Après huit mois d’une sanglante répression qui a coûté la vie à 4 000 personnes, le soulèvement contre le régime de Bashar el-Assad est aujourd’hui à un tournant. La révolte est de moins en moins pacifique et de plus en plus militarisée.
« A Homs, Idleb, dans trois ou quatre villes autour de Damas ainsi que dans certaines localités près de Daraa au sud, il n’y a plus que des affrontements armés », nous affirme Haytham Mana, le responsable de la Coordination nationale, une des formations de l’opposition syrienne en exil.

Première conséquences de cette dérive : le bilan s’est dramatiquement alourdi, ces dernières semaines. Aux tortures – certes beaucoup plus nombreuses perpétrées par les sbires du régime – répondent désormais des actes de vengeance particulièrement sanglants, comme cette récente attaque d’un bus de pilotes (7 tués) près de Homs. Les affrontements confessionnels se durcissent également dans les zones mixtes, là où les ferments de guerre civile sont les plus inquiétants.

Deuxième conséquence : les responsables de la Coordination et leurs rivaux du Conseil national syrien (CNS) sont en passe d’être dépassés par les radicaux, sur le terrain mais aussi en Turquie, où s’est réfugiée l’Armée syrienne libre (ASL), composée de quelques milliers de déserteurs, qui revendique désormais des attaques à la roquette contre ses bâtiments des services de renseignements de Bashar el-Assad.

Une délégation du Conseil national, dirigée par son chef Bouran Ghalioun, est allée s’entretenir avec le colonel Riad el-Assaad (voir photo), qui commande l’ASL (sans lien de parenté avec le raïs syrien). Ghalioun, comme la Coordination nationale, s’oppose à ce que l’ASL attaque la troupe encore loyale à Assad. Pour deux raisons : cela précipiterait une guerre civile qui ferait le jeu du régime, qui en profiterait pour anéantir la contestation. Mais surtout parce que le CNS et la Coordination ne veulent pas être débordés par ceux qui, en coulisses, tirent les ficelles derrière le colonel Assaad.

Qui sont-ils ? « Certains membres des Frères musulmans à l’extérieur de la Syrie, y compris en Turquie, et tous ceux qui à l’intérieur ne croient plus en des manifestations pacifiques et veulent désormais en découdre les armes à la main », souligne un membre du CNS, qui reconnait que ces derniers « sont de plus en plus nombreux ». Les Frères sont membres du Conseil national, mais à terme, leur agenda pourrait différer de celui des « laïcs », qui composent la principale organisation de l’opposition syrienne.

Un retour en arrière s’impose. A partir de juin, les premières défections au sein de l’armée ont permis la création du Mouvement des officiels libres autour du colonel Hussein Harmoush. Mais depuis son campement turc dans la province d’Hatay, celui-ci refusa de passer sous les fourches caudines des Frères musulmans qui l’avaient approché. Quelques jours après, le colonel Harmoush était mystérieusement kidnappé par les services de renseignements syriens, grâce à une complicité d’Alevis – une branche voisine des alaouites au pouvoir en Syrie – au sein de l’appareil sécuritaire turc.

Plusieurs responsables de l’opposition syrienne soupçonnent en fait les Turcs d’avoir tout simplement livré Harmoush aux Syriens pour lui faire payer son refus de collaborer avec les islamistes. Constatant leur échec, ces derniers se sont alors retournés vers l’Armée syrienne libre du Cel Assad, plus faible, donc moins à même de résister aux pressions.

Pour certains au sein du CNS, « Assaad aujourd’hui n’est qu’une couverture utilisée par les autorités turques » qui le cantonnent lui et ses hommes dans une base de la province d’Hatay limitrophe de la Syrie. Le service de renseignements turc (Milli Istibarat Teskilati) contrôle ses mouvements tandis qu’un agent du ministère des Affaires étrangères répond aux demandes d’entretien que les journalistes souhaitent réaliser avec le chef de l’ASL.

Selon les services de renseignements français, l’ASL est forte de quelques 8000 hommes, mais dans l’ensemble peu habitués aux combats, issus souvent de l’administration de l’armée. La majorité de ses membres sont en fait de jeunes appelés qui ne sont pas retournés à leurs casernes à l’issue d’une permission. Localement, ils s’appuieraient sur des milices qui ont décidé de rejoindre la contestation.

Après leur rencontre il y a dix jours, le CNS et l’ASL ont publié des communiqués soulignant leur complémentarité. Mais il n’est pas sûr du tout que contrairement à ce qui a été annoncé, les déserteurs aient renoncé aux opérations armées contre la troupe de Bashar el-Assad. Et comme le rapporte ce vendredi matin, le New York Times, des divergences sont apparues dernièrement entre les deux entités.

Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi l’ASL a besoin d’aide et d’encadrement : appui qui lui serait fourni par la Turquie et d’autres pays occidentaux. Un peu comme les rebelles libyens au début de la révolte contre Kadhafi. Sauf qu’avec Damas, les risques de représailles sont autrement plus élevés qu’avec le bouffon colonel libyen.

Georges Malbrunot

Le Figaro.fr

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