugé – à tort ou à raison, je suis prête à en débattre -, entraîné des affrontements ; dans un tel cas, nous n’aurions absolument pas eu les moyens d’en assurer la sécurité. Entendre invoquer des motifs de sécurité fait souvent sourire, il est facile d’y voir un prétexte facile à produire. Mais tous ceux qui ont la charge d’un lieu qui accueille le public savent combien le souci de la sécurité est devenu obsédant, et aucun directeur d’établissement ne peut prendre raisonnablement le risque, même minime, d’un incident grave lorsqu’il a des raisons de le redouter.

Nous avons aussitôt fait part de cette décision au chercheur qui avait réservé la salle. Nous lui en avons expliqué les raisons. Nous lui avons proposé notre aide pour trouver rapidement un autre lieu dans Paris afin d’y tenir la réunion. Nous lui avons aussi fourni de nombreux contacts.

Voilà les faits, à première vue bien insignifiants. Cet épisode a toutefois provoqué une cascade d’articles et de prises de position , le plus souvent ignorantes de ce que je viens de rapporter. J’y ai reconnu l’expression des délices éprouvés à adopter la posture de victime et une surenchère de jugements édifiants. C’est ainsi que deux secrétaires nationaux du Syndicat de la magistrature parlent dans un article de « l’annulation, à la demande du CRIF, d’une conférence-débat qui devait se tenir à l’Ecole normale supérieure » (la présomption d’innocence est bien mal-en-point dans notre pays si même des magistrats jugent sans enquêter).

C’est ainsi encore que plusieurs professeurs de philosophie, anciens élèves de l’ENS, dont certains, du moins je le pensais, sont mes amis, s’indignent que le CRIF impose ses vues. Edifiant spectacle que celui de ces professeurs, « Et sur moi le soir tombe », qui, dans un jugement d’autorité que justifie à leurs yeux leur passé d’engagement politique, rappellent à l’ordre la directrice de leur chère école. Lui reprochent-ils sérieusement de n’avoir pas compris que dans la pensée de Stéphane Hessel se tenaient, non une bien-pensance à la fois critique et fort dogmatique, mais le souffle créateur de la pensée et la vision puissante des combats pour la liberté ?

J’ajoute, puisque cette tribune m’en donne l’occasion, que l’Ecole normale supérieure entretient des liens précieux d’un point de vue scientifique avec des universitaires et des équipes de recherche israéliennes. Aucune réunion publique appelant à les rompre n’aura lieu avec mon accord à l’ENS.

Depuis une semaine, on parle de l’Ecole normale supérieure dans la presse, et cela à propos de l’annulation de la réservation d’une salle. Que n’a-t-on plutôt traité des mutations de notre école et du rôle qu’elle veut aujourd’hui jouer dans la réflexion sur les filières d’élite, sur l’ouverture des enseignements à la recherche et à l’innovation et sur la capacité que peut avoir un établissement sélectif de reconnaître les talents ? Pourquoi n’a-t-on pas mentionné le combat que mène l’ENS pour la défense des valeurs liées au savoir, à la recherche et à la qualité de la transmission, aujourd’hui bien malmenées ?

Pourtant, l’enjeu est de taille car il s’agit de remédier à la plus redoutable forme de relégation sociale présente dans notre société et aussi de rappeler que des cultures sans savoir et sans étude deviennent vite des cultures somnambules. Puisqu’on parle depuis plusieurs jours de liberté d’expression, ne devrait-on pas d’abord en défendre la condition la plus sûre : l’accès à une éducation capable de former des esprits libres et critiques et le refus de l’oligarchie du savoir ? Là, ce sont de vraies victimes, mais des victimes sans voix, donc on les ignore.

Monique Canto-Sperber, philosophe, directrice de l’Ecole normale supérieure (rue d’Ulm)

Article paru dans l’édition du 28.01.11

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Babet

Vous devriez au moins vous abstenir de convoquer Levinas pour essayer de justifier de telles stupidités.

Chemen

Je ne connais pas cette dame, je ne fais pas partie de l’intelligentsia française et je ne suis pas juive.Mais je trouve cette femme courageuse, honnête et brillante. Et j’aimerais beaucoup que ceux qui écrivent des commentaires s’opposant à elle soient tout au moins aussi pleins de courtoisie, de respect et d’élégance physique, morale et intellectuelle que cette Directrice de l’Ecole Normale Supérieure….. Merci Madame et Bravo !!!

patricia trojman

En tant que philosophe, j’admire le courage de la Directrice de l’ENS qui n’a pas cédé aux pressions et chantages médiatiques d’un groupe d’agitateurs qui défendent des pseudo valeurs droits de l’hommistes qui n’ont rien de philanthropiques mais qui cultivent au contraire la haine et la division dans les universités et par là même font alliance avec les mêmes forces obscurantistes de l’anti-capitalisme primaire.
Chère Madame continuez dans cette voie, car les personnes qui comme vous ne partagent pas la pensée unique et qui ne « hurlent pas avec les loups » se font si rares.
Comme vous je pense que l’injuste boycott des universitaires israéliens n’ont pas droit de cité dans à l’ENS qui au contraire est un lieu de science , de recherche et de partage.

Patricia docteur en philosophie à Nice

steve

Bravooooooooooooooo Madame, vous êtes courageuse…
non à l’islamisation de l’Europe avec pour prétexte le problème Palestinien..

steve

bonjour

je vous soutiens de tout coeur Madame, j’admire votre courage. la peur suscitée par la crainte des occidentaux de se voir frapper par le terrorisme a fait en sorte que nos gouvernements ont vendu l’Europe à l’islam. L’une des astuces que les leaders palestiniens ont utilisé, c’est gagner la guerre de l’information en vue du susciter un climat anti Israël. je ne suis pas juif, mais je trouve que le problème palestinien est devenu un prétexte pour tout se permettre. l’Europe est pro arabe, les calomnies dont vous avez été victimes.. félicitations Madame…le courage que nos hommes politiques n’ont pas vous l’avez. Devant l’islamisation de l’Europe,les prières dans les rues bouchant la circulation, qui dénoncent cette prise d’otages des valeurs européennes, personne, alors Madame, vous avez tout mon soutien,pour que votre établissement reste un lieu d’échange pas un lieu où se trame les complots.

Armand Maruani

Beaucoup lui repproche d’être pro Israëlienne. La décision est courageuse compte tenu du poste qu’elle occupe.Beaucoup qui se disent nos amis n’auraient pas eu son courage.Nous ne pouvons que la féliciter et l’encourager dans cette voie.

Theodoredahan

« sa beaute est à la hauteur donc de sa bétise » il y a encore de l’espoir si cette personne est suffisamment objective pour au moins apprecier sa beauté .
Que j’aimerais etre aussi beau et intelligent qu’elle.
N’ a t on rien d’autres à lui reprocher.
Que de courage faut il avoir pour resister, lorsque l’on est à ce niveau de responsabilite, à une telle pression de stupidite.
Bravo Madame Canto Sperber!

mivy

Ce n’est pas l’auteur de la lettre qui est responsable de la mise en page, Monique Canto-Sperber a rédigé une lettre ouverte, ou elle dénonce les calomnies et mensonges dont elle a été victime.
Qui a-t-il de choquant à dénoncer la tromperie des anti-israéliens ?
Qui a-t-il de choquant à affirmer son désir de pluralité sans exclusive ?
Cette lettre m’a fait du bien, et m’a un peu rassurer dans le climat actuel où Israël ressemble à l’âne des animaux malades de la peste, et où tous les beaux esprits condamnent en s’ auto-amnistiant.

Francoiseclergeau430

comment peut on présenter un tel article en se mettant en photos tel closer ou paris match!!
un tel narcissisme ne permet pas à AUTRE( au sens levinassien du mot) d’être
lamentable cette dame !sa beaute est à la hauteur donc de sa bétise
directrice de normal sup cça!!!!!!!!!!!