Entré en fonction en janvier de cette année, celui qui définit la politique spirituelle de la communauté juive a d’importantes missions. Voix représentative des juifs de France, il doit réagir et adopter une position aussi bien sur des problématiques géopolitiques que sur des enjeux de société.
Pour faire face à ces multiples sollicitations, Gilles Bernheim sait prendre le temps de la réflexion et s’inspirer de l’enseignement de ses maîtres talmudistes, tout en demeurant pleinement impliqué dans les enjeux d’aujourd’hui et de demain, comme les questions de bioéthique sur lesquels il s’est investi depuis longtemps. L’un de ses ouvrages résume d’ailleurs cette synthèse, il s’intitule « Un rabbin dans la cité ».
Le Grand Rabbin de France, agrégé de philosophie et diplômé du Séminaire Israélite de France, entretient, pour se détendre, une passion pour le sport en général, le football et le cyclisme en particulier. Ainsi, ce matin-là, petit break avant de revoir ses visiteurs : Gilles Bernheim interroge sa chef de cabinet, Barbara, sur une question relative à l’OM…
1. Idées Clé, 2. Missions, 3. Judaïsme et Religions, 4. Fin de Vie

1. Ses trois idées clé
La Communauté unie avec Israël lors
de la récente visite de son 1er Ministre
a. Tradition et Modernité
S’inspirer de l’enseignement de ses maîtres talmudistes tout en demeurant pleinement impliqué dans les enjeux d’aujourd’hui et de demain.
La vision de la société civile de la communauté juive dépend de l’image perçue du Grand Rabbin de France. C’est une énorme responsabilité. L’interlocuteur de la communauté juive auprès des pouvoirs publics, la voix du judaïsme devant les non-juifs.
b. Donner à penser
La grandeur d’une religion réside dans sa capacité à donner à penser à ceux qui ne croient pas en elle.
Comment agir et s’exprimer au nom de tous les juifs de France sur des questions spirituelles comme sur les enjeux de société.
c. Ne jamais être sûr !
La crise que nous traversons m’a appris que le trop-plein d’assurance, de convictions, endort le pouvoir de réflexion. La recherche d’objectifs immédiats dans la société civile et économique n’a pas favorisé l’esprit du doute.
La remise en question est le propre de la pensée rabbinique. D’ailleurs le Talmud ne s’étudie jamais seul. Il s’étudie toujours à deux parce que l’on n’a jamais raison tout seul.

2. Ses Missions
Rabbin de tous les Rabbins
Premièrement, en tant que Grand Rabbin, je suis le rabbin de tous les rabbins français. Je dirige une équipe, dessine des projets et surtout je suis à l’écoute des rabbins. Chaque Grand Rabbin veille à les aider à progresser dans des situations pratiques comme doctrinales. Mon rôle est en effet d’accompagner les rabbins dans leur quotidien.
Nombre d’entre eux exercent en région. Ils n’ont pas à leur côté des rabbins avec qui ils peuvent communiquer aisément. Cette solitude peut parfois conduire à un repliement. Quand un rabbin est confronté à un problème il est important qu’il puisse communiquer avec d’autres rabbins qui ont plus d’expérience. Ils pourront ainsi confronter leur épreuve à l’aune de ce que d’autres ont vécu dans des situations parallèles. Un enfant a besoin d’écouter, un adulte a besoin de parler et de communiquer son expérience.
Dans ce cadre, nous allons ouvrir cet été un site Internet, afin que le corps rabbinique puisse exprimer ses difficultés et partager les succès. Des hommes exceptionnels ont des réussites formidables. Certaines initiatives locales sont trop méconnues.
Représentation de la Communauté Juive
Le deuxième volet du métier me conduit à être d’une part l’interlocuteur de la communauté juive auprès des pouvoirs publics, et d’autre part la voix du judaïsme devant les non-juifs. Cela signifie que la vision de la société civile de la communauté juive dépend de l’image perçue du Grand Rabbin de France.
C’est une énorme responsabilité. Elle implique de s’investir dans des questions de société qui concernent non seulement les juifs, mais aussi tous les hommes. Le judaïsme est ainsi un vecteur de pensée et d’intelligence dans la cité. Être Grand Rabbin de France demande beaucoup de vigilance.
Attention à la Société
Je dois tout d’abord être à niveau et attentif à ce qui se passe dans le monde. Ensuite, il est nécessaire d’avoir une équipe d’experts autour de soi. A chaque actualité majeure, nous devons très vite confronter nos opinions à celles des autres.
Nous vivons à l’ère d’Internet. Un propos rapide, maladroit ou coupé de son contexte peut faire immédiatement le tour du monde.
En tant que Grand Rabbin de France, je veille à ne pas exprimer de sentiment personnel, mais le sentiment de la communauté. Le Grand Rabbin de France est le Grand Rabbin de tous les juifs de France. Nos points de vue doivent être suffisamment consensuels.

3. Judaïsme et religions
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Amitiés avec l’Islam Amitiés avec les Chrétiens

Intronisation et poignée de main chaleureuse Le beau livre co-signé avec
avec Dalil Boubakeur ex Prsdt du CFCM le Cardinal Barbarin,
et Recteur de la Grande Mosquée Archevêque de Lyon
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Q : En ce début du XXIe siècle, le dialogue judéo- chrétien est-il toujours un défi de taille pour les Juifs et les Chrétiens?
Grand Rabbin Gilles Bernheim: Je saurais répondre en ce qui a trait au défi que représente pour les Chrétiens le dialogue avec les Juifs. Pour le théologien allemand Friedrich Marquardt: “L’antijudaïsme chrétien ne sera dépassé que lorsque les Chrétiens seront parvenus à percevoir dans un sens positif le “non” des Juifs à Jésus”. Ce qui ne veut pas dire que les Juifs n’ont plus rien à dire aux Chrétiens parce qu’ils disent “non” à Jésus.
Mais cela veut dire que le “non” des Juifs à Jésus n’est plus perçu par les Chrétiens comme une offense, mais comme une manière d’être Juif, d’être homme d’une manière autre que celle que le christianisme préconise. Ça veut dire que cette altérité du judaïsme est désormais reconnue comme une valeur profonde par les Chrétiens.Le dialogue entre Juifs et Chrétiens, c’est la rencontre de deux altérités, c’est-à-dire de deux différences qui ne se laissent pas réduire à un oecuménisme mou.
L’ensemble de ce livre en témoigne, ni le Cardinal Philippe Barbarin ni moi-même n’avons fait la moindre concession. C’est un dialogue courtois, franc, entier, très exigeant, où la peur d’être autre, et parfois de déplaire, n’est jamais escamotée au profit d’un oecuménisme qui n’aurait aucune raison d’être.
Q : Est-ce la figure de Jésus qui rend ce dialogue plus difficile?
Grand Rabbin Bernheim: Nous, Juifs, différencions bien le Jésus historique du Jésus “christique”. Le Jésus historique est un homme avec sa sagesse. Aujourd’hui, certains Rabbins pensent que Jésus adoptait des positions très minoritaires, qui n’ont été affirmées que dans des circonstances exceptionnelles. Cet homme Jésus est Juif, et l’est resté, quelles que soient les contradictions qu’il affiche avec la Loi juive, la Torah et les Mitsvoth, et quel que soit le jugement sévère que nombre de Rabbins peuvent avoir à son égard. Ce n’est donc pas la judaïté de Jésus qui est en cause, même si on n’est pas toujours d’accord sur ce qu’il dit ou fait.
Ce qui est en cause, c’est le traitement qui a été opéré sur la fin de sa vie avec la souffrance, la mort, la crucifixion et la résurrection.
Ce qui est en cause, c’est la christologie, c’est-à-dire l’élévation d’un homme au rang de médiateur entre l’homme et D. ieu, voire de demi-D. ieu, partie prenante de la divinité. Là, nous sommes dans un champ de référent qui est complètement étranger aux Juifs.
À partir de là, le christianisme n’a plus rien à voir avec le judaïsme. Cette proximité et cette irréductible différence sont non seulement rappelées mais soulignées au long du livre.
Q : Nombreux sont Juifs et Musulmans qui reprochent à Benoît XVI, de négliger le dialogue interreligieux,dossier très prioritaire pour le défunt pape Jean-Paul II.
Grand Rabbin Bernheim: Benoît XVI, est plus un théologien qu’un historien de la religion. C’est un homme qui cherche avant toute chose à vérifier que les concepts de l’Église sont correctement transmis, définis pour eux-mêmes et par eux-mêmes. Il est moins ouvert que son prédécesseur, feu le pape Jean-Paul II, aux cultures différentes de la sienne.
Tout en étant très respectueux du judaïsme et des avancées du Concile Vatican II, c’est indéniable que pour Benoît XVI le dialogue avec les Juifs, je devrais dire avec les autres religions, n’est pas aussi prioritaire qu’il l’a été pour Jean- Paul II.
Q : Votre regard le dialogue interreligieux entre judaïsme, christianisme et Islam?
Grand Rabbin Bernheim: Je suis moins averti du dialogue entre le judaïsme et l’Islam.
Il y a en France des Rabbins, et d’autres Juifs qui font un travail remarquable pour faire avancer ce dialogue. Seulement, la différence qui existe avec le dialogue entre Juifs et Chrétiens, c’est que ce dernier commence sur un texte. Juifs et Chrétiens peuvent avoir une lecture très différente du Pentateuque, de la Torah, mais ils lisent le même texte, même si chaque lecture ouvre des perspectives très différentes.
Le dialogue avec les Musulmans ne se fait pas sur un texte, n’est pas une discussion sur des versets des Prophètes, ni une divergence de lecture. C’est la réalité qui ne se définit pas de la même façon : ex., dans la version juive c’est Isaac qui est élevé sur le Moria par Abraham alors que dans la version musulmane ce n’est pas Isaac, mais Ismaël!
Le dialogue devient alors plus difficile. Il est plus un dialogue entre comportements, mentalités, manières de vivre ensemble, auxquels un bon nombre de Juifs d’Afrique du Nord ont été accoutumés à certaines époques dans leur pays d’origine.
Q : Donc, pour les Juifs, les perspectives d’un dialogue franc et fructueux sont moins prometteuses avec l’Islam qu’avec le christianisme?
Grand Rabbin Bernheim: Oui, le dialogue judéo-musulman, qui existe aujourd’hui, mais à une toute petite échelle, est difficile, pas seulement à cause du contexte politique du Moyen-Orient, mais parce qu’il faut aussi que les gens qui s’y engagent soient formés à l’écoute, à la culture et à la langue de l’Autre. On ne peut pas étudier un texte en hébreu si on ne connaît pas l’hébreu. On ne peut pas étudier un texte du Coran, si on ne connaît pas la langue arabe. Il y a ainsi aujourd’hui trop peu de candidat à ce travail à venir.
Je souhaite que cette étude commune ait lieu dans un proche avenir parce qu’il n’y a pas de vivre ensemble sans étude, sans donner à penser aux autres, sans cette volonté d’attester que ce qui fait la grandeur d’une religion ce n’est pas sa certitude d’avoir raison, mais sa capacité à donner à penser (pas dit à convaincre, et encore moins à convertir) à ceux qui n’y croient pas.
Ça veut dire que le Juif qui expose sa tradition suggère aux autres que sans perdre leur foi, et parfois pour l’améliorer, le judaïsme peut être une ressource intellectuelle, affective ou relationnelle, et réciproquement. C’est une démarche audacieuse, mais indispensable!
Q : Le confit politique entre Israël et le monde arabo-musulman constitue-t-il une grande entrave au dialogue judéo-musulman?
Grand Rabbin Bernheim: Oui, le conflit entre Israël et le monde arabe est un sérieux écueil pour le dialogue judéo-musulman. Il y a dans les Communautés juive et musulmane de France une volonté de couper, de séparer le dialogue judéo-musulman du problème du conflit israélo- palestinien -ce qui est parfois difficile- de manière à générer un véritable souffle, une véritable attention au vivre ensemble entre Juifs et Musulmans.
Q : En Europe, des leaders islamistes martèlent dans leurs prêches une rhétorique antisémite virulente. L’expansion de cet Islam fondamentaliste est-t-il inéluctable?
Grand Rabbin Bernheim: Oui, un discours extrêmement radicaliste est prêché dans certaines Mosquées en France.
C’est un discours antijudaïque, antioccidental, qui remet en question tous les acquis de la Renaissance et du siècle des Lumières en France. C’est un discours véhément, qui tente à faire de la France, même si ce n’est pas toujours dit de manière ostensible, une terre de conquête, de mission, de conversion à l’Islam.
Là, il y a lieu d’être inquiets, car ce phénomène touche aussi bien les Juifs que la République française ; les citoyens français ne doivent pas l’oublier!
Q : Dans un pays républicain comme la France, on a l’impression que le fait religieux est de plus en plus incompatible avec la laïcité?
Grand Rabbin Bernheim: Permettez-moi de m’attarder un instant sur le mot “laïcité”.
On parle beaucoup en France de “laïcité active”, de “positive”. La laïcité, ça ne se réduit pas à assurer que l’État garantisse une société sans ces problèmes, où les différences ne doivent pas s’afficher, ne fassent pas souci. La laïcité, c’est autre chose.
La laïcité, c’est la reconnaissance d’un nombre de valeurs françaises. Lorsqu’on parle de liberté, d’égalité, de fraternité, que signifient ces concepts, socle de la République?
La liberté, c’est par exemple le droit de quitter sa religion. Or, nous savons que nombre de courants de l’Islam ne le tolèrent pas.
L’égalité hommes/ femmes, ça veut dire qu’être Musulman, c’est accepter l’idée de résister au principe du patriarcat, c’est donner à la femme toute sa dignité, ses chances.
La fraternité, c’est l’appartenance à une même Mémoire, à une même Histoire. Nous sommes frères, ça veut dire que nous avons même père, mêmes origines. C’est donc pour vivre ensemble en respectant nos origines respectives et en essayant de construire un avenir où des religions différentes sauront cohabiter en bonne intelligence et avec coeur.
Voilà ce que c’est qu’être laïc en France. Ainsi, un Musulman, un Chrétien ou un Juif, ont un vrai travail à effectuer dans leur Communauté pour que ces valeurs républicaines, qui forment aujourd’hui le ciment de la laïcité française, soient respectées.

4. Le Rabbin et la fin de vie
Une vraie préparation
Parmi nombre de sujets auxquels un rabbin est confronté, l’un des premiers et des plus difficiles est l’accompagnement de fin de vie. Un rabbin, comme un prêtre, un imam, un pasteur, est celui que l’on va chercher lorsqu’une personne est très gravement malade ou lorsqu’elle est en fin de vie. Or, cela ne s’improvise pas. Je ne parle pas des cérémonies ou du rituel mais de la présence et de la conduite au côté d’une personne.
La bonne volonté et les bonnes intentions ne suffisent pas. De telles situations se préparent sous l’autorité de personnes qui accompagnent les rabbins, leur soufflent des solutions, bref les aident dans ces moments particulièrement difficiles.
La Loi est là
La loi relative au droit des malades et à la fin de vie, ou loi Leonetti, est bonne (loi qui assure la qualité de fin de vie au malade en dispensant les soins palliatifs et reconnaît le devoir de respecter la dignité du mourant). Lorsqu’un fait d’actualité est surexposé dans les médias, que la souffrance émeut jusqu’aux tripes, l’état de l’opinion peut très vite changer. Cette souffrance est inacceptable et la personne qui vit cette souffrance est une victime. Faut-il pour autant déplacer le curseur de la loi ? L’enjeu majeur n’est pas là.
Aider les familles
Notre responsabilité est de promouvoir la formation des accompagnants. Je m’explique. Bien souvent les malades ont envie de mourir lorsqu’ils ne trouvent plus autour d’eux d’espérance et de désir de vivre. C’est normal. Une famille qui s’occupe jour après jour d’un personne atteinte d’une pathologie lourde ou en fin de vie peut avoir des moments de découragement et d’épuisement.
Dans ces circonstances, son regard tend à confondre la maladie et le malade. La maladie est horrible, mais pas le malade. Or si le malade voit dans le regard de l’accompagnant qu’il est horrible, il n’a qu’une seule envie : mourir. Plutôt que de promouvoir l’émotion devant la souffrance d’autrui, aidons les familles qui sont à bout de force à trouver des temps de récupération.
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La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

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