On pense généralement que la nouvelle extrême droite européenne a un problème avec l’islam. Pia Kjærsgaard, Marine Le Pen, Geert Wilders, Umberto Bossi, Bart de Wever, tous ces gens-là sont clairement islamophobes, ce n’est plus à prouver.
Ils sont post-racistes, post-antisémites, post-féministes, post-homophobes, post-coloniaux, et on a tendance à penser que leur islamophobie n’est qu’un péché mignon qui finira par se résoudre un jour ou l’autre. Mais c’est une erreur d’analyse.

Réduire leur projet politique à la haine de l’islam et à une sympathique modernité pro-Israël, pro-« folles » et pro-saucisson-pinard nous empêche de comprendre la nature réelle de leur projet politique commun.

Quand on regarde au-delà leurs obsessions, au-delà de la burqa, de l’« Eurabie », des prières dans la rue ou des minarets, on se rend compte que la cible – littéralement – de la nouvelle extrême droite, ce sont les élites européennes.

Pour le reste du spectre politique, le problème c’est que les élites traditionnelles ont effectivement failli. Et pas seulement parce qu’une partie d’entre elles est corrompue, a perdu le sens du bien commun ou ne pense qu’à sa propre carrière.

Breivik a réalisé un vieux fantasme de l’extrême droite

Les élites européennes ont failli sur beaucoup de points essentiels : l’économie, la répartition des revenus, la redéfinition d’une utopie collective, une vision sociétale à long terme, l’esprit démocratique, la géostratégie, la représentativité des élites politiques, culturelles et économiques, la compréhension des changements économiques et technologiques planétaires…

Défendre nos élites en 2011, c’est pas du tout facile. Et pourtant, j’ai peur pour elles.

Si on cherche un sens à la tuerie perpétrée à Utoya, c’est de ce côté qu’il faut aller. Quand on a lu, au début, que le tueur fou a massacré des jeunes travaillistes norvégiens pour lutter contre l’islamisation de l’Europe, c’était un raccourci un peu trop rapide pour être compris. Ça nous a même fait rire.

J’essayais depuis plusieurs semaines de donner un sens à tout cela quand je suis tombé sur un article lumineux d’Eildert Mulder dans le quotidien chrétien progressiste néerlandais « Trouw ».

Mulder s’est penché sur le manifeste délirant de Breivik et montre que le « délire » sanguinaire d’Utoya n’est que la mise en application d’un fantasme collectif qui existe depuis longtemps au sein de l’extrême droite européenne : la responsabilité des élites de gauche dans la « décadence » occidentale – un thème classique de l’extrême droite – ne peut être résolue que par son élimination.

Un plan qui évoque la Révolution culturelle ou les khmers rouges

L’extrême droite nouvelle ne veut plus envoyer les juifs au four ou l’armée reprendre les colonies. Elle n’est plus forcément obsédée par l’avortement ou l’homosexualité, elle ne croit plus forcément en la supériorité des Blancs. Mais elle reste obsédée par la pureté du peuple.

L’idée de Breivik était de mettre en action un plan imaginé collectivement, dans des meetings plus ou moins folkoriques, sur les forums Internet ou dans des livres consacrés à l’Eurabie, et qui n’est pas sans rappeler dans ses principes la Révolution culturelle, la boucherie khmer ou le stalinisme le plus implacable.

Parmi les « traîtres » des peuples européens promouvant le marxisme et le multiculturalisme, Breivik distingue plusieurs catégories :

la catégorie A (leaders politiques, médiatiques et économiques) qui doivent être exécutés ;

la catégorie B (marxistes/multiculturalistes étant pour la plupart politiques, journalistes, éditeurs, enseignants, professeurs, éditorialistes, écrivains, caricaturistes, artistes…) qui devraient être exécutés, surtout les sociologues, mais certains pourraient être éventuellement épargnés dans des cas particuliers ;

la catégorie C qui s’étend à tous ceux qui facilitent le travail des catégories A et B. Ces derniers ne méritent pas la mort mais des amendes, la confiscation de leurs biens et/ou des peines de prison.

Breivik fait même une estimation à la louche du nombre de « traîtres » présents dans chaque pays, soit 1 010 par million d’habitants. Pour sauver l’Europe, il faut donc exécuter un petit demi-million de personnes.

Mulder explique : « Les jeunes travaillistes assassinés à Utoya appartiennent clairement à la catégorie B, même s’ils n’en avaient pas la moindre idée. »

C’est difficile de ne pas comparer cette façon de penser avec celle des khmers rouges, pour qui avoir des lunettes ou savoir lire mettait en danger le désir d’égalité communiste et devaient être éradiqués.

La version chinoise de ce délire, la Révolution culturelle, a été plus meurtrière mais plus subtile, puisqu’il était encore possible de « rééduquer par le travail » les intellectuels bourgeois. Breivik et ses amis, dans leur grande miséricorde, pensent qu’on peut sauver certains traîtres par la rééducation. Sympa.

Pour Le Pen, ce qui est grace, c’est la « naïveté » des Norvégienss

La question est bien sûr de savoir la tuerie d’Utoya a un lien quelconque avec les déclarations de Marine Le Pen, de Pia Kjærsgaard ou de Geert Wilders. Juridiquement, on ne peut pas reprocher directement à l’extrême droite européenne d’avoir ordonné le meurtre de dizaines d’adolescents norvégiens pour lutter contre l’islamisation de l’Europe.

Ceci dit, pour vivre au quotidien la folie Wilders Laurent Chambon vit aux Pays-Bas, ndlr »>Article original je peux vous assurer que tous les thèmes du manifeste de Breivik sont déjà utilisés « ad nauseam ». On retrouve cette tendance en Belgique, au Danemark, en Italie et, avec deux ans de retard, en France.

D’ailleurs, Jean-Marie Le Pen avait accusé le gouvernement norvégien de « naïveté », plus grave à son sens que la tuerie. Il était alors dans la logique de la nouvelle extrême droite, pour laquelle les élites européennes ont failli. Et finissent éliminées, logiquement.

Nous avons un problème. Les crises se multipllient, et face à elles, nos élites ont failli. Mais, pour lutter contre cela, nous avons une extrême gauche paralysée par la montée d’une extrême droite « moderne » qui adore les juifs, les homosexuels et la techno, mais à qui il arrive de penser comme Pol Pot, Mao ou Staline, d’imaginer une élimination des « traîtres ». Mélenchon et ses copains, ce sont des centristes bourgeois, en comparaison.

L’extrême droite européenne veut se démarquer absolument du nazisme, mais semble désormais fascinée par les réponses des totalitarismes d’extrême gauche.

Suis-je vraiment le seul que cela angoisse ?

Photo : Geert Wilders à Amsterdam en juin 2001 (Robin Utrecht/Reuters).

En partenariat avec Minorités

Laurent Chambon

Rue89.com

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ABEL

Ce qui est écrit en titre  » La cible de l’extrême droite, c’est l’élite, pas l’islam  » reste encore à prouver ! Les hommes de gauche français, du temps du nazisme, n’étaient pas de petits saints ! Et nombre d’entre eux ont rejoint l’Allemagne du IIIème Reich, ayant des discours plus enflammés que les pires des nazis allemands !
Le totalitarisme vert, celui de l’islam conquérant, c’est celui-là qui doit faire peur, et rien d’autre !
Quant à une extrême-droite pro-israélienne, si cela est vraiment le cas, et que la finalité soit tactique ou stratégique (ou les deux), pourquoi s’en priver ?
ABEL