Dans les principaux quotidiens, on assiste à un déferlement de points de vue hostiles aux lois mémorielles et à la pénalisation des négationnismes auxquels elles font barrage. Claude Lanzmann a eu raison récemment de dénoncer l’offensive plus ou moins dissimulée au sein de l’éducation nationale contre l’usage du mot « Shoah » pour désigner spécifiquement l’extermination systématique des juifs. Pierre Nora, président de l’association Liberté pour l’Histoire, se dévoile (Le Monde du 28 décembre 2011): « Tous les historiens sérieux sont réticents à utiliser le mot génocide, lui préférant selon les cas « anéantissement », « extermination », « crime de masse » »… Et certains « points de détail ».

Les lois mémorielles ne font pourtant peser aucune menace sur la recherche historique : j’en ai fait l’expérience, puisque j’ai ramené sans problème aucun le bilan établi par le ministère des victimes de guerre des juifs déportés de France de plus de cent mille déportés raciaux à soixante-quinze mille. Si la loi Gayssot n’avait pas été adoptée, on assisterait depuis vingt ans à une avalanche d’articles et d’ouvrages niant la Shoah, alors que cette loi, arme contre l’antisémitisme, a muselé l’historien Robert Faurisson et ses émules, sauf sur Internet où les opinions exprimées en ce sens n’ont pas à être plus prises en considération que les lettres anonymes.

Concernant la loi qui sanctionne pénalement la négation des génocides contemporains et, en particulier, celui des Arméniens, le principal argument des opposants à cette loi est que la France n’est pas concernée par ce génocide. C’est oublier que lorsqu’il a été perpétré, la France était en guerre contre l’Empire ottoman et qu’elle a condamné les terribles massacres visant à l’extermination systématique des Arméniens.

La France, à l’époque, réclamait déjà des sanctions contre les auteurs turcs et leurs complices allemands de cette abomination. La France ouvrait ses portes aux rescapés et facilitait leur immigration. Les descendants de ces survivants sont confrontés en permanence à un négationnisme d’Etat. S’imagine-t-on quelle aurait été la réaction des juifs si l’Allemagne avait adopté un pareil comportement ? Ceux qui, en France, condamnent cette nouvelle loi au nom de la liberté de l’histoire, ne veulent pas savoir qu’en Turquie ceux qui luttent pour la reconnaissance de ce génocide, Arméniens ou Turcs, risquent leur liberté et leur vie et parfois les perdent.

Morale politique

Militant du projet Aladin qui s’oppose au négationnisme en terre d’islam, je reconnais l’intervention en faveur de juifs turcs vivant en France de consuls turcs qui sont allés à l’encontre de la politique restrictive et hostile de la Turquie envers les juifs pendant la seconde guerre mondiale. La recherche de la vérité historique m’a engagé depuis longtemps au côté de ceux qui réclament de la Turquie une véritable confrontation avec son passé.

Quant à notre Parlement, il ne s’arroge pas le droit de dire l’histoire ; il a toujours posé des bornes de morale politique, ne serait-ce qu’en commémorant par des jours fériés la Révolution du 14-Juillet, la victoire du 11-Novembre, la chute du nazisme le 8-Mai. Il ne s’agit pas de régenter l’histoire mais, à la suite d’événements exceptionnellement tragiques et à partir du travail des historiens sérieux, d’indiquer aux citoyens la route à suivre dans l’histoire en tenant compte de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas.

Le génocide des Arméniens représentait un acte de barbarie réfléchi et d’une ampleur plus grande que le massacre de Chios (perpétré par les Ottomans contre la population grecque en avril 1822), qui avait indigné l’Europe au XIXe siècle. Si ce génocide avait été sanctionné internationalement comme la France le souhaitait alors, la Shoah n’aurait probablement pas eu lieu.

Si la négation des génocides contemporains n’était pas sanctionnée, en application de la décision-cadre de l’Union européenne du 28 novembre 2008, cette lacune handicaperait moralement l’espace politique européen, qui repose sur l’opposition aux nationalismes chauvins, à tous les totalitarismes et aux paroxysmes de violence qu’ils entraînent nécessairement.

Serge Klarsfeld

Le Monde.fr

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