Un livre passé trop inaperçu au début de cette année nous permet d’en regarder l’enjeu sous un angle différent, et à vrai dire essentiel. Dans Iran et Israël. Juifs et Perses, Ardavan Amir-Aslani, avocat international et expert en géopolitique, aborde de front l’hostilité entre l’actuel pouvoir de Téhéran et l’Etat juif. Lucide face à la dangerosité réelle d’une situation où des menaces de guerre, voire de destruction nucléaire, ont été proférées, l’auteur, lui-même d’origine iranienne, replace les relations Iran-Israël dans une perspective longue. Obsédés que nous sommes par le présent, nous allons de découverte en découverte à la lecture de ce livre documenté, engagé et dénué de bavardage.

Trois millénaires

Car l’histoire commune de ces deux peuples remonte à plus de 2500 ans, excusez du peu ! En 553 avant notre ère, le fondateur de l’empire perse, Cyrus s’empare de Babylone. Déportés de Judée par Nabuchodonosor après la destruction du Temple en 585, les juifs y vivent en servitude. Cyrus les libère et leur restitue les objets sacrés arrachés au Temple. Ce qui fait de lui « le seul « goy » qualifié de messie dans la Torah » (en note, Ardavan Amir-Aslani cite Isaïe 45 1-5 « Ainsi parle Yahvé à son Oint Cyrus qu’il a pris par la main droite » ; un commentaire de l’école biblique de Jérusalem (chrétienne) rappelle que le terme oint est devenu un titre messianique, il est l’équivalent français de l’hébreu mashiah, messie, que le grec traduit par Christ).

La Bible, encore, raconte comment Esther, épouse juive de Xerxès, obtient de lui qu’il sauve son peuple. Il ordonne : « Laissez les juifs suivre ouvertement les lois qui leur sont propres et portez leur assistance contre qui les attaquerait ». C’est l’origine de la fête juive de Pourim. Les tombeaux d’Esther et de son oncle Mardochée ont été placés, fin 2011, sur la liste des trésors nationaux par le gouvernement de Téhéran.

Juifs d’Iran, Iraniens juifs

La présence en Iran d’une forte communauté juive depuis l’Antiquité est connue. Elle est restée la plus importante du Moyen-Orient après Israël.

Même après trente ans d’érosion sous la République islamique, elle compterait environ 25.000 personnes (contre 80.000 en 1968) et bénéficie dans la Constitution (article 13) d’un statut de minorité religieuse reconnue, au même titre que les chrétiens arméniens et les zoroastriens.

Moins connue est la contribution des juifs iraniens à la construction de l’Etat d’Israël. En 1920, dans la Palestine sous mandat britannique, sur 90.000 juifs, 30.000 étaient des Iraniens. Entre 1948 et 1955, l’immigration en provenance d’Iran a dépassé les 30.000 personnes et dans l’Israël d’aujourd’hui, les descendants d’Iraniens sont environ 250.000, dont l’ancien président Moshé Katzav.

Durant la Seconde Guerre mondiale, l’Iran a été protecteur pour les juifs. Des dizaines de milliers de Polonais, dont beaucoup d’enfants juifs orphelins, ont été recueillis à Ispahan après un épuisant périple à travers l’URSS de Staline.

Les deux peuples, estime Ardavan Amir-Aslani, n’ont pas seulement des liens anciens et somme toute positifs. Leurs deux pays se ressemblent par bien des aspects : le niveau de développement, le modèle social, l’éducation, la force de leur diaspora.

Mais aussi et surtout par leur isolement géopolique et religieux. L’Etat hébreu et l’Iran chiite, entourés de pays arabes et/ou sunnites peu amicaux, ont longtemps entretenu une solidarité réciproque plus ou moins camouflée, de la reconnaissance quasi-officielle d’Israël par le Shah aux livraisons d’armes israéliennes à Téhéran pendant la guerre Iran-Irak des années 80.

Le nucléaire, de la coopération à la guerre secrète

Peu d’Occidentaux savent qu’Israël avait décidé en 1977 de vendre aux Iraniens des missiles de longue portée capables d’emporter des ogives nucléaires. L’opération « Tzor » s’inscrivait dans l’effort mené par le Shah, enrichi par la flambée des cours pétroliers, pour doter l’Iran d’un complexe militaro-industriel : Israël apportait des technologies et des armements sophistiqués, l’Iran de son côté lui fournissait pétrole et financements. La Révolution islamique a mis fin à cette coopération secrète.

L’auteur, comme son préfacier Alexandre Adler, replace les relations entre « Juifs et Perses » dans l’histoire et dans le panorama géopolitique du Moyen-Oriental, sans jamais céder à l’angélisme : il veut simplement faire prévaloir la raison. Entre ces deux pays isolés comme jamais, la guerre des services secrets, avec la mort suspecte de plusieurs Iraniens travaillant sur le programme nucléaire, ne doit en aucun cas devenir une guerre tout court.

Les seuls qui semblent souhaiter l’affrontement sont les ultras des deux pays, Gardiens de la Révolution en Iran et extrême-droite en Israël. Or « à Téhéran comme à Tel Aviv, les jeunes ont envie de vivre, d’étudier, de travailler, de se réaliser », écrit Amir-Aslani. Il suffirait de si peu : « Ces deux pays, ces deux peuples, peuvent contribuer à changer le Proche-Orient ». Pour le meilleur plutôt que pour le pire.


Ardavan Amir-Aslani, «Iran et Israël. Juifs et Perses»
Nouveau monde éditions, 238 pages, 22 euros. Préface d’Alexandre Adler

Sophie Gherardi / Fait-Religieux.com Article original

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