Qu’est-ce que le populisme ? Y a-t-il une poussée du populisme ? Edouard Lecerf, directeur général de TNS-Sofres : Le populisme, c’est la dénonciation des élites dirigeantes, d’une certaine manière, avec à l’inverse, une valorisation, survalorisation disent certains, du peuple. On y trouve souvent une dimension fondamentalement protestataire, parfois d’une valeur identitaire plus ou moins exprimée. Elle est souvent fortement incarnée de façon plus ou moins véhémente et parfois de manière un peu simplificatrice. Dans les enquêtes de TNS Sofres, la critique à l’égard des élites dirigeantes apparaît très clairement, qu’elles soient politiques – éloignées des préoccupations des Français pour 80 % d’entre eux -, économiques, avec, pour les trois quarts des Français, le sentiment qu’elles ont aujourd’hui des intérêts qui sont éventuellement contradictoires avec ceux de l’ensemble du monde salarié. Quant aux élites médiatiques, on a de plus en plus souvent le sentiment qu’elles sont en collusion, en proximité, un peu coupables, avec les deux premières élites.

La crise va bien sûr focaliser une forme d’amertume, voire d’opposition, une défiance, une méfiance, une distance à l’égard des élites politiques, de plus en plus puissantes : 57 % des Français (+ 30 points en vingt ans) considèrent qu’ils font partie d’une classe moyenne. Cette masse, peut-être un peu informe, va s’opposer de manière plus forte à une élite dirigeante. Pour une majorité très large, demain, les générations vivront moins bien qu’aujourd’hui, alors qu’elles-mêmes se sentent déclassées.

Jean-Luc Mélenchon : Ceux qui utilisent le mot « populisme » s’en servent comme une catégorie destinée à discréditer ou à montrer du doigt le peuple qui serait voué par nature à des bas instincts que quelques démagogues viendraient flatter. Je ne dénonce pas, moi, les élites, ayant le sentiment que ceux que je veux représenter sont des élites : l’élite humaine, l’élite sociale, car le peuple auquel je m’adresse n’est pas une masse confuse et informe. Le peuple de notre pays a un haut niveau de qualification. On ne confondra pas les élites et l’oligarchie. La formule que j’ai utilisée dans mon livre – Qu’ils s’en aillent tous ! (Flammarion) – renvoie à un acte très précis. Je décrivais les révolutions qui ont eu lieu en Amérique du Sud et qui, depuis, ont eu le bon goût de venir jusque sur les rives du Maghreb. J’ai voulu que mon livre se situe, avec son idée de révolution citoyenne, en filiation avec cet événement.

Daniel Cohn-Bendit : Etant donné que la référence de Jean-Luc Mélenchon c’est Chavez, son populisme me fait peur. Quand je vois comment il arrive à mettre sous tutelle le Parlement ! Quand je vois qu’il donne des droits d’émettre aux télévisions et radios si elles acceptent de retransmettre ses discours hebdomadaires de quatre heures ! Si c’est avec ça qu’on veut remplacer la démocratie, déficiente en Europe et en France, je dis stop.

Il y a d’autres moments où le peuple me fait peur. Quand 40 % des Allemands, en 1933, votent pour Hitler, ça me fait peur ! Et Jean-Luc dit : là c’est parce qu’on a gommé droite-gauche. Ce n’est pas si simple. En Allemagne, c’est quand même le Parti communiste allemand qui a fait toute une campagne sur le social-fascisme, dénonçant la sociale-démocratie. La gauche s’est autodétruite. Mais soyons sérieux, Jean-Luc, si jamais le PS nomme Strauss-Kahn, et qu’il y a un deuxième tour Strauss-Kahn-Sarkozy, faut pas déconner, y’a pas photo ! Il y en a un qui ne plaît pas du tout et il y en a un qui ne plaît pas tout à fait. Eh bien moi, je prends le pas tout à fait contre le pas du tout ! C’est très simple. Le populisme c’est l’articulation politique du rejet. C’est mon idée. Et je me bats contre le rejet.

Raffaele Simone : En Italie, nous avons trois partis populistes : le premier est celui de Silvio Berlusconi, qui compte sur une personnalité très forte et charismatique. Il y a la Ligue, également populiste, et il y a le groupe Italia dei Valori, qui a comme chef Antonio Di Pietro. Aux ingrédients du populisme que vous venez de proposer, j’ajouterais, à partir de l’expérience italienne, le dégoût pour la politique en tant que telle. L’Italie, c’est l’unique pays je crois, en Europe, où la plupart des discussions télévisées se transforment vite en disputes violentes, où l’on s’échange tranquillement des insultes.

Caroline Fourest : Le populisme flatte plutôt les sentiments que la raison. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de bonnes raisons d’être en colère. S’il n’y avait pas de bonnes raisons d’être en colère, la colère ne prendrait pas autant. Le tout est de savoir vers où on canalise cette colère. Dans beaucoup de pays européens, on a vu que chaque fois qu’une certaine gauche menait un débat extrêmement naïf sur les questions liées à la montée de l’intégrisme, eh bien elle flattait plutôt un retour de flamme populiste nationaliste.

En France, si, à gauche de la gauche, le pire du populisme aujourd’hui c’est Jean-Luc Mélenchon, c’est plutôt une bonne nouvelle. C’est que quelque part on a évité le pire. A droite de la droite, même si le nouveau visage avenant de Marine Le Pen est plus dangereux, évidemment plus dangereux que son père parce que plus capable de séduire, le fait qu’elle soit autant obligée de mettre de l’eau laïque dans son vin de messe et dans celui du Front national, c’est la preuve que quelque chose a résisté. Ce pays a obligé le FN à passer par un discours républicain pour être entendu. Il ne faut pas pour autant s’en réjouir, car, quand l’extrême-droite fait une OPA sur les valeurs de la République et de la laïcité, c’est d’autant plus difficile pour les véritables républicains et les véritables laïques de garder un discours clair, à la fois antiraciste et laïque. La France sur ces questions-là est à un degré de complexité que certains pays européens nous envient. Si l’on maintient ce degré de complexité, peut-être que l’on pourra essayer de rester fidèle au modèle républicain et laïque, qui fait des envies quand tous les autres voudraient passer du multiculturalisme angélique au nationalisme xénophobe. Entre les deux, il y a des forces positives.

Bruno Le Maire : La démocratie, c’est le peuple. Quand on aime la démocratie, on aime le peuple. Et quand on joue le jeu de la démocratie, on joue le jeu du peuple. Il y a une chose qui m’a déplu dans la présentation qui a été faite, c’est cette opposition systématique entre le peuple et les élites. Et je fais tout pour éviter les barrières entre de soi-disant élites, ministres, journalistes, responsables syndicaux et le peuple. On appartient au peuple. Et le peuple, je suis avec eux, avec les paysans, les pêcheurs, tous les jours. Là où commence le populisme, c’est quand on commence à dire que la vérité c’est le peuple. Que le peuple est lui-même la vérité. La politique, c’est l’inverse de ça. La politique, c’est au contraire essayer de défendre sa vérité devant le peuple. C’est en défendant sa vérité devant le peuple qu’on arrive à le faire progresser, à le faire évoluer, à essayer d’avancer dans la bonne direction.

Il faut savoir, si on veut éviter le populisme, reconnaître aussi nos incapacités, nos faillites dans certains domaines. Si le populisme est européen, c’est aussi parce qu’il y a une faillite de nos institutions européennes dans la réponse à la crise, dans sa lucidité sur la réalité des choses, dans sa rapidité d’intervention, dans sa capacité à apporter des réponses concrètes aux gens. Quand on est républicain, qu’on pense que l’autre peut être un atout pour la société, qu’on croit à l’ouverture de notre pays au monde, qu’on défend un certain nombre de valeurs sur la République, la place du religieux et de l’Etat, je pense qu’on fait reculer le populisme.

Nicolas Baverez, l’Europe peut-elle donner des éléments d’espoir ?

Nicolas Baverez : Le populisme, c’est quelque chose de très flou. On peut dire leader charismatique, religion du peuple contre les élites, anticapitalisme, sentiment identitaire. Mais, en fait, c’est quelque chose de très plastique qu’on essaie de mettre entre les partis dits de gouvernement et les extrémismes des partis d’extrême droite ou d’extrême gauche. Les populistes, on les intercale entre les deux.

Aujourd’hui, on a un retour spectaculaire du populisme en Europe, mais c’est un retour qui est très varié. Il y a des endroits où c’est clairement la réactualisation de l’extrême droite. Il y a la Hongrie, qui a une vieille tradition. Il y a l’Autriche, où le Parti populiste est arrivé en tête à Vienne. Mais il y a des endroits plus inattendus, par exemple, dans les sociales-démocraties d’Europe du Nord, on a une percée en Suède et une présence très forte en Norvège. Il y a la Catalogne, avec des partis séparatistes, l’Italie du Nord, la Belgique, avec une partie de partis flamands qui font que ce pays n’est plus gouverné depuis bientôt un an. Aux Etats-Unis, le mouvement Tea Party se rattache aussi à cette tendance. Il y a quatre grandes peurs aujourd’hui : la peur de la mondialisation avec la montée de l’Asie ; l’impact de la crise ; la peur de l’islam, et enfin, le vieillissement. Beaucoup de citoyens ont l’impression d’un dessaisissement du politique. Et c’est ça qui nous donne aujourd’hui cet espace ouvert au populisme. Il est très important d’insister sur le fait que ce n’est pas l’économie qui dirige la politique, c’est la politique qui dirige l’économie.

Gilles Finchelstein : La démocratie, c’est la confiance dans le peuple. Le principe de la République tel qu’il est défini dans la Constitution, c’est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Le populisme, c’est l’exaltation de l’instinct du peuple. Il ne se résume pas à un extrémisme, c’est quelque chose de très différent. Vous pouvez avoir un populisme centriste. Ce n’est pas une idéologie, c’est une rhétorique qui, parce qu’elle exalte le peuple, généralement est contre les corps intermédiaires. Parce qu’elle exalte l’instinct, elle est généralement contre les intellectuels, et au risque de te décevoir Jean-Luc, tu n’es, selon cette définition, en aucune manière un populiste.

Le populisme n’existe pas. Il y a des populismes de formes très différentes. Mais il y a un point commun stratégique qui est la tentation de substituer au clivage gauche-droite, le clivage entre le peuple et les élites. On a des réflexions très franco-françaises, alors qu’on est face à un phénomène qui n’est pas franco-français. Aux dernières élections européennes (en 2009), il y a eu une progression, mais il n’y a pas eu une percée. Il s’agit moins de puissance que d’influence. Cette influence pèse sur les autres partis et, dans un certain nombre de pays, sur les partis de droite. Au coeur de tout ça, il y a le fait que nous vivons des bouleversements d’une rapidité et d’une ampleur qu’on a sans doute pas connus depuis très longtemps. Ces bouleversements se traduisent non seulement par un sentiment mais par une réalité de déclassement, de dépossession, de perte de contrôle, à l’origine de ce que nous vivons.

Daniel Cohn-Bendit : Mon rêve aujourd’hui, c’est que le débat sur l’islam va peut-être, grâce à la Tunisie et l’Egypte, changer. Parce que ces êtres humains aspirent à la liberté et à la démocratie comme nous.

Caroline Fourest : J’ai grand espoir que ce qui est en train de se passer en Egypte, hier en Tunisie, demain peut-être en Algérie, va initier un tel changement. J’espère profondément que le cercle infernal auquel assiste depuis trop longtemps ce monde dit musulman, entre d’un côté des autoritaires qui se maintiennent grâce à la menace totalitaire portée par les intégristes, et de l’autre, des totalitaires qui prospèrent grâce aux violations systématiques des droits de l’homme et à l’oppression des mouvements autoritaires en place, ce cercle infernal peut-être – il y a beaucoup d’incertitude – va enfin être brisé.

Jean-Luc Mélenchon : Ce que nous voyons en Tunisie et en Egypte, ce sont des nouvelles fantastiques. Comme l’a très bien dit Cohn-Bendit, il y a là un démenti formel à la logique du choc des civilisations. Quand des peuples majoritairement musulmans et arabes se mettent en mouvement, ils présentent des revendications politiques qui sont celles de l’universel : la démocratie, la justice, l’égalité. Cela embarrasse beaucoup de monde. Il faut faire très attention à ce que ces révolutions arrivent à tenir leur niveau d’exigences démocratiques et laïques.

Bruno Le Maire : La meilleure réponse, c’est d’arriver à construire des réponses crédibles, efficaces, avec des résultats. Il n’y a pas de solution rapide, de solution magique.

Gilles Finchelstein, dans votre livre « La Dictature de l’urgence » (Fayard) vous estimez aussi qu’il faut remettre du temps dans la décision politique.

Gilles Finchelstein : Si l’on dit, le temps long, c’est la raison et les élites. Et le temps court, c’est la passion et le peuple. Si l’on présente cette équation de cette façon, c’est une impasse. Si la cause profonde du populisme, c’est l’impuissance du politique. Si cette impuissance du politique a pour conséquence la montée du populisme, elle a en grande partie pour origine ce que j’appelle la dictature de l’urgence, c’est-à-dire un rapport au temps qui devient totalement frénétique. Depuis 2007, Nicolas Sarkozy parle tout le temps jusqu’à démonétiser sa parole. On a une rhétorique de communication qui place la société sous tension permanente. On a une action qui fixe toujours des délais excessivement courts et qui font qu’il n’y a plus d’espace ni pour la négociation sociale ni pour la délibération publique. Depuis 2007, quelle est de plus en plus l’origine de la loi ? C’est l’urgence. Ce n’est plus une réflexion, c’est une réaction à un événement de l’actualité. Il faut redonner du sens au temps. Dire ce qui est urgent réellement, parce qu’il y a des urgences, notamment sociales, ce qui doit être fait dans l’année, ce qui doit être fait à l’horizon d’un mandat, mais aussi recommencer à projeter notre pays, notre continent à l’horizon d’une décennie, voire d’une génération. Si nous réussissons à le faire, c’est un moyen de sortir de l’urgence, de redonner du sens, de restaurer la confiance, et c’est sans doute le meilleur moyen de vaincre le populisme.

Nicolas Baverez : Aujourd’hui, que pouvons-nous faire pour essayer d’avoir un certain nombre d’antidotes face au mouvement de déstabilisation assez sérieux de nos sociétés, même si pour l’essentiel, elles ont résisté ? Mais on a des signaux inquiétants. Il n’y a jamais de modèle. Chaque nation doit trouver en elle-même des antidotes au populisme. Le véritable antidote final au populisme, c’est le citoyen. Qu’il fasse la révolution ou qu’il fasse la réforme !

Michel Noblecourt (Les débats du « Monde »)

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