De nombreux commentateurs ont été intrigués par le fait qu’un rapprochement entre la France et Israël ait lieu sous un président socialiste. Le Figaro, par exemple, a écrit qu’il y avait quelque chose de bizarre dans ces embrassades et louanges mutuelles entre un socialiste français et le chef de la droite israélienne.

Cette apparente étrangeté, cependant, ne fait que confirmer que les socialistes français sont mieux disposés envers Israël que leurs homologues gaullistes.

Lorsque le régime de Vichy remplaça la Troisième République en juillet 1940, nombreux au sein de la droite française se félicitèrent de cette « divine surprise ». Vichy était une revanche sur la “République des Juifs et des francs-maçons » et un retour aux « valeurs françaises authentiques. » Léon Blum, le leader socialiste français qui devint le premier Président du Conseil juif en 1936, était l’incarnation même de ce que la droite française haïssait dans la Troisième République. Blum était aussi un sioniste qui actionna son pouvoir et son influence en 1947 pour obtenir le vote de la France en faveur de l’établissement d’un État juif.

En 1947, la France fut la figure de proue des efforts internationaux pour la partition de la Palestine britannique et pour une solution humanitaire au drame des survivants de l’Holocauste dont l’entrée en Palestine était refusée par la Grande-Bretagne. Paul Ramadier, le Président du Conseil socialiste en 1947, était favorable au plan de partage de l’ONU. C’est sous Pierre Mendès-France, un autre Président du Conseil socialiste (et juif tout comme Blum), que la France et Israël développèrent une coopération militaire étroite au milieu des années 1950. Cette relation étroite culmina avec l’opération militaire franco-israélienne à Suez en 1956, alors que le socialiste Guy Mollet était à la tête du gouvernement français.

Lorsque de Gaulle revient au pouvoir en 1958, après douze ans d’exil politique, il s’attela à « corriger les erreurs » de la IVe République. Bien que de Gaulle lui-même n’ait jamais tenu de propos antisémites sur « la République des Juifs et des francs-maçons », la droite française salua la fin d’une IVe République dominée par les socialistes. Pour de Gaulle, la décision de la IVe République de combattre un pays arabe aux côtés Israël en 1956 fut une erreur qui valut à la France une humiliation diplomatique. Dès qu’il revint au pouvoir, de Gaulle réduit considérablement le niveau de la coopération militaire entre la France et Israël.

Avec la fin de la guerre d’Algérie en 1962, la cause sous-jacente de l’alliance franco-israélienne (c’est-à-dire l’animosité commune des deux pays envers le président égyptien Gamal Abdel Nasser) disparut. De Gaulle était déterminé à réparer les relations de la France avec le monde arabe, des relations mises à mal par la Guerre d’Algérie. Cette politique était incompatible avec le maintien de la coopération militaire entre la France et Israël.

Il y avait une raison supplémentaire au fossé grandissant entre la France et Israël sous de Gaulle. Alors que de Gaulle s’était embarqué dans politique étrangère de confrontation vis-à-vis des États-Unis (une politique qui culmina avec le départ de la France du commandement militaire de l’OTAN en 1966), les Etats-Unis réévaluaient au même moment la politique pro-arabe de l’administration Eisenhower. Parce que Nasser soutenait activement les forces anti-américaines au Moyen-Orient, les Etats-Unis cessèrent progressivement de considérer Israël comme un obstacle à leurs intérêts dans la région. C’est ainsi que les Etats-Unis commencèrent à vendre des armes à Israël en 1965. Parce que la politique étrangère de De Gaulle était devenue hostile aux Etats-Unis, cette hostilité eut des répercussions sur les relations entre la France et Israël.

De Gaulle avait une profonde rancœur envers “les Anglo-Saxons.” Humilié par Churchill et Roosevelt pendant la Seconde Guerre mondiale, sa politique de “grandeur” eut toujours un parfum de revanche. Défier les Etats-Unis devint un principe fondateur du gaullisme.

Les successeurs conservateurs du Général de Gaulle, Georges Pompidou et Valéry Giscard d’ Estaing, poursuivirent la “politique arabe” de la France avec zèle. Pendant la guerre de Kippour, Pompidou refusa aux États-Unis l’accès à l’espace aérien français pour la livraison du pont aérien militaire destiné à Israël. Giscard d’Estaing, quant à lui, libéra Abou Daoud (l’architecte du massacre des athlètes israéliens à Munich) et il condamna les accords de Camp David pour avoir exclu l’OLP.

François Mitterrand, le premier président socialiste de la Ve République, mit fin à cette politique hostile. Il fut le premier président français à effectuer une visite officielle en Israël. Parce que Mitterrand n’était pas gaulliste, il n’était pas anti-américain. C’est ainsi il se rangea du côté des Etats-Unis pendant la crise des “Pershings” de 1983 en Europe (un stratagème soviétique pour diviser l’OTAN) et que la France combattit avec les États-Unis pendant la Guerre du Golfe de 1991.

Le successeur gaulliste de François Mitterrand, Jacques Chirac, n’aurait pas pris parti pour les Etats-Unis dans ces crises. Au contraire, Chirac constitua une coalition diplomatique anti-américaine pendant la guerre en Irak de 2003. Chirac eut la même attitude vis-à-vis d’Israël : il blâma Ehud Barak et absout Yasser Arafat de l’échec du Sommet de Camp David en 2000 et de la vague de terrorisme qui s’en suivit. Chirac rendit visite à Arafat à l’hôpital à Paris en 2004, et il fit envelopper son cercueil d’un drapeau français. Quant à Nicolas Sarkozy, il était pour Israël ce que les grammairiens appellent « un faux ami. » La cordialité de ses mots n’eut d’égale que l’animosité de ses actes.

En tant que socialiste français, François Hollande ne partage pas l’antisionisme et l’antiaméricanisme du gaullisme et de l’aristocratique Quai d’Orsay. Mais, surtout, il se rend compte que les intérêts de la France au Proche-Orient et en Afrique sont menacés par l’islamisme et que l’administration Obama n’est pas prête à faire face à cette menace militairement. D’où l’intervention militaire de Hollande au Mali, d’où sa volonté (arrêtée par Obama) d’intervenir en Syrie, et, d’où sa réticence à apaiser l’Iran.

Contrairement à John Kerry, François Hollande a appelé aussi bien Israël que les Palestiniens à faire des concessions pour la paix. À Ramallah, il a dit à Mahmoud Abbas d’être réaliste au sujet du « droit au retour. » Hollande en a certes appelé à l’arrêt des implantations israéliennes, mais il a refusé de les qualifier d’ « illégitimes,» contrairement à John Kerry. Donc la France est aujourd’hui plus ferme que les États-Unis sur le dossier iranien et plus équitable que les États-Unis sur le dossier israélo-palestinien.

Comme dans le milieu des années 1950, le «réalisme» auto-proclamé de l’administration américaine porte atteinte aujourd’hui à la sécurité d’Israël et aux intérêts français. Et, comme à l’époque, les erreurs américaines ont produit, entre le nationalisme israélien et le socialisme français, le mariage de la carpe et du lapin.

Emmanuel Navon dirige le Département de Science politique et de Communication au collège universitaire orthodoxe de Jérusalem et enseigne les Relations internationales à l’Université de Tel- Aviv et au Centre interdisciplinaire Herzliya. Il est membre du Forum Kohelet de politique publique.

i24news.tv Article original

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Chesther

Je meurs d’envie de lire plus souvent Emmanuel NAVON, puits de science et de bon sens.

meller1

excellent article que j approuve entierement