Après 8 ans de bagarre, la «Loi sur la protection du livre et des auteurs», inspirée de la loi Lang, entrera en application le 1er février 2014. Une révolutionLe 5 juin 2012, quelques-uns des plus grands écrivains israéliens se fâchent tout rouge. A Jérusalem, la veille de l’ouverture de la Semaine du livre hébreu, David Grossman, Yoram Kaniuk (décédé en juin 2013), Amos Oz, Orly Castel-Bloom, Zeruya Shalev et quelques autres déclarent dans un communiqué qu’ils interdisent à leurs éditeurs de brader leurs livres à prix réduit pendant cette manifestation:

Nous ne voulons pas participer plus longtemps à l’humiliation de nos œuvres en particulier, et de la littérature en général.».

Un coup de gueule qui vise très directement une réalité de plus en plus insupportable à leurs yeux: le quasi-monopole qu’exercent sur marché du livre israélien les deux chaînes de librairies Steimatzky (50% de ce marché) et Tzomet Sfarim (30%), par ailleurs liée à un des plus grands groupes d’édition du pays.

Outre que ces mastodontes se livrent à une concurrence sauvage à coups de remises et de prix cassés qui rognent les revenus des auteurs, de telles pratiques mettent aussi en danger de mort tout un réseau de librairies indépendantes et de petits éditeurs, sans lesquels une authentique vie littéraire et intellectuelle ne saurait exister.

Menahem Perry, le patron de la prestigieuse maison d’édition Sifria ‘Hadacha (La Nouvelle Bibliothèque), avait mis le feu aux poudres quelques jours plus tôt avec une tribune apocalyptique publiée dans «Haaretz». Si rien n’est fait très vite pour contrer cette vision purement marchande du livre, écrivait-il en substance, d’ici à deux ans, ce sera l’hécatombe «et il ne nous restera que deux ou trois éditeurs commerciaux et cyniques, pour qui la qualité est le cadet des soucis.»

Pour les observateurs de la vie intellectuelle israélienne, ces spectaculaires «coups de pression» n’avaient qu’un but: accélérer la mise en discussion rapide par la Knesset, le parlement israélien, d’un projet de loi inspiré de la loi Lang sur le prix unique du livre.

Un projet initié en 2005 par Roselyne Déry, attachée au livre et à l’écrit à l’Institut français de Tel-Aviv, qui n’aura eu de cesse de s’attacher en Israël et en France des soutiens de plus en plus nombreux jusqu’à ce mercredi 31 juillet.


A l’issue du vote, à la Knesset, de la «loi française» sur le livre en Israël le 31 juillet 2013: à gauche Eugène Kandel (Conseiller auprès du Premier ministre et rédacteur de la loi), au centre Roselyne Déry (à l’initiative de la loi) et à droite Livor Livnat (ministre de la Culture).

Quand nous l’avions rencontrée en 2008, à l’occasion d’un dossier que nous avions alors consacré au Salon du livre dont Israël était cette année-là l’invité d’honneur, Roselyne Déry pensait que l’adoption de ce que tout le monde appelait déjà en Israël «la loi française» n’était plus qu’une question de semaines, au pire de quelques mois. Las, d’avancées en reculades, la mise en discussion, et a fortiori l’adoption de cette loi, aura nécessité encore de longues années de travail acharné, d’ajustements, de lobbying auprès des rares parlementaires conscients de l’enjeu.

Du côté des écrivains, l’engagement total dans ce combat de Yoram Kaniuk jusqu’à son dernier souffle, aura été déterminant puisqu’il a fini par convaincre Mme Livor Livnat, ministre de la Culture, de la nécessité d’une telle loi. Et quand Amram Mitzna, le très efficace chef de la commission parlementaire «Culture et éducation» a pris les choses en main, les choses se sont brutalement accélérées. Le 31 juillet dernier, la «Loi sur la protection du livre et des auteurs» a enfin été adoptée à une large majorité.

Juste après le vote, le député Nitzan Horowitz, porteur de la première mouture du projet de loi, déposée en 2009, a immédiatement déclaré devant la Knesset qu’il s’agissait «d’un jour historique pour l’avenir du livre et de la culture en Israël.» Dans son discours, comme Amram Mitzna dans le sien, Nitzan Horowitz a souligné le rôle-clef que la France a joué – notamment par le biais du BIEF (Bureau international de l’édition française) et de nombreux éditeurs, dont P.O.L et Gallimard – dans l’élaboration de ce projet, aboutissement d’une collaboration exemplaire entre les deux pays.

Que dit cette loi dans ses grandes lignes? En premier lieu, elle prévoit une durée de protection du prix fixé par l’éditeur (pendant 18 mois), ce qui concerne le livre physique comme sa version électronique. Et il n’y aura pas de remise accordée de 5% comme en France, avec néanmoins une exception: une remise de 20% sera autorisée durant les dix jours que dure la «Semaine du livre hébreu», qui se tient dans l’ensemble du pays dans les premiers jours du mois de juin.

Par ailleurs, cette loi assure aux auteurs, à leur grande satisfaction, un minimum de revenus, fixé sur le prix public. Elle est enfin est assortie d’un nombre important d’articles destinés à neutraliser les éventuelles stratégies de contournement que pourraient mettre en œuvre ceux qu’elle vise en premier lieu, c’est-à-dire, bien évidemment, le duopole Steimatsky/Tzomet Sfarim, responsable de la situation qui a prévalu jusque-là.

On le mesure mal en France, mais que le livre soit ainsi arraché par la loi israélienne à la pure logique marchande, qu’il ne soit plus considéré comme un simple «produit», mais comme un bien culturel digne d’être protégé des ravages de cette même logique, est une vraie révolution dans un pays où, en matière économique, le libéralisme est de règle. La loi prendra effet le 1er février 2014.

Bernard Loupias/ Nouvel Obs Article original

Mots-clés : Israël, édition, librairie, prix unique, loi Lang, Roselyne Déry, Yoram Kaniuk, Amram Mitzna, Livor Livnat, Nitzan Horowitz

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