Nous commémorons cette semaine le « Pessa’h Chéni ». Bien que ce jour ne constitue pas une fête à proprement parler, le 14 Iyar comporte pourtant une signification majeure souvent méconnue !
Même si le 14 Iyar n’est ni une fête ni un jour férié, l’habitude a pourtant été prise de célébrer ce jour en souvenir de l’agneau pascal qui était offert au Temple par tous ceux qui n’avaient pas eu la possibilité de le faire le 14 Nissan.

En effet, bien qu’en général il soit interdit d’approcher un sacrifice dont on aurait ajourné la date, la Torah nous dévoile en ouverture du chapitre 9 du Livre Bamidbar que si, pour des raisons de « force majeure », quelqu’un n’avait pu offrir et consommer le korban Pessa’h au soir commémorant de la Sortie d’Égypte, il pourrait le faire le 14 du deuxième mois de l’année afin d’éviter la sanction guettant celui qui aurait négligé le sacrifice pascal, à savoir la peine de karèt (le retranchement)…

Toutefois, bien qu’en ce jour nous ne prononcions pas de ta’hanounim (supplications) dans les prières du matin et de l’après-midi, le « Pessa’h Chéni » – littéralement le « second Pessa’h » – est aussi appelé « Pessa’h Zéira », le « petit Pessa’h ».

Car à la différence du premier, il n’est pas offert par la communauté toute entière (avec toutes les règles entourant le jour de la Sortie d’Égypte : interdiction de détenir du ‘hamets et de sortir la chair de l’agneau pascal de la maison où il est consommé, en plus de l’obligation de l’accompagner d’un sacrifice de fête – le Korban ‘Haguiga, etc.), mais il est présenté par des individus isolés.

Malgré ces différences, étant sacrifié au Temple, le « Pessa’h Chéni » comporte une sainteté particulière dont il est nécessaire d’analyser les enjeux un peu plus en profondeur…

« Hod » –

l’engagement de soi

Le 14 Iyar en effet correspond inéluctablement au début de la cinquième semaine de la Séfirat haOmer, celle de la middat Hod. C’est pourquoi, nous ne saurions saisir le sens profond de «Pessa’h Chéni» si nous n’essayons pas de comprendre
ce qui le rattache à l’attribut de Hod.

Or, généralement traduite par les termes «splendeur» ou «majesté», la midda Hod correspond davantage à l’idée même de la réalisation effective d’un bienfait, c’est-à-dire – sur un autre registre pourtant complémentaire – à l’exercice positif du libre-arbitre, l’engagement de soi et… la gratitude.

A telle enseigne que cette Séfira est généralement associée à la figure d’Aharon haCohen dont il est dit qu’il aimait la paix et la recherchait à tout prix (Pirké Avot, 1, 12).

Puisque, à la différence de son frère Moché auquel on attribue la midda de Nétsa’h (l’éternité ou, devrait-on plutôt dire, la dimension métaphysique par excellence) à savoir ce lien immuable que le plus grand des prophètes établit entre D.ieu et le peuple d’Israël lorsqu’il devint l’intermédiaire susceptible de permettre la révélation de la Torah, Aharon haCohen incarne quant à lui l’action humaine par excellence (la avoda : le service divin) ; c’est-à-dire ce que l’homme ajoute au réel par ses propres efforts, ce qu’il y adjoint grâce à sa détermination personnelle.

Ainsi, le verset nous enseigne : «Quand il y eut des hommes qui se trouvaient souillés par des cadavres humains et qui ne purent faire Pessa’h ce jour-là, ils se présentèrent devant Moché et devant Aharon ce même jour, et ces hommes lui dirent : «Nous sommes souillés par des cadavres humains ; mais pourquoi serions-nous privés d’offrir le sacrifice de D.ieu en son temps, seuls entre les enfants d’Israël ?». Moché leur répondit : «Attendez que j’apprenne comment l’Eternel statuera à votre égard !», (Bamidbar, 9, 6-8).

Ce qui signifie en d’autres termes, explique le rav Guédalia Eliahou Charar dans son livre «Or Guédaliahou » (page 15.), que par leur obstination et leur courage, ces hommes eurent le mérite de provoquer le dévoilement d’une nouvelle paracha de la Torah : celle précisément du sacrifice de « Pessa’h Chéni » ! Cette opiniâtreté qui caractérise la midda Hod correspond donc, en son essence même, à ce qu’il est convenu d’appeler la Torah orale, dans la mesure où c’est grâce à leur participation positive au dévoilement de la vérité que ces hommes furent susceptibles d’instituer une nouvelle paracha !

On ne s’étonnera donc pas que cette semaine du «Hod», qui débute avec « essa’h Chéni» pour atteindre son point culminant lors du 33è jour de l’Omer avec l’association des deux Séfirot «Hod ché-bé-Hod» au moment du fameux «Lag baOmer» (le jour de la hilloula de rabbi Chimon bar Yo’haï, le prestigieux élève de rabbi Akiva dont il est dit que toutes les Michnayot ont été dites en son nom – voir Rachi, Traité Méguila, page 2/a), soit par excellence celle de la Torah orale.

L’ «amie accomplie»

Comme cela est indiqué dans la Torah, la fête de Pessa’h s’appelle aussi «Chabbat», ainsi qu’il est dit au sujet de la mitsva du décompte de l’Omer : «Vous compterez pour vous à partir du lendemain du jour de repos (Chabbat), à partir du jour où vous avez apporté le Omer du balancement», (Vayikra, 23, 15).

Puisque, comme le Chabbat, le jour de Pessa’h exprime dans son essence cette aide exceptionnelle venue du Ciel qui permit au peuple hébreu, même s’il ne le méritait pas vraiment, d’être libéré d’Égypte grâce à l’intervention miraculeuse de D.ieu dans l’Histoire ! Inversement, les jours de la Séfirat haOmer sont tout entiers consacrés aux efforts personnels de chaque membre de l’Assemblée d’Israël tendant à reconquérir et à revivre cette haute dimension qui fut atteinte le jour de Pessa’h.

Tel est le sens même de «Pessa’h Chéni» : à la différence du 14 Nissan où le korban était approché par toute la communauté, le 14 Iyar, c’est chaque particulier (prat) qui est pris en compte en fonction de son accomplissement personnel.

De même, la Séfirat haOmer – encore plus particulièrement pendant cette semaine de la middat Hod désignant l’action humaine par excellence – nous invite à prendre en main notre propre responsabilité et à participer activement à l’élaboration de notre identité afin de revenir au point initial où le Tout-puissant fit de chacun d’entre nous un homme libre, comme cela est sous-entendu dans le verset : «Vous compterez pour vous Lakhem »>Article original» (idem.), c’est-à-dire «chacun d’entre vous».

Or comme nous le savons, la Séfirat haOmer se conclut par la fête de Chavouot, en ce 3ème mois de l’année qui correspond au mazal des «Téomim» que l’on traduit généralement par «les Gémeaux», à savoir cette dimension de synchronisation et de parfaite symétrie unissant le spirituel et le matériel. Et ce, dans la mesure où, parvenus à cette date, les Enfants d’Israël avaient réussi à faire correspondre leur activité d’ici-bas avec le sens métaphysique qui la commandait lors de la Sortie d’Égypte – au jour même de Pessa’h -, au point de mériter que le plus haut dévoilement possible (lors du don de la Torah au Sinaï, jour de Chavouot) s’harmonise entièrement avec leur propre réalité…

C’est en effet ce que le Midrach nous révèle lorsqu’il écrit au sujet du verset : «Ouvre-moi, ma soeur, ma compagne, ma colombe, mon amie accomplie Tamati »>Article original» (Cantique des Cantiques, 5, 2) : « «Tamati», car Mon peuple s’est mis à l’unisson Nitamémou »>Article original avec Moi au mont Sinaï, et il a déclaré : «Tout ce que D.ieu dira, nous le ferons et nous le comprendrons», (Chémot, 24, 7). Rabbi Yanaï a ajouté : «C’est ‘Téomati’, mon double qu’il faut lire »>Article original» ; comme si D.ieu avait dit : «Je ne suis pas plus grand qu’eux, et eux ne sont pas plus grands que Moi» », (Midrach Raba, Chir haChirim, 5, 2).

Loin donc d’être une fête subalterne, «Pessa’h Chéni» représente cette disposition singulière de l’homme juif à la conquête de soi, en accord avec la Loi qui le commande depuis sa naissance…

YEHUDA RÜCK

Chiourim.com

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