Le temps de l’intimidation : débat sur « l’institutionnalisation de la violence » du Hezbollah

De gauche à droite sur la photo : Henry Laurens, Jocelyne el-Boustany, Michel Hajji Georgiou et Samir Frangié.

SALON DU LIVRE DE BEYROUTH

Dans son essai Le temps de l’intimidation. La guerre psychologique du Hezbollah, Jocelyne el-Boustany, consultante en stratégie de la communication, décortique le discours du Hezbollah ainsi que son comportement afin d’expliquer cette impression de puissance qu’il a su raviver même après 2005, complété par un sentiment de « perdition » du 14 Mars.

Contraint d’intégrer la politique intérieure depuis le retrait des troupes syriennes en 2005, il a invoqué le dialogue et le consensualisme pour s’associer au premier gouvernement de l’ère postsyrienne. « Une fois installé au pouvoir, le Hezbollah (adopte) la stratégie d’interdiction, qui est une forme d’usure fondée sur l’immobilisation de l’ennemi », comme l’indique l’auteure dans l’introduction de son essai, avant d’en poser la problématique essentielle : si l’on concède que « l’adhésion du Hezbollah au principe consensuel n’était qu’une manœuvre tactique effectuée dans le cadre de sa nouvelle stratégie (post-2005) », dès lors « comment a-t-il réussi, au-delà de la promotion du thème de la résistance, à construire l’image d’un autre qui mérite d’être écarté du pouvoir », en l’occurrence l’alliance politique du 14 Mars ?

C’est que cette guerre psychologique, par laquelle l’on « fait croire à l’adversaire qu’il est en position de faiblesse et a intérêt à se rendre », serait à la base d’une « manipulation judicieuse mais forcée de l’opinion publique », comme l’a expliqué Jocelyne el-Boustany lors du débat autour de son essai, organisé hier au Salon du livre.

Cette méthode, dont le fondement est « la théorie de la guerre permanente, non par les armes matérielles, mais par les idées », est fortement relayée par « la désinformation, qui demeure la composante essentielle de cette guerre ». Si elle a cherché à en rapporter « les traces » dans les discours du Hezbollah, « mais sans a priori », comme elle le précise dans son ouvrage, c’est que cette désinformation serait garante de « la polarisation massive de la population », mais sous-tendrait un mouvement « inspirant une guerre subversive, dont la finalité est le renversement du pouvoir établi ».

« L’institutionnalisation de la violence »

Sachant que cette action, parmi d’autres, se déroule en temps de paix, la guerre psychologique, caractérisée par « l’abolition de la distinction classique entre le temps de guerre et le temps de paix », consacrerait au final « une systématisation de la violence ». Autrement dit, « la capitulation militaire ou politique cautionne la capitulation de l’esprit, jusqu’à la phase finale de la rééducation du vaincu qui doit être convaincu de son erreur et de sa culpabilité ».

Modérant le débat, notre collègue Michel Hajji Georgiou a tenté de cerner le prolongement de cette action qui continuerait de se manifester à l’heure actuelle par « le règne de la perversion systématique, où les chabbiha de la milice deviennent des “résistants” ».

Cette guerre psychologique aura également érigé « une vision qui échappe au politique et qui vise à créer, dans une perspective eschatologique, donc forcément totalitaire, une tension inéluctable entre ce qui doit être et ce qui doit disparaitre, ce qui doit se soumettre pour participer ou qui doit, sinon, être annihilé », a ajouté Michel Hajji Georgiou, expliquant ainsi le processus par lequel « la violence est justifiée, institutionnalisée », dans le sens de « l’union de la violence et de l’idée ».

« Épouvanter les vivants »

Dès lors, « la division du monde ne répond plus aux présupposés du politique, mais à une vision fondée sur la division entre être et néant, participation et anéantissement », a relevé Michel Hajji Georgiou, décrivant dans ce contraste toute l’ampleur de la « violence morale – cet autre nom de la terreur ». Citant Julien Freund, il a précisé que la terreur « utilise systématiquement la violence pour épouvanter et abrutir les esprits. Elle se sert des cadavres de la violence pour épouvanter les vivants ».

Si l’historien Henry Laurens a réduit en revanche toute la problématique à « la présence du Hezbollah en dehors de la réalité politique libanaise », c’est pour signaler surtout que « la destruction de l’État libanais, qui n’est pas une finalité en soi pour le Hezb, fait partie des dommages collatéraux ». Pour lui, « le Hezbollah n’est pas un parti politique, mais un acteur qui fait la guerre ».

C’est de « résistance islamique » que l’ancien député Samir Frangié a préféré traiter, faisant remarquer, non sans exprimer « le sentiment oppressant de la répétition indéfinie des mêmes erreurs », que cette résistance « ne diffère pas vraiment de la résistance palestinienne soutenue par la gauche, ni de la résistance libanaise menée par les milices chrétiennes ».

« Une même erreur fatale »

« La même diabolisation de l’adversaire, la même volonté de se substituer à l’État, la même dépendance vis-à-vis de l’extérieur » seraient autant de lignes de conduite honorées par ces trois formes de résistance, et servies par la même « manipulation de type psychologique qui consiste à dire une chose et à faire son contraire », a souligné Samir Frangié. Procédant, dans le cas du Hezbollah, à une énumération presque exhaustive des exemples de contradictions qui démontreraient les finalités manipulatrices du parti, il revient notamment sur le fait de « justifier en l’an 2000 la poursuite de la résistance armée par le maintien de l’occupation des fermes de Chebaa et d’annoncer en 2005 que la résistance se poursuivra, même après la libération de ces fermes » ; ou « l’instauration de la règle du tiers de blocage dans la formation du gouvernement et le refus de son application dans le gouvernement qu’il contrôle » (Jocelyne el-Boustany évoque sur ce point « l’exploitation par le Hezbollah de la faille du consensualisme, celle du droit de veto (ou “tiers de blocage”, NDLR) ».

Un autre exemple de la manipulation sur lequel Samir Frangié s’attarde longuement est le fait de « proclamer que les armes de la résistance ne sont dirigées que contre Israël et d’envoyer en même temps ses troupes combattre en Syrie pour empêcher la chute du régime ».

L’intérêt de comprendre la portée de cette « nouvelle guerre dans laquelle s’est engagé le Hezbollah » est lié à ce qu’elle symbolise dans le schéma comparatif entre les trois résistances. C’est que, au-delà des spécificités propres au Hezbollah (« l’instrumentalisation poussée de la religion » ; « la coupure instaurée entre le parti, noble et pur, et les autres » ; et « la volonté manifeste d’afficher ses relations avec l’étranger » ), il existe un dernier point de ressemblance avec les autres résistances, chrétienne et nationale, présageant de leurs fins respectives : « une même lecture partisane, erronée, des développements régionaux ».

« Après la résistance palestinienne qui n’a pas vu arriver la guerre de 1982 ; et la “résistance” libanaise du général Aoun qui n’a pas pris en considération les changements occasionnés par la première guerre du Golfe, c’est au tour de la “résistance” islamique de faire une mauvaise lecture du printemps arabe… »

De la reconversion

Si Samir Frangié reste perplexe sur une éventuelle reconversion du Hezbollah au système politique libanais, il a estimé néanmoins que son adhésion à la formule libanaise serait possible par un seul moyen, celui de « s’engager pour la paix à l’intérieur et à l’extérieur du Liban ». « Ce n’est pas l’intimidation du Hezbollah qui me fait peur – ses armes ont été neutralisées à l’intérieur par la politique de non-violence du 14 Mars. Ce que je crains, c’est le poids de ses actes dans la région », a conclu l’ancien député.

Sandra NOUJEIM | 07/11/2013

lorientlejour.com Article original

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