Vers la fin de l’interview, dans son bureau de la Knesset, Haïm Amsalem retire cinq volumes reliés de mails et de lettres d’une étagère, et les plaque sur son bureau, dans un bruit satisfait. « ça », dit-il fièrement, « c’est ce que j’ai reçu en un mois et demi seulement. La communauté s’éveille. » Chaque jour, de nouvelles lettres de soutien affluent – « des États-Unis, de France, du Pérou, de Hong Kong… » Mais surtout, et bien sûr, d’Israël. « J’ai parlé à la radio militaire, ce matin », note-t-il. « Immédiatement, plusieurs personnes ont téléphoné. Le public israélien entend ce que je dis – et je ne parle pas seulement des publics orthodoxe et ultra-orthodoxe. Mais du public de tout le spectre du pays. »
“Le peuple juif doit être un exemple, pour lui-même, de tolérance, d’acceptation de l’autre, de non-persécution des autres pour leurs croyances.”


PHOTO: MARC ISRAËL SELLEM , JPOST

Aucun doute à ce sujet. Amsalem – élu pour la première fois dans les rangs du Shas en 2006 – a touché une corde sensible. Ou plutôt deux.
Pour la première fois de l’histoire du parti, un initié crédible et jusqu’ici dévoué, a eu le courage de se lever pour déplorer la nudité de Shas et son empereur. Selon lui, loin de restaurer la gloire séfarade, les élégants opérateurs politiques du rabbin Ovadia Yossef manquent à leur mission publique en dénaturant les exigences d’un judaïsme authentique, et le processus initié par Yossef.

Le premier champ de bataille choisi par Amsalem est pour le moins incendiaire. En préconisant une approche halachiquement clémente à la conversion, le rabbin-politicien a provoqué l’opprobre furieux de l’establishment rabbinique, tout en profitant de l’appui ravi de ceux qui reconnaissent que le processus actuel, trop strict, a aliéné des centaines de milliers d’immigrants halakhiquement non juifs de l’ex-Union soviétique.

Son second objectif est sans doute plus révolutionnaire encore. Issu des rangs de l’establishment politique séfarade ultra-orthodoxe, Amsalem en a émergé pour défier l’insoutenable norme qui veut que le leadership haredi ashkénaze lituanien encourage ses adeptes à esquiver le service militaire et l’emploi, au profit de l’étude de la Torah. Une norme fidèlement approuvée par sa propre hiérarchie séfarade – ce qui, comme le dit Amsalem, condamne la communauté du Shas à contribuer au « cercle vicieux de la pauvreté ».

Travailler, une obligation de la Torah ?

Amsalem souligne sans relâche son respect et sa fidélité au chef spirituel du parti – « Harav Ovadia a donné l’inspiration au Shas »>Article original« , pointe-t-il. « C’est lui qui a mené la renaissance spirituelle séfarade. » Néanmoins, Amsalem pointe du doigt ce parti qu’il définit comme celui de Yossef, pour être mal dirigé, mais surtout désastreux pour ses électeurs. Son idéologie, ou plutôt l’idéologie lituanienne ultra-orthodoxe qu’il a servilement adoptée, fait-il valoir d’une façon encore plus bouleversante, n’est rien de moins qu’une trahison du judaïsme. Après tout, déclare-t-il, citant une série de versets, l’obligation qui incombe au père d’éduquer ses enfants pour qu’ils puissent gagner leur vie honorablement est un précepte juif central et incontestable.

C’est pourquoi, note Amsalem, les plus jeunes doivent recevoir une éducation complète, à base de mathématiques, anglais et sciences, de même que l’étude religieuse, pour mieux trouver du travail une fois adultes. Et pourtant, le Shas – ce parti qui aspire à la tradition séfarade tout en maintenant sa déférence à l’égard de l’establishment lituanien – n’a jamais rien dit de la sorte à ses partisans, au cours de ses presque trois décennies de militantisme politique sous la houlette de Yossef. « Pour un verre de lait, vous n’achetez pas une vache », s’emporte Amsalem, puis, devant mon expression perplexe, précise : « Vous n’avez pas envoyé des centaines de milliers de personnes étudier dans un cadre, sans aucun moyen de subsistance, dans l’espoir qu’un grand érudit de la Torah puisse en sortir. Ce n’est pas juste et la Torah ne nous demande pas ça. »

La colère des hommes du Shas

Dans une critique féroce, Amsalem rappelle que Shas a vraiment été fondé par le regretté sage lituanien, Rabbi Eliezer Schach, et affirme que le parti a toujours été « gouverné et commandé à distance par le leadership spirituel lituanien. Le monde de la yeshiva séfarade n’est pas vraiment séfarade. En fait, toutes ses figures de proue ont fait leurs classes dans des yeshivot lituaniennes ashkénazes, et ont mis en œuvre ces enseignements pour les Séfarades. »

Yossef, dit-il, certes un savant remarquable, n’a été que « la personnalité choisie » par le leadership lituanien. Et aujourd’hui, indique Amsalem, l’accès au Rav séfarade est si soigneusement contrôlé par les figures de haut rang du Shas que le sage est privé de l’information nécessaire pour donner au mouvement la direction appropriée, à la fois halakhique et sioniste, qu’il revendique. Sans surprise, la hiérarchie du parti a violemment réagi à la révolte frontale d’Amsalem, parfois en termes brutaux. En novembre dernier, les quatre hommes du Conseil des Sages de la Torah, conduit par Yossef, l’ont excommunié par essence. L’accusant de se mettre lui-même en disgrâce « avec les ennemis de la Torah. » Et qualifiant certaines de ses opinions d’hérétiques. Ils ont alors ordonné à Amsellem de rendre son mandat du Shas et de quitter la Knesset. Ce que l’intéressé a refusé de faire.

Puis, le député a ensuite été présenté comme un désacralisateur du nom du Seigneur, via des affiches placardées dans les quartiers ultra-orthodoxes de Jérusalem et Bnei Brak. Responsable de tous les maux. Un des fils de Yossef lui a même imputé la sécheresse de l’hiver. Le journal du Shas, Yom Leyom, a consacré plusieurs pages pour condamner ses errements. Et un journaliste est même allé jusqu’à l’assimiler à Amalek, le descendant d’Esaü et ennemi biblique des Juifs, dont la filiation est condamnée à être détruite.

Le bureau d’Amsalem avait alors répondu à l’époque que « la comparaison avec Amalek n’a qu’une seule et unique signification, à la fois claire et dangereuse », et le rebelle du Shas s’était rapidement vu affublé de gardes du corps. Eli Yishaï, ministre de l’Intérieur et chef du parti Shas – qualifié de « dictateur » par Amsalem dans une autre interview et l’objet de critiques implicites dans celle-ci – avait jugé « inacceptable » la comparaison du journal.
Sur ce point, les deux hommes semblent d’accord. Mais sur presque rien d’autre.

Un lent processus de dégradation

Né en Algérie, Haïm Amsalem, 51 ans, déménage très jeune en France, avant de s’installer en Israël avec sa famille, à l’âge de 11 ans. Sa relation avec Yossef remonte à des décennies, explique-t-il : « J’ai toujours été très proche de lui… Jeune homme, j’ai été testé par lui ». Et c’est aussi le Rav Yossef qui lui a délivré son ordination rabbinique. « Mes livres ont rencontré son approbation. J’ai été cité dans ses ouvrages plus d’une fois. »

Avant d’entrer à la Knesset, Amsalem avait officié comme rabbin de communauté, dans le sud d’Israël et à Genève. S’il est entré en politique, explique-t-il, c’est pour avoir compris que « seul le monde politique peut permettre de faire changer les choses aujourd’hui, en Israël, même dans le domaine religieux. Le monde rabbinique, malheureusement, a perdu sa capacité d’influence. » Il devrait pourtant connaître sur le bout des doigts le parti qui l’a accueilli dans ses rangs. En particulier tous ceux qui siègent de longue date dans l’entourage de Yossef. Alors, pourquoi cette attaque soudaine et indignée à l’égard de la politique du Shas ?

Ce n’est pas aussi simple que cela, rétorque Amsalem. Il pensait qu’en tant que député, comme cela avait été le cas quand il était un rabbin, il aurait toujours « la possibilité d’aller rencontrer le Rav, pour discuter avec lui, lui faire entendre mon opinion et écouter ses avis. »
En pratique cependant, selon lui, « le processus de dégradation » a commencé « à partir du moment où je suis entré en politique. Il y avait ceux » – dont, même s’il n’est pas nommé expressément, Yishaï en tête de liste – « qui n’appréciaient pas ce lien personnel entre moi et Harav Ovadia – qui reposait sur une base rabbinique, non pas politique, et qui pouvait l’influencer profondément. »

De fait, Amsalem est l’un des deux seuls rabbins ordonnés (avec Nissim Zeev) parmi les 11 députés du Shas. Et sa capacité à interagir avec Yossef à ce niveau, en tant qu' »homme de la Halakha qui a écrit des livres sur la Halakha… constituait apparemment un problème pour certains. » Le fossé – d’abord idéologique puis personnel – entre le parlementaire et son parti, note-t-il, s’est creusé très progressivement. Parmi les pommes de discordes, le sujet de la conversion. « Vous ne pouvez pas rester indifférent quand il s’agit de soldats de Tsahal, dont certains risquent leur vie pour nous, dont certains ont donné leur vie pour nous, et qui sont de ‘la semence d’Israël’ – Zera Israël – c’est-à-dire, d’origine juive. »

Alors que le Grand Rabbinat, toujours davantage sous la coupe ultra-orthodoxe, a fixé des normes strictes pour les conversions de tous ces immigrés de l’ex-Union soviétique, de descendance juive patrilinéaire, le conflit est ouvert sur la validité des conversions réalisées dans le cadre de Tsahal. Amsalem, lui, suit « la ligne des grandes autorités rabbiniques qui m’ont précédé » et qui veut que dans ce cadre, les candidats « doivent être traités différemment. Une approche halakhiquement plus indulgente est recommandée, fait-il valoir. « Du sang juif coule dans leurs veines », ajoute-t-il, et ignorer cela, « n’est ni halakhique, ni humain ».

Travail à temps plein vs. étude de la Torah

« Dans l’Etat d’Israël, nous avons presque un demi-million de personnes dans ce cas. Ceux qui ont un père ou un grand-père juif. Ils portent des noms juifs, mais ne sont pas juifs, parce que leur mère ne l’est pas. Partout dans le monde juif, il y a des millions de personnes de cette catégorie. Je n’exagère pas. Des millions. Que dois-je faire avec eux ? Devrais-je les repousser, à l’encontre des injonctions du prophète Yehezkiel ? Non, je dois proposer des solutions. »

Second sujet qui lui tient à cœur : Amsalem abhorre l’enseignement, et fait part de son insistance pour que les élèves du Talmud Torah du Shas étudient le programme scolaire général aussi bien que la Torah. « Ces études sont non seulement importantes en terme de capacité des élèves à s’assurer un avenir dans les professions d’ordre général », explique-t-il, « mais aussi pour le bien de l’étude de la Torah elle-même : vous devez comprendre les matières de base pour mieux comprendre la Guemara ».

Selon lui, certains pilpoulim (textes sujets à discussions) de Guemara – dans Massekhet Shabbat, Massekhet Kil’ayim, Massekhet Erouvin, ou Massekhet Soucca – ne peuvent s’aborder correctement « sans une compréhension plus large. »

Ce qui l’amène à la question extrêmement controversée du travail à temps plein contre l’étude à temps plein. « Pour moi, la capacité de gagner sa vie avec honneur est un principe primordial », souligne-t-il. « La Torah ne nous oblige pas à créer une société paupérisée. La Torah exige de nous de créer une société de qualité, qui observe les commandements et étudie la Torah à un niveau élevé. » Mais elle ne dispense pas de l’impératif de travailler.

Amsalem vient de rentrer, précise-t-il, d’un voyage aux Etats-Unis, au cours duquel il a délivré un cours de Halacha à un groupe d’industriels. « J’ai été surpris par le niveau de la discussion, un niveau que je ne vois pas en Israël », rapporte-t-il. « De retour ici », observe-t-il avec une provocation calculée, « un Talmid Haham qui étudie dans un bon Kollel, possède un bon niveau. Mais celui qui n’étudie pas dans un Kollel a un niveau très faible. Ce modèle que j’ai rencontré aux Etats-Unis, ce modèle qui a prévalu pendant des générations – quand les Juifs travaillaient pour gagner leur vie tout en maintenant l’étude de la Torah – pourquoi ne peut-il s’appliquer ici » ?

Amsalem sait exactement pourquoi : parce que les dirigeants ultra-orthodoxes ont dévié de cette voie avec insistance au sein de l’Etat moderne d’Israël, via de nombreuses exonérations du service militaire pour leurs jeunes, et en les envoyant en masse étudier. « Vous définissez cela comme « une déviation », fera-t-il remarquer. « Et bien moi aussi. Si cela était resté la norme du seul monde lituanien orthodoxe »>Article original, soit, c’est leur position, et je n’interviens pas dans leur monde. Chez eux, ce n’est pas une déviation. C’est leur vision des choses. Mais pour le public séfarade, qui ne souscrit pas à ce point de vue, et où cela crée une société paupérisée, sans composante de travail pour gagner sa vie honnêtement, et bien, il faut y mettre un terme. L’alarme doit être déclenchée. »

Amsalem note que presque tous les grands érudits juifs, à travers les générations, ont combiné étude de la Torah à un travail honnête. Il se déclare favorable au soutien des meilleurs et des plus brillants élèves dans des études à temps plein – « sinon, nous compromettons notre capacité à créer les futurs chercheurs, les justes, les rabbins. » Mais en utilisant une métaphore militaire, il ajoute que, « tout comme dans l’armée, tout le monde ne peut pas être dans les commandos d’élite ou les parachutistes, il en est de même pour l’étude de la Torah : une partie doit se consacrer à la seule étude, une partie doit étudier et travailler, et une partie ne fera que travailler. Il n’y a rien d’illégitime à cela. »

Tout le peuple d’Israël n’est pas Lévite

A la racine de la pensée halakhiquement non conformiste d’Amsalem, sans doute le simple fait de son sionisme. Il considère le rétablissement de l’Etat juif souverain comme un don divin. Et selon lui, les bénéficiaires ont donc l’obligation de participer au développement de l’Etat. Ne pas le faire constituerait alors une offense à la volonté divine.

« Je me définis comme un Juif, un craignant Dieu », déclare Amsalem. « Je suis aussi quelqu’un qui considère la renaissance de l’Etat d’Israël comme l’un des plus grands et des plus évidents miracles que le Saint béni soit-Il a accompli pour nous. C’est notre Etat. Nous devons y contribuer. Et la contribution doit s’exprimer dans toutes sortes de domaines. Cela peut-être par le service militaire, le service civil, le service national. » Ironiquement, Amsalem n’a pas servi dans l’armée lui-même. Sur un ton d’excuse, il explique avoir « demandé à plusieurs reprises » en tant que rabbin communautaire, à être enrôlé, mais s’est vu répondre « nous n’avons pas besoin de vous maintenant. » Certains de ses huit enfants, diplômés de yeshiva, ont servi, cependant. « La plupart des députés Shas ont fait leur service, mais leurs enfants non », pointe-t-il. « Pour moi, c’était l’inverse. »

« C’est notre Etat », répète-t-il, avec une douce simplicité. « C’est l’Etat du peuple juif. Il nous a été promis après 2 000 ans d’exil. Et nous devons faire notre part pour l’Etat. Cela ne contredit pas mon affirmation selon laquelle un étudiant de yeshiva qui étudie la Torah, qui étudie vraiment, peut être considéré de la même manière que l’étaient les membres de la tribu des Lévites, qui ont consacré leur vie à la seule étude des textes. » Il s’interrompt avant d’enfoncer le clou. « Mais tout le peuple d’Israël n’est pas Lévite. »

Quand le bateau Shas prend l’eau…

Prenant ostensiblement garde de ne pas attiser davantage les amères frictions, Amsalem affirme que ses opinions ne sont généralement pas en contradiction avec celles de Yossef – une affirmation qui, à ne pas manquer, ne fera qu’exaspérer davantage ses détracteurs du Shas.
Ses livres sur la conversion, précise-t-il, sont en fait basés en bonne partie sur la pensée de Yossef. « Comment est-ce que je le sais ? », demande-t-il pour la forme. « A partir de ce qu’il a écrit et des protocoles de son travail. Il a été Grand rabbin pendant une décennie à partir de 1973″>Article original. Harav Ovadia n’était pas un directeur de yeshiva qui donnait une leçon hebdomadaire que vous pouviez comprendre, ou pas. Il y a un protocole : Qui il a converti, comment il a converti. Il est venu à la Knesset. Il a expliqué sa position. »

Quant à l’obligation de travailler, il demande, agacé : « Est-ce que j’ai besoin de consulter quelqu’un à ce sujet ?! » Il cite des Psaumes, invoque Maimonide, nomme un flux de références mishnaïques, avant de conclure : « Pas besoin de connaissance particulière pour savoir cela ! Ce sont des questions simples. Chaque rabbin le sait. » Et il remonte à Moïse pour étayer sa demande – que les fidèles contribuent au bien-être d’Israël. « Moïse, notre rabbin, a critiqué ces tribus qui ne voulaient pas entrer en Terre d’Israël et prendre part à la conquête », les réprimandant de vouloir « rester là » quand leurs frères partaient à la guerre, rappelle Amsalem.

Est-ce que rien de tout cela ne résonne aux oreilles de Shas, je demande ? Le parti ne voit-il pas les difficultés que les membres dévoués de son électorat éprouvent, parce qu’ils font ce que leurs dirigeants politiques et spirituels attendent d’eux ? « Je peux seulement dire que cette communauté, en raison de son respect pour le Rav Ovadia, apporte son soutien à Shas, répond-il. « Et en retour, ses enfants et petits-enfants sont entrés dans un cadre impossible. »

« Une enquête sur le Chaîne 10 le mois dernier a montré que 40 % des électeurs du Shas s’identifient pleinement avec mon point de vue », poursuit-il. « Je n’ai besoin de rien de plus. Que suis-je censé faire ? Me taire ? Je ne peux pas rester silencieux. J’entends le cri de la base. Les gens se lamentent : « Nous ne pouvons pas gérer. Nous voulons être en mesure de gagner notre vie. »

« N’oubliez pas que, parmi le public haredi, aujourd’hui, vous avez 40 000 jeunes hommes qui sont connus pour avoir décroché – ils ne sont pas dans une yeshiva, ils ne sont pas à l’armée, ils ne sont pas dans le système éducatif. Je ne sais pas combien d’autres censés être en yeshiva ont abandonné. Que faut-il encore attendre ? Le bateau prend l’eau. Le commandant de bord doit le réparer. Sinon, le bateau va couler. Il ne peut pas l’ignorer. Il doit descendre dans le ventre du bateau… » Et qui est le capitaine ? « Je ne sais pas. Mais je vois le trou et je suis en train de le colmater. »

Ovadia Yossef, un sioniste

Je me permets cette question : Pourquoi donc un érudit hors pair tel que Yossef permet au mouvement qu’il supervise de biaiser l’authentique tradition juive. « Vous avez mis le doigt sur l’une des questions les plus douloureuses », reconnaît Amsalem. Plutôt que de répondre directement, cependant, il note d’abord que « le grand public considère Harav Ovadia comme un sioniste. Harav Ovadia a servi l’Etat sioniste d’Israël, en tant que Grand Rabbin. Il a célébré le Jour de l’Indépendance. Oui, il a célébré le Jour de l’Indépendance ! Et celui qui dit le contraire réécrit l’histoire. Il prenait plaisir à participer aux célébrations de l’Etat d’Israël. Et il a consigné des décisions halakhiques qui, peut-être, reflètent même une vision du monde sioniste. »

Alors pourquoi, est-ce que cet ancien Grand Rabbin, sioniste patenté et inspirateur politique, laisse ses ostensibles partisans déformer sa vision du monde ? La réponse, qu’Amsalem veut donner l’impression de réprimer, c’est que le sage Séfarade, qui vient d’avoir 90 ans en septembre, est manipulé par des gens sans scrupule dans son entourage. Amsalem soupire. « Harav Ovadia est un homme de Torah, tout son univers est immergé dans la Torah. Rien que la Torah. En ce qui concerne l’actualité »>Article original, il est soutenu par d’étroits canaux d’information. Il ne consulte pas Internet. Il ne lit pas les journaux quotidiens. Il n’a pas le temps d’écouter la radio. Peut-être qu’il écoute un flash de deux minutes à 12h ou 14h. C’est son entourage qui vient lui parler pour l’informer. »

“Le peuple juif doit être un exemple, pour lui-même, de tolérance, d’acceptation de l’autre, de non-persécution des autres pour leurs croyances.”

Le fait est que certaines personnes – comme, par exemple, Amsalem lui-même – ne sont pas autorisées à entrer pour s’adresser au Rav, et par conséquent, le rabbin ne peut pas avoir une image complète de la situation. Il soupire à nouveau. « Sur les conversions, Shas se voit dicter sa conduite par les Lituaniens. C’est une tragédie. Ce serait plus simple si Harav Ovadia recevait également des informations des autres… J’ai écrit de nombreuses lettres au Rav sur cette question. Je ne sais pas s’il les a jamais reçues. Je suppose que non… J’ai essayé plusieurs fois de venir le voir et lui parler. »
Et alors ?

« Cela n’a rien donné. Mais laissons cette question. Je ne veux pas m’étendre. »
J’insiste sur le fait que c’est important.
« Très bien, laissez-moi vous donner un exemple », propose-t-il, avec une faible résistance. « A quelques reprises, j’ai été convoqué par Yossef »>Article original, pour une conversation off. Une de ces rencontres avait trait à la législation qui veut qu’un homme ne soit pas poursuivi s’il a tiré sur un cambrioleur en état de légitime défense. Cette loi a ses origines dans une phrase de la Torah. Certains de Shas ont voulu s’opposer à cette loi. Peu importe pourquoi. Mais je leur ai dit : « Désolé, Messieurs, en tant qu’homme de Torah, qu’homme de Halakha, je vous dis que cette loi est correcte. » Et j’ai écrit une explication halakhique. C’est alors que j’ai été convoqué par Harav Ovadia. Je ne sais pas ce qu’ils lui avaient dit à propos de mon point de vue »>Article original. Mais quand je suis venu et lui ai expliqué, il a déclaré à ses assistants »>Article original, « Il a raison. Vous devez l’écouter. Il comprend les questions de Halakha. »

Ce genre de dénouement s’est produit plus d’une fois, note Amsalem. « Et après cela, je n’ai plus eu l’occasion de venir voir le rabbin pour lui exposer certains sujets »>Article original. »

Une alliance Amsalem/Arieh Deri ?

Amsalem déclare faire toujours partie du Shas. Plus étonnant, il déclare même se considérer encore comme « un homme de Shas » – même si, il esquisse un rare sourire, le parti « se comporte de façon plutôt indélicate sur la question » de son mandat.

Il n’a aucune intention de quitter la Knesset, comme le lui ont demandé les sages du parti. « J’ai toujours dit, s’il vous plaît, laissez-moi le temps nécessaire avec Harav Ovadia. Un procès équitable suppose que vous accordiez à un homme une audience. Je suis absolument fidèle à sa voie. Je suis fidèle à la Halakha. Et tout ce qu’ils utilisent pour me salir, c’est juste de la politique au rabais. » Alors, est-ce que ce sont les autres politiciens du Shas qui ont abandonné la voie de Yossef ? « J’irais plus loin », annonce Amsalem. « Ils n’ont pas abandonné sa voie. Ils ne le savent pas. Je le sais parce que j’ai marché dans les pas du Rav depuis ces 60 dernières années. Les livres qu’il a publiés à l’âge de 24 ans. Ses écrits tout au long de ses années. Tout est fascinant pour moi. »

Et pourtant, ceux qui entourent Yossef affirment que c’est Amsalem qui s’est égaré, et que le vénéré sage lui-même donne tous les signes de les croire. « C’est comme un ordinateur », rétorque Amsalem. « Vous obtenez un résultat en fonction des données que vous introduisez. » Il reconnaît, dans un large sourire, qu’il y a peu de chances pour que Shas le sélectionne sur sa prochaine liste électorale. « Je ne le pense pas », dit-il, d’un air extrêmement paisible. Il pourrait raisonnablement s’attendre à trouver un nouveau foyer au sein de l’Union nationale/Habayit Hayehoudi, et signale que plusieurs partis lui ont fait des appels du pied.

« Il est temps de penser », pointe-t-il calmement. « Je ne ferme aucune porte. Si je peux trouver une plate-forme pour faire avancer mes idées, je l’utiliserai. Je pense, et d’autres aussi, que vous me verrez encore dans les rangs de la prochaine Knesset. Et peut-être encore plus actif qu’aujourd’hui. » Pourrait-il unir ses forces avec l’irrépressible ancien leader politique de Shas, Arieh Deri, qui prépare actuellement son come-back après avoir purgé une peine de prison pour corruption ? Les deux pourraient faire une bonne paire – deux penseurs séfarades indépendants, deux critiques acerbes de Yishaï.

La cour du Rav ou les palais des dictateurs

Dans un premier temps, Amsalem semble répondre par la positive : « Arieh Deri a prouvé qu’il était un homme de talent qui peut faire avancer les choses. Et tous ceux qui partagent ma ligne idéologique, qui veulent mettre un terme à cette approche lituanienne séfarade, peuvent être mes partenaires. Celui qui dit clairement que nous devons apporter notre contribution à la société, qui affirme ‘Nous aimons la terre d’Israël’, qui se revendique sioniste, qui vient avec des solutions halakhiques et des solutions halakhiques acceptables peut être mon partenaire ».

Mais il ajoute alors, d’une voix timide, où, contre toute attente, ne pointe pas la moindre note de controverse, même quand le contenu est cinglant : « Je vous rappellerai aussi que les réalisations accomplies à ce jour, nous les devons à Arieh Deri. C’est pourquoi le Shas est ce qu’il est aujourd’hui. Quelque chose avec lequel je ne suis pas d’accord. » Peut-être qu’une alliance Amsalem-Deri n’est pas si probable, après tout.

Je remarque que les allées et venues dans la cour du Rav Yossef, selon ses dires, ressemblent de façon inquiétante à celles que l’on peut voir dans les palais de divers dictateurs – où les conseillers malveillants régulent l’afflux d’informations pour que le maître ne puisse entendre que ce qu’ils veulent lui faire entendre. « J’en ai suffisamment dit sur le sujet », répond Amsalem. Mais n’est-ce pas là le cœur du problème, demandai-je encore, rappelant que diverses sources de Kadima ont parfois prétendu que Tzipi Livni avait été empêchée de former une coalition avec le Shas, avant les élections de 2009, parce que l’entourage de Yossef avait mal présenté au rabbin certaines de ses positions sur le processus de paix avec les Palestiniens ?

N’est-ce pas ce qu’affirme Amsalem quand il dit que le chef d’un parti qui représente des centaines de milliers d’Israéliens, et qui détient l’équilibre du pouvoir au Parlement, reçoit une information biaisée et partielle de la part de ses prétendus partisans ? N’est-ce pas ce qu’il fait valoir quand il déclare que si Yossef avait une image plus complète de la situation, il voudrait que les choses se déroulent autrement ? Et si tel est le cas, est-ce que cela n’implique pas des conséquences désastreuses pour le pays tout entier ?

Amsalem fait une pause, envisage une réponse, puis réfléchit à nouveau. « C’est à vous de le dire », finira-t-il par déclarer. Enfin, je demande à Amsalem, si des menaces sont dirigées contre lui pour son ostensible hérésie. Il prétend ne pas être intimidé, mais fulmine à la comparaison avec Amalek. « Les rabbins séfarades, à travers les générations, ont été tolérants, modérés, c’est comme cela qu’ils ont pu atteindre les gens », note-t-il. « Salir un rabbin ? L’appeler Amalek ? », s’emporte-t-il, secouant la tête. Est-ce qu’une certaine approche ashkénaze de l’extrême a pu influencer les Séfarades ? « J’ai grandi avec les Ashkénazes », répond-il. « La plupart des membres de la communauté hassidique travaillent pour gagner leur vie. Pratiquement tous les membres de cette communauté qui vivent à l’étranger travaillent. L’accent mis sur l’étude à temps plein et l’approche halakhique rigide »>Article original est une vision du monde lituanien. Je ne sais pas comment elle a été créée, mais elle est militante et cruelle. »

Est-ce que c’est mauvais pour Israël ? « C’est mauvais pour le peuple juif, oui », affirme Amsalem. Et le rabbin-politicien qui veut sauver l’Etat hébreu du fondamentalisme religieux délivre alors un mini-sermon d’adieu : « Le peuple juif doit être un exemple, pour lui-même, de tolérance, d’acceptation de l’autre, de non-persécution des autres pour leurs croyances », explique-t-il. « Nous ne voulons pas vivre sous des régimes sombres. Nous sommes venus ici pour forger une autre société, meilleure. Nous incarnons le rassemblement des exilés – les Anglo-Saxons, les Français, les Turcs, les Roumains, les Marocains et les Irakiens – et nous voulons que tout cela forme un mélange homogène.
« Chaque groupe a ses propres coutumes. Certaines sont très belles, d’autres que j’aime moins, mais je dois apprendre à les comprendre. Je veux que vous me respectiez et je veux vous respecter. Je tiens à vous connaître et je veux que vous me connaissez. Je ne veux pas vous imposer mon point de vue, et je ne veux pas que vous m’imposiez le vôtre.

« Et si en matière de conversion », déclare-t-il, lentement et délibérément, comme s’il s’adressait à son invisible Némésis lituanien, « je veux faire comme mes rabbins du Maroc, ne venez pas à moi avec vos rabbins de je-ne-sais-où pour me dire que « seuls eux savent ce qui est juste. »
« Vous n’avez pas le monopole », déclare-t-il, bouillonnant cette fois. « Etes-vous en train d’essayer de monopoliser la Torah ? Eh bien, il n’y a pas de monopole de la Torah. La Torah est donnée aux sages pour des interprétations halakhiques. C’est mon travail de faire cela. »

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sylvie wizman

Plutot visionnaire, sa philosophie est convaincante et certes en accord avec la Torah mais de quels moyens dispose-t-il pour mettre en oeuvre tout ce qu’il preche. Il va falloir qu il adresse les bons mots aux familles orthodoxes afin de les sortir de leurs maux.
C’est une insulte pour les kollel men de penser a travailler ou d’envoyer leurs enfants etudier autre chose que notre Torah. Ils handicapent leurs enfants et leur avenir. Bravo Mr Amsellem.Vehatzlaha!