Le Docteur Mordehai Kedar est un politologue réputé de la région.

Spécialiste du Proche-Orient, il présente la particularité de parler couramment l’arabe et enseigne même au sein du département arabe de l’Université de Bar-Ilan. Cette connaissance lui donne accès aux antennes de chaînes internationales comme Al-Jazeera, sur lesquelles il n’hésite pas à défendre sans détours l’État d’Israël.
Connu pour son franc-parler, le Docteur Mordehai Kedar ne l’est pas moins pour ses connaissances approfondies sur notre région et ses analyses pertinentes et clairvoyantes. Soulignons que sa thèse porte sur la Syrie de Hafez-El-Assad en général et sur la politique interne syrienne en particulier. Il est donc un observateur privilégié de la période que nous traversons. Par ailleurs, le Docteur Mordehai Kedar a servi pendant 25 ans dans les renseignements militaires où il s’est spécialisé sur les groupes islamiques, les discours politiques des pays arabes, la presse arabe et les médias de masse. Il a vécu au plus près la guerre de Kippour dont nous commémorons les quarante ans cette année. Il nous livre ses éclairages et son témoignage.

Le Plus Hebdo : Pourquoi avez-vous décidé de vous spécialiser sur le monde arabe ?

Docteur Mordehai Kedar : J’avais en kita tet un très bon professeur d’arabe, Dov Yiron z »l. Il a su transmettre à ses élèves l’amour de la langue et de la culture arabe. Cet apprentissage approfondi m’a d’ailleurs permis de lire dans leurs versions originales les textes de nombreux Sages juifs, comme le Rambam, Rabbenou Behaye ou le Rav Saadia Gaon.

Lph : Vous êtes spécialiste de la Syrie. Pourriez-vous nous expliquer en quelques mots l’imbroglio syrien de ces dernières années ?

Dr M.K. : En gros, depuis deux ans et demi tout le monde est contre tout le monde là-bas. Il faut savoir qu’en Syrie existent des centaines de milices. Chaque groupe, chaque culture possède sa milice : les chrétiens, les druzes, les islamistes, le gouvernement, les rebelles, etc… Aujourd’hui le pays est détruit. Seuls quelques endroits sont encore aux mains du gouvernement ; on peut estimer qu’environ 80 % du territoire syrien n’est plus sous l’autorité de Bachar El-Assad.

Lph : Voyez-vous une issue à ce conflit interne ?

Dr M.K. : La Syrie est vouée à l’implosion. Elle va éclater en plusieurs petites entités aux mains de groupes ethniques différents. D’ailleurs, c’est déjà le cas au nord-est du pays où la population kurde vit de façon plus ou moins indépendante. C’est probablement le schéma que suivra le reste du pays. Quant à Bachar El-Assad, sa principale préoccupation aujourd’hui est que sa tête reste sur ses épaules…

Lph : Quel rôle le Hezbollah y joue-t-il ?

Dr M.K. : Le Hezbollah soutient Assad et se battra pour lui jusqu’au bout. C’est sans doute grâce à lui que le gouvernement syrien tient encore. Si Assad tombe, alors le Hezbollah renforcera encore ses liens avec l’Iran et se réfugiera dans des moyens violents contre les druzes et les chrétiens notamment. Le Liban n’a pas dit son dernier mot quant aux agitations susceptibles de le secouer….

Lph : Quel est votre regard sur les tergiversations occidentales quant à une intervention militaire en Syrie ?

Dr M.K. : Je ne pense pas qu’il y aura une intervention étrangère dans le conflit, et ce pour deux raisons. Premièrement, Barack Obama a reçu des informations selon lesquelles les armements du gouvernement syrien ont été disséminés dans tout le pays. Il est aujourd’hui quasiment impossible d’identifier des cibles afin de détruire cet armement. Deuxièmement, les Occidentaux savent que les bâtiments gouvernementaux ainsi que tous les points stratégiques du pouvoir en place sont aujourd’hui entourés de boucliers humains. Il leur sera impossible de viser ces points sans occasionner de très lourdes pertes humaines. Ils ne prendront pas le risque d’avoir du sang civil sur les mains.

Lph : Quelle attitude le gouvernement israélien devrait-il avoir selon vous ?

Dr M.K. : Si j’étais Premier ministre, je m’attacherais à faire tomber la tête d’Assad, c’est ce qui serait le mieux à faire.

Lph : Ne craignez-vous pas ceux qui viendront le remplacer ?

Dr M.K. : Qui viendrait à la place de Bachar El-Assad ? Al Qaida ? C’est effectivement ce que beaucoup redoutent. Quant à moi, je préfère Al Qaida à Bachar El-Assad ! Al Qaida est certes une organisation terroriste que je condamne, mais elle n’est pas un État avec tout le réseau que celui-ci peut avoir. Nous devons être conscients des liens qu’entretient le pouvoir syrien actuel avec l’Iran qui constitue certainement la plus grande menace pesant sur Israël aujourd’hui. C’est pourquoi selon moi Al Qaida serait moins mauvais pour nous que Bachar El-Assad.

Lph : Que vous inspirent les longues queues en Israël pour récupérer les masques à gaz ? Un vent de panique justifié ?

Dr M.K. : Pendant de longues années les Israéliens n’ont pas eu de masques à gaz pour se protéger ! C’est leur confiance en D’ieu qui les rend plus forts !

Lph : Venons-en aux bouleversements égyptiens. Comment la situation est-elle susceptible d’évoluer ?

Dr M.K. : Tout y est très instable. En effet, les Frères Musulmans sont soutenus par 20 à 30 millions de partisans. Ils n’ont pas digéré de s’être fait prendre le pouvoir et ne perdront pas espoir de le récupérer. Je pense que tout ceci finira par exploser de nouveau. L’Égypte pourrait très bien se transformer en chaos comme l’Irak.

Lph : Quelles sont les relations entre Israël et le gouvernement militaire égyptien ?

Dr M.K. : Pour nous, les militaires égyptiens sont jusqu’à présent de bons partenaires. Ils coopèrent dans le Sinaï et sont en voie de créer une zone tampon avec Gaza qui pourrait empêcher le trafic souterrain d’armes vers cette enclave. À ce stade, les relations sont bénéfiques pour notre sécurité.

Lph : Les négociations avec les Palestiniens ont repris. Qu’en attendez-vous ?

Dr M.K. : Ces négociations n’existent que parce que les Américains les portent. Nous ne les voulons pas et les Palestiniens ne les veulent pas non plus. Elles ne sont qu’un spectacle que nous jouons devant les Américains. Il faut être réaliste, la situation est bien trop compliquée pour y trouver une solution. D’autant plus qu’il y a fort à parier que John Kerry démissionne prochainement, surtout après la crise syrienne. Si cela était le cas, il nous faudra encore du temps avant de reprendre des discussions.

Lph : Ce Yom Kippour, nous commémorons les 40 ans de la guerre du même nom. Quels souvenirs en avez-vous ?

Dr M.K. : J’étais soldat dans les renseignements lorsque la guerre de Kippour a eu lieu. Je me souviens que le vendredi matin, 38 heures avant le déclenchement des hostilités, dans mon unité nous savions qu’on allait vers une guerre imminente. Nous n’avons pas été surpris. Nous avons tenté de transmettre au mieux toutes les informations dans ce sens. L’erreur d’appréciation a été de ne pas rappeler plus tôt les réservistes. Néanmoins, cette guerre n’a été ni une surprise totale, ni un échec total, comme on veut le faire croire. Certes, au début la situation était difficile, plusieurs fronts étaient ouverts en même temps. Mais au final, Israël a presque conquis Le Caire et Damas ! D’un point de vue militaire, il s’agit d’une plus grande victoire encore que celle de la Guerre des Six Jours. Le prix à payer en vies humaines a été très lourd, mais la victoire très grande.

Lph : Pensez-vous qu’un tel scénario pourrait se répéter aujourd’hui ?

Dr M.K. : C’est impossible. La Syrie est détruite, l’Égypte pour le moins préoccupée, l’Irak dans un désordre impressionnant et nous sommes en paix avec la Jordanie. Je ne vois pas de nouveau front s’ouvrir. Notre situation stratégique est bien meilleure qu’en 1973. En outre, n’oublions pas que nous pouvons compter sur le comportement des pays arabes et sur leur façon de gérer leurs conflits internes !

Lph : Quel est votre vœu pour 5774 ?

Dr M.K. : Qu’Israël comprenne que la seule solution pour nous est d’accepter la création d’un État par tribu palestinienne. Le peuple palestinien n’est pas homogène, il est composé de plusieurs tribus : une à Gaza, une à Jéricho, une à Ramallah, une à Naplouse, une à Toulkarem,… L’idée est donc de laisser se créer plusieurs petites entités étatiques entre lesquelles aucun contact ne sera établi. Notre rôle sera simplement de garder nos frontières avec un œil ouvert et une oreille attentive sur ce qui se passe chez nos voisins.

Par Guitel Ben-Ishay

Docteur Mordehai Kedar Politologue, spécialiste du Proche-Orient
10 septembre 2013.

leptithebdo.net Article original

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