Mercredi 13 novembre, le juge des référés de Bobigny a ordonné l’interdiction pour antisémitisme d’un livre et la censure partielle de quatre autres, édités ou réédités par l’essayiste proche de l’extrême droite Alain Soral. Pour Pierre Glaudes, professeur de littérature à l’Université Paris-Sorbonne, il y a eu méprise sur l’un d’entre eux. Il met en garde contre les dangers d’une censure rétrospective.

Le 13 novembre dernier, le juge des référés de Bobigny, sur une plainte de la Licra, a ordonné la censure partielle du « Salut par les Juifs » de Léon Bloy. On croit comprendre la raison de cette condamnation : cette œuvre vient d’être rééditée en même temps que quatre ouvrages notoirement antisémites par un éditeur proche de l’extrême droite.

Cette décision de justice suscite l’étonnement et l’inquiétude en frappant une œuvre littéraire vieille de 122 ans et maintes fois rééditée sans avoir subi jusqu’à ce jour les foudres de la justice.

Léon Bloy n’est pas un propagandiste antisémite

En 1892, Léon Bloy publie « Le Salut par les Juifs » en réponse aux « élucubrations antijuives » d’Édouard Drumont, auxquelles il oppose son commentaire d’un passage de l’Évangile affirmant que « le Salut vient des Juifs ».

Contrairement aux autres auteurs condamnés par le juge de Bobigny (des journalistes et un industriel fameux), on n’a nullement affaire, dans le cas de Bloy, à un propagandiste antisémite, mais à un écrivain habité par la foi, qui métamorphose l’histoire en fiction symbolique pour tenter de déchiffrer ce que Dieu réserve au genre humain. Bloy, dans ses œuvres historiques, joue des ressorts de l’analogie, s’emparant tour à tour de Christophe Colomb Article original, de Jeanne d’Arc, de Marie-Antoinette, de Napoléon et du peuple d’Israël. Il opère ainsi des recréations qui tentent de saisir le mystère de notre rédemption, promesse inexplicablement différée à travers les siècles.

Dans « Le Salut par les Juifs », il adopte une démarche proche de l’ancienne scolastique visant à épuiser l’objection adverse avant de faire valoir en conclusion son propre point de vue. Il reprend en l’occurrence les lieux communs de l’antisémitisme avant de les balayer. La position qu’il défend dans son livre est claire : le peuple juif, affirme-t-il, joue un rôle éminent dans l’histoire, puisque de lui dépend le salut de l’humanité.


Bernard Lazare

Un jeune juif républicain, Bernard Lazare, qui sera bientôt l’un des plus ardents défenseurs de Dreyfus, ne s’y est pas trompé en publiant le 16 octobre 1892 dans « L’Événement » un compte rendu du livre de Bloy intitulé « Un philosémite ».

Les circonstances de la publication ont primé sur le fond

Qu’un éditeur se livre aujourd’hui à une scandaleuse récupération du « Salut par les Juifs » ne justifie pas qu’on censure partiellement cette œuvre.

Bloy, pendant l’affaire Dreyfus, ne cessera de combattre l’antisémitisme, comme son journal et sa correspondance en témoignent. En 1910, il écrit encore à l’une de ses amies qu’être antisémite est le crime majeur des temps modernes, un crime qui a « comblé la mesure » avec l’affaire Dreyfus. Voici ce qu’il lui dit alors :

« On oublie, ou plutôt on ne veut pas savoir que notre Dieu fait homme est un Juif, le Juif par excellence de nature, le Lion de Juda ; que sa mère est une Juive, la fleur de la Race juive ; que tous ses ancêtres ont été des Juifs, aussi bien que tous les Prophètes, enfin que notre Liturgie sacrée tout entière est puisée dans les livres juifs. … »>Article original

L’antisémitisme est le soufflet le plus horrible que Notre Seigneur ait reçu dans sa Passion qui dure toujours, c’est le plus sanglant et le plus impardonnable parce qu’il le reçoit sur la Face de sa Mère et de la main des chrétiens. »

On pressent que, dans cette affaire, les circonstances de la publication – les opinions de l’éditeur, l’effet de série provoqué par l’intégration du livre de Bloy dans un ensemble des pamphlets antisémites – ont prévalu sur le fond, comme a prévalu l’exploitation de certains passages coupés du mouvement général du livre.

« Le Salut par les Juifs » a été réédité en France en 2008 et en 2010 sans susciter d’action en justice 1″>Article original. Il a aussi été publié dans les années 1980 dans la collection 10/18 et figure en bonne place au tome IX des « Œuvres » de Léon Bloy, édité par le Mercure de France en 1969 et réimprimé en 1983.

Un dangereux précédent

Cette condamnation crée ainsi un dangereux précédent. Pourquoi ne pas censurer « Le Marchand de Venise » de Shakespeare, « Gobseck » de Balzac ou « L’Argent » de Zola pour leurs propos antisémites ?

Et pourquoi n’étendrait-on pas cette pratique à des œuvres marquées par d’autres formes de discriminations : faut-il caviarder les passages des « Femmes savantes » faisant injure aux femmes, ceux du « Mahomet » de Voltaire qui outragent les musulmans, ceux de « Sodome et Gomorrhe » où Proust donne une image dégradante de l’homosexualité ?

L’arrêt du juge de Bobigny, injuste pour la mémoire d’un écrivain, place une partie de notre patrimoine littéraire sous la menace d’un anachronisme judiciaire.

1″>Article original Dans les Archives Karéline et à La Part commune.

Pierre Glaudes
Prof. à Paris-Sorbonne

Le Plus.Nouvel Obs Article original

TAGS : Littérature France Dreyfuss Bloy Drumont Philosémitisme

Antisémitisme Soral Christianisme Bernard Lazarre

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Dominique Giraudet

Bonjour MarcBRZ,

Je tiens à vous remercier pour votre réponse très argumentée et fort éclairante ! En effet j’avais quelques doutes sur l’authenticité de ces dires attribués injustement et malhonnêtement à ce grand penseur religieux le Rabbin Adin Steinlatz . Ce que vous écrivez sur le christianisme est effectivement juste , il faut vraiment se pencher attentivement sur l’histoire et les origines de cette religion pour en percevoir toute la richesse et la complexité historique ,culturelle . Il s’y trouve en effet des ramifications et des courants multiples , citons entre autres le catharisme notamment qui semble renaitre de ses cendres après plusieurs années d’oubli .Mais le fait central et évident c’est bien que Jésus était juif et donc il était immergé totalement au sein de cette culture ou il a vécu et grandi , imprégné des pensées religieuses et spirituelles de sa culture et certainement pour bien saisir le sens de sa vie et de sa pensée il faut tenir compte de ce contexte historique et culturel indissociable de l’être qu’il fut et de son message , enfin c’est ainsi que je vois les choses .

Recevez Monsieur l’expression de mes plus amicales et attentives pensées,

Mr Dominique Giraudet

MarcBRZ

Monsieur Dominique Giraudet, bonjour,

nous vous invitons à exercer la dernière des vigilances à tout propos commis ou induit par le Présumé « Israël Shamir », négationniste fameux et antisémite se cachant sous un pseudonyme, pour sévir sur diverse sites d’extrême-droite, comme le lien que vous nous fournissez y mène tout droit.

Israël Shamir est le pseudonyme d’Adam Ermash — nom changé légalement en Jöran Jermas —, un écrivain et journaliste très controversé, connu pour son militantisme anti-sioniste et pro-palestinien. Il est régulièrement accusé d’antisémitisme et de négationnisme1,2. Israël Shamir a vécu longtemps en Israël et en Palestine ; il est citoyen israélien d’origine arabe selon certaines versions, d’origine juive russe selon d’autres ; il est converti au christianisme orthodoxe. Il réside en Suède, pays dont il a pris la nationalité.

Il invente régulièrement et déforme absolument tout propos rapporté pour le faire entrer de force dans l’idéologie antijuive, donc antichrétienne qu’il profère.

Il est absolument impossible que les propos du Rav Steinzaltz ait le moindre point commun avec la pensée de cet individu, ou alors il faudrait, en ce cas, qu’il citasse ses sources et qu’elles puissent être vérifiables.

Le Rav en question a certainement plus de finesse diplomatique quand bien même il aurait eu la moindre intention, peu vraisemblable de dire des choses semblables. Maintenant que le Christianisme soit une adaptation gréco-païenne d’un Judaïsme originel, qui le nie. Que nombre de Saints chrétiens ne soient que des substitutions à d’anciens dieux de la chasse (St Hubert) etc, c’est l’enfance de l’art : il y a eu une forme de syncrétisme entre diverses croyances préalables. La question réelle est de savoir si et quand le Christianisme se reconnait quelle racine, juive, en particulier.

Shamir, excepté chercher à mobiliser le monde entier contre Israël, n’a pas d’autre signification.

Dominique Giraudet

Je vous remercie pour ce bon article , je profite du sujet traité pour vous poser une question : je viens de lire sur le net ces pensées : « Le rabbin Adin Steinlatz, moderne spécialiste et éditeur du Talmud, a décrit le christianisme comme « un judaïsme simplifié, adapté à l’esprit infantile des Gentils »  » Lien vers l’ article : http://www.voxnr.com/cc/d_antisionisme/EEplVEEAZyXcKMDsga.shtml .

J’ ai beaucoup de mal à croire qu’une personne aussi intelligente et cultivée que le rabbin Adin Steinlatz ait pu dire ou écrire une énormité pareille , y – aurait-il une personne sur ce site pouvant me renseigner et me confirmer que le rabbin Adin Steinlatz a réellement dit ou écrit ces pensées ?

Je vous remercie de votre attention ,

Mr Dominique Giraudet

gilles

Je suis heureux de cet article. J’avais moi même réagi à votre article sur Alain Soral a ce propos. Et comme je le disais, les juges, la licra, et jforum ont embrasse l’opinion générale . Comme Alain Soral est un antisémite , les livres dont il parle sont antisémites sans rien connaître de ces livres. Bien sur Léon Bloy n’était pas antisémite , au contraire et la licra et les juges sont des incultes.