Nouvelles crispations du pouvoir égyptien L’évocation de tirs à balles réelles contre des manifestants fait monter la tension.

«Je ne comprends pas pourquoi le ministère de l’Intérieur est si clément avec les manifestants, il devrait leur tirer dessus plutôt qu’utiliser des canons à eau pour les disperser.» Prononcée en pleine réunion de la commission des droits de l’homme du Parlement égyptien, la phrase fait mauvais genre. Encore plus quand elle émane d’élus du Parti national démocrate (PND) du président Hosni Moubarak. C’est pourtant la suggestion – rejetée depuis par les autorités – qu’ont formulée dimanche deux députés lors d’un débat sur la répression musclée d’une manifestation prodémocratique le 6 avril au Caire, dernière illustration de la crispation du pouvoir à l’approche d’une série d’échéances électorales importantes, dont les législatives à l’automne et la présidentielle début 2011. Des échéances rendues sensibles par les interrogations sur la santé du président Moubarak, bientôt 82 ans – opéré de la vésicule biliaire début mars en Allemagne et qui vient à peine de reprendre ses fonctions -, l’émergence d’un opposant crédible en la personne de l’ancien patron de l’AIEA, Mohammed ElBaradei, et la multiplication des revendications politiques et sociales.

Mohammed ElBaradei, le 2 avril dernier, lors d’un déplacement à Mansourah, au nord du Caire. Crédits photo : REUTERS

Dans ce contexte, l’appel – peut-être provocateur – des députés à tirer sur les manifestants a suscité l’indignation de l’opposition, qui a promis de porter plainte contre les intéressés pour «incitation au meurtre» et réclamé la levée de leur immunité parlementaire. «Quelqu’un qui tient ce genre de propos est tout juste bon pour l’asile», a fustigé Hamdi Qandil, un des responsables de la Coalition pour le changement de Mohammed ElBaradei, lors d’un rassemblement de protestation devant le Parlement.

La réaction de l’opposition est d’autant plus épidermique que la menace n’est pas aussi virtuelle qu’il y paraît : en 2008, lors de la première «journée de colère» du 6 avril, destinée à l’époque à dénoncer la hausse du coût de la vie en pleine flambée du prix des matières premières agricoles, les forces de sécurité avaient ouvert le feu à balles réelles dans la ville industrielle de Mahalla, dans le delta du Nil. Deux manifestants avaient été tués. «La loi qui autorise la police à tirer sur les manifestants date de 1920, à l’époque de l’occupation britannique», s’indigne Hamdi Hassan, chef du bloc parlementaire des Frères musulmans, à l’origine du débat controversé de dimanche dernier.

Étrangement, le pouvoir égyptien a mis plusieurs jours à réagir. Ce n’est que mercredi que la presse progouvernementale a rapporté des déclarations de Safouat al-Chérif, l’un des caciques du régime, excluant le recours aux balles réelles et affirmant l’attachement du PND au «droit d’expression par des moyens pacifiques». «Mais cela ne signifie pas que le parti acceptera le chaos ou qu’une minorité puisse s’exprimer au nom du peuple, prétendant prôner la réforme et le changement», a-t-il précisé, en allusion aux partisans de Mohammed ElBaradei. Le Prix Nobel de la paix 2005 est actuellement en voyage aux États-Unis. Or Washington, tout en gardant une «distance polie pour ne pas heurter son allié égyptien», selon l’expression d’un observateur au Caire, soutient de plus en plus explicitement l’agenda de démocratisation d’ElBaradei, en multipliant les appels au respect du pluralisme en Égypte.

«L’émergence d’ElBaradei a changé la donne et le régime ne dispose pas d’alternative», estime Hassan Nafaa, coordinateur de la Coalition pour le changement. «La réaction brutale de l’État prouve que celui-ci n’a plus rien à proposer au peuple que les matraques électriques, déplore-t-il. La peur règne de part et d’autre.» Des élections partielles à la Choura, la Chambre haute du Parlement, devraient donner dès le mois prochain la température de la période à venir. L’été s’annonce chaud sur les bords du Nil.

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