C’est le « buzz » du moment. Tous les responsables politiques et la plupart des élus le confirment sans barguigner. Même les sondeurs paraissent mal à l’aise devant ce décallage entre leurs enquêtes et le ressenti du terrain – comme on dit. Marine Le Pen est-elle sous-côtée ? Les scores dont la créditent les sondages prennent-ils l’exacte mesure d’une poussée frontiste qui pourrait bousculer tous les scénarios de la présidentielle, version 2012 ?

Première remarque : ce type de débat n’est pas nouveau. Depuis la surprise du 21 avril 2002, plane dans tous les esprits, l’idée que la méfiance doit être de règle quand on évalue l’étiage exact du FN. Qu’importe si cette année là, le phénoméne le plus notable fut non pas la performance de Jean Marie Le Pen mais la faiblesse du score de Jacques Chirac et surtout de Lionel Jospin, au premier tour. Dans le souvenir des électeurs – et des commentateurs – il y a un mystère frontiste. Si les Le Pen – père et fille- avancent à bas bruit et si leur conquête des esprits est une entreprise à la fois progressive et inéluctable, la méfiance est donc de mise. On notera simplement qu’avec ce type de raisonnement, beaucoup en 2007, n’ont pas su voir que pour sa cinquième participation à une compétition présidentielle, Jean-Marie Le Pen était un homme usé et vieilli. Lors de ce scrutin, les sondeurs ont eu tendance à surévaluer le vote frontiste. Comme quoi, avec le FN, l’erreur ou l’imprécision, n’est pas à sens unique

D’où une seconde remarque. La mesure du FN et de ses candidats, dans les enquêtes d’intention de vote, a toujours posé des problèmes aux sondeurs. Entre « les bruts » de leurs enquêtes et les résultats « redressés » publiés dans les médias, il y a avait ainsi en 2002, un rapport de presque un à deux. La banalisation des thèses frontistes et la nouvelle image imposée à son parti par Marine Le Pen atténuent, à l’évidence, l’importance d’un vote masqué que les sondages auraient du mal à prendre en compte. Ce qui ne veut pas dire que le phénomène a totalement disparu. Entre les enquêtes auto-administrées par les personnes interrogées et celles qui se déroulent – le plus souvent au téléphone- entre le sondeur et le sondé, on constate encore aujourd’hui un écart de deux ou trois points. Preuve que la parole, quand il s’agit du FN, n’est pas encore totalement libérée.

Troisième remarque. Dans tous les sondages publiés depuis deux mois, Marine Le Pen égale ou dépasse les meilleurs scores jamais obtenus par son père dans une élection présidentielle. En 2002, Jean Marie Le Pen a recueilli 16.8% des suffrages exprimés au 1er tour. Aujourd’hui, la nouvelle présidente du Front navigue, selon les instituts, entre 17 et 20%. Il y a deux manière de lire ces chiffres. La plus rassurante – toutes choses égales par ailleurs ! – consiste à dire que depuis le printemps dernier, Marine Le Pen stagne. Elle a franchit un pallier, lors de son accession à la tête de son parti.

Mais sans avoir encore réussi à crever ce fameux « plafond de verre » qui a toujours empêché le FN de s’imposer comme une force crédible, capable de remporter une élection y compris de premier plan. Reste pourtant que les marges de progression frontistes sont aujourd’hui plus fortes qu’elles ne l’étaient hier. Non pas que les idées traditionnellement défendues par ce parti dans l’opinion en matière de sécurité ou d’immigration aient très sensiblement progressées. Mais parce que l’offre lepéniste a changé de dimension, de registre et de visage. Ce sont les effets que cette transmutation qu’observent, sur le terrain, tous ceux qui estiment que Marine Le Pen est largement sous-côtée. A l’oreille, si on ose dire, il est possible que le bruit d’un parti qui recueille près de 20% des voix soit suffisamment fort pour donner le sentiment, à lui seul, d’une vague ou tout au moins d’une poussée forte. Quitte à impressionner ceux qui tentent d’en prendre la mesure, fut-ce au doigt mouillé. Pour autant, c’est un fait avéré que les analystes les plus pointus de phénomène lepeniste qui, souvent, sont également des observateurs attentifs du comportement des classes populaires, évoquent un score de Marine Le Pen, le 22 avril, qui pourrait dépasser les 25%.

Ce qui conduit à une dernière remarque. Quoiqu’il arrive durant les prochaines semaines, que Marine le Pen parvienne ou non à rassembler les 500 parrainages nécessaires à sa candidature, l’électeur frontiste restera au cœur de la campagne. De son comportement, de ses attentes, de la perception aussi de la menace qu’il représente, dépendent à la fois le déroulement de la campagne et le nom du vainqueur. Avec, au cœur, de tout cela, une variable dont on sous-estime trop souvent l’importance. Il y a une corrélation entre le taux d’abstention à la présidentielle et le niveau du FN. En 2002, la première fut relativement forte et Jean-Marie Le Pen s’est imposé dans le second tour. En 2007, elle fut historiquement faible et Jean-Marie Le Pen a tout juste franchi la barre des 10%. Ce qui veut dire aussi, pour ceux qui professent un anti-lépénisme actif que le bulletin de vote n’est pas uniquement un moyen de choisir mais aussi une manière assez simple de résister.

François Bazin

Le Nouvel Obs.com

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