Non la laïcité n’est pas une religion. Hagay Sobol

Un récent article rapportant une entorse supposée à la laïcité lors du brevet des collèges a provoqué de très vives réactions et a entraîné l’ouverture d’une enquête administrative. C’est l’occasion de s’interroger sur ce que doit être la laïcité au nom du vivre ensemble, produire des citoyens tous pareils ou au contraire considérer les différences comme une richesse.Attendons les conclusions de l’enquête.

Un article récemment publié sur Atlantico.fr, faisant référence à un autre mis en ligne par AgoraVox Article original ., a enflammé la blogosphère : « De jeunes juifs orthodoxes refusent des femmes comme surveillantes d’examen: et il n’y aurait pas de problème avec la laïcité en France » http://www.atlantico.fr/decryptage/surveillantes-examen-remplacees-hommes-pour-motif-religieux-ces-attaques-quotidiennes-contre-laicite-que-france-doit-regarder-en-781233.html.

Si les faits étaient avérés, il s’agirait là d’une grave entorse au principe de laïcité, sujet que semble bien connaitre l’auteur, Guylain Chevrier, qui est membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut Conseil à l’Intégration. De leur côté, le site JForum et le BNVCA (Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme) contestent la véracité des faits rapportés https://www.jforum.fr/forum/communaute/article/quand-le-site-atlantico-accredite . Aussi, une enquête de l’inspection académique a été ouverte. Laissons donc cette enquête se dérouler sereinement et une fois les conclusions rendues, jugeons de manière factuelle et non émotionnelle.

Laïcité, séparation de l’Eglise et de l’Etat, mais pas disparition des religions.
Suite au mouvement d’opinion qu’a généré cet « évènement supposé », il n’est pas inutile de rappeler que le principe de laïcité n’est en rien un absolu et qu’il peut recouvrir différentes réalités selon les époques ou les pays. En France, c’est au prix d’une âpre lutte, s’étalant sur plusieurs siècles, qu’il a pu s’instaurer une séparation de l’Eglise et de l’Etat, aboutissant à l’exclusion de la première de tout pouvoir politique et administratif et, en particulier du système éducatif (Principe posé par l’article 2 de la Constitution de 1958).

La laïcité a été depuis un moteur de progrès exceptionnel qui a favorisé l’éclosion des idées dans tous les domaines, en particulier dans celui des sciences, le blasphème n’étant plus reconnu comme un crime. Il n’est qu’à rappeler les limitations portées à la médecine, où les autopsies humaines étaient passibles de la peine de mort, ou du procès de Galilée condamné par l’inquisition pour avoir soutenu que la terre tournait sur elle-même et autour du soleil.

Pour autant, cette organisation séculière, s’opposant à la « religion d’Etat », garantit la neutralité de l’État à l’égard des confessions religieuses. Ces dernières n’étant pas exclues, mais limitées à la sphère privée. Ce principe s’est assoupli au cours du temps avec la possibilité, par exemple, d’un enseignement confessionnel avec ou sans contrat avec l’Etat, et a dû tenir compte du principe de réalité avec le concordat, comme de l’histoire, le calendrier commun étant d’origine chrétienne, Noël et bien d’autres fêtes n’ont pas disparu.

Laïcité : des citoyens tous pareils ?

Il existe différentes conceptions de la laïcité. Ainsi, pour certains, le but premier est de former des individus tous identiques quelle que soit leur origine, afin que les différences ne soient pas un obstacle au collectif. Ou, comme le dit Guylain Chevrier « de porter au-dessus de nos différences le bien commun, l’intérêt général ». Ce qui implique que l’« on ne devrait accepter aucune dérogation à ce principe » pour se protéger contre les remises en cause, telles que celles rapportées dans son article. C’est ce positionnement, à l’époque de l’empire colonial, qui imposait jusqu’à l’absurde durant les cours d’histoire « nos ancêtre les Gaulois » dans les colonies comme en Métropole. Et de se poser la question si ce formatage transformait réellement tous ceux qui en étaient l’objet en citoyens égaux en droit ?

Pour d’autres, l’objectif est de réaliser un juste équilibre entre le partage de valeurs communes et le respect de spécificités, sans pour autant aller jusqu’au communautarisme. Un système où l’on considère que les différences sont une richesse et non un obstacle au projet commun. Au-delà des clichés et dans une certaine mesure, c’est ce que nous vivons à Marseille. La cité Phocéenne, ville portuaire ouverte sur la Méditerranée a accueilli depuis 2.600 ans des populations venant de tous les horizons emportant avec elles leur culture pour la fondre dans un patrimoine commun. L’expérience nous apprend que l’appropriation de valeurs communes se fait, d’abord, par la proximité et non pas à travers des concepts abstraits. C’est ainsi qu’il existe, pour les populations migrantes, plusieurs phases d’intégration, où l’éducation y joue un rôle primordial d’émancipation, mais sans pour autant qu’il soit besoin de renier ses origines.

Quant aux Juifs, leur présence en France est attestée depuis l’époque gauloise… Leur histoire s’est rythmée entre expulsions et retours avec l’obligation de vivre dans des quartiers réservés. La démocratie et la laïcité ont permis qu’ils deviennent des citoyens à part entière, hormis durant la 2ème guerre mondiale. Il leur a été possible de s’inscrire dans un destin commun et partagé et de contribuer à l’histoire de la France en tant qu’une de ses composantes. Mais, aujourd’hui, s’est rajouté à l’antisémitisme traditionnel, l’antisionisme qui sert souvent de prétexte aux extrémistes pour attaquer les valeurs de la République. On l’a vu avec la difficulté de faire appliquer la minute de silence après les massacres de Toulouse et Montauban, ou, tout simplement, l’impossibilité qu’il y a dans certaines écoles d’enseigner la Shoah. C’est l’insécurité qui favorise le repli identitaire, que d’aucun appelle communautarisme.

Le danger ce n’est pas la différence mais l’extrémisme et l’amalgame

En vérité, c’est l’incapacité des pouvoirs publics et d’une certaine intelligentsia de se confronter à l’extrémisme qui a abouti à cette volonté de supprimer tous les signes religieux dit ostentatoires et comparer la Kippa au voile. Pendant des années il y a eu des aménagements qui n’ont généré aucuns troubles et qui, au contraire, ont aidé au mieux vivre ensemble. Les problèmes sont apparus avec l’islamisme, c’est-à-dire l’islam comme force politique. Au lieu de lutter contre l’intrusion du religieux dans la sphère publique et à son instrumentalisation, on a fait l’amalgame d’une minorité, les islamistes, avec toute une composante de la population, les musulmans, et pour faire bonne mesure on y a adjoint la Kippa. Agir ainsi, c’est faire reculer la laïcité et la République.

La laïcité n’est ni une religion ni une idéologie

Devant ces tensions, la tendance est forte d’imposer la laïcité comme on le ferait d’une religion, avec dogmatisme et une rigueur inflexible, et pour reprendre les mots de Guylain Chevrier « on ne devrait accepter aucune dérogation à ce principe » ou encore « C’est laisser mettre entre nous ces différences pour nous séparer, interdire tout mélange ». La réalité est cependant plus complexe et l’on ne peut faire l’économie de comprendre comment les choses sont advenues, sous peine d’échec. Des grands principes ont été érigés pour lutter contre l’absolutisme et progressivement, à l’épreuve du vécu et dans la concertation, s’est constitué un pacte républicain qui a pris en compte certaines spécificités afin de permettre à chacun de vivre pleinement tout en respectant l’autre. Y renoncer à cause d’une minorité d’activistes, c’est régresser et jeter aux orties des siècles d’histoire et d’évolution du mieux vivre ensemble.

Notre société ne ressemble plus à ce qu’elle fût hier. La réalité d’aujourd’hui est l’existence d’une grande diversité au sein de la nation. Ainsi, l’enjeu majeur n’est pas le reformatage au nom d’une vision idéologique de la laïcité, la négation des différences ou encore la stigmatisation de certains groupes à travers un fait divers, dont l’enquête en cours démontera ou non la véracité. Le vrai défi est de conserver à l’ensemble de cette société plurielle qui est la nôtre, un tout cohérent sans pour autant nier les identités qui la composent.


Hagay Sobol

TAGS: Atlantico Antisémitisme Antisionisme laïcité Gagny France

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hagaysobol

@G.belaisch Merci pour votre aimable commenataire.

En effet, je n’ai pas dû être très clair puisque vous n’avez pas compris que le site Atlantico avait pris une certaine distance avec la position de Guylain Chervier. Et le titre de leur article est explicite, si vous prenez le soin de le lire, « … pourquoi ça ne s’est pas passé comme on l’a dit ».

Donc il n’existe aucune preuve qui corrobore la présentation initiale et donc, il n’y a pas lieu pour le moment de hurler avec « le loup » qui fait le buzz à bon compte.

Une enquête a été diligentée, nous verrons bien les conclusions. Mais pour l’heure, il est inutile d’en rajouter, car ces enfants (même s’ils fréquentent un collège religieux) ont dû être traumatisés par les attaques violentes et injustifiées dont il ont fait l’objet.

Mais c’est le propre des rumeurs, une fois lancées, il est difficile d’y échapper.

J’espère avoir été moins « bavard » cette fois-ci !

G.belaisch

M. Sobol est tellement bavard qu’il est difficile de comprendre ce qu’il dit. Ceci étant je trouve absolument scandaleux qu’un étudiant, même de yeshiva, refuse d’être surveillé par une femme. Pareillement trouverait-t-il normal que dans cette école de la République Française il n’y ait aucun enseignant féminin ? Si oui, il serait temps que cette religion évolue

hagaysobol

@MarcBRZ Merci pour votre commentaire. Mon intention était de rester factuel à la fois par rapport à l’émotion légitime que peut induire de tels propos et par rapport à Atlantico.fr que je connais pour collaborer régulièrement avec ce site. La rédaction est d’ailleurs revenue sur ces évènements et a pris du recul par rapport aux propos de Guylain Chevrier [http://www.atlantico.fr/decryptage/polemique-jeunes-juifs-orthodoxes-qui-auraient-refuse-femmes-comme-surveillantes-epreuves-brevet-en-seine-saint-denis-pourquoi-n-788706.html]. Quand on lit avec attention l’article de ce dernier, on a comme l’impression qu’il avait une argumentation toute prête (égalité femme-homme) qui n’attendait pour se déployer qu’un évènement. Est-ce la raison pour laquelle il s’est saisi du texte d’AgoraVox ? Ensuite, il semble être en désaccord avec Jean-Louis Bianco sur sa façon de concevoir la laïcité au sein du nouvel Observatoire National de la laïcité. Sa chronique apparaît comme un moyen de lui rappeler sa propre position.

Il est scandaleux que les « bons sentiments » de Guylain Chevrier soient dans le même temps un prétexte pour attaquer, juger et condamner des enfants innocents, car jusqu’à preuve du contraire ces enfants sont présumés innocents ! Une enquête administrative est en cours.

Guylain Chevrier au nom d’une « noble cause » rejoint le groupe des « chevaliers blancs autoproclamés » comme Sophie Goy-Chavent, Sénatrice UDI qui vient de présenter un rapport sur la mission d’information ayant trait à la « filière viande » [http://www.senat.fr/rapports-senateur/goy_chavent_sylvie08056b.html] qui stigmatise les communautés musulmanes et juives en imposant l’affichage du mode d’abattage.
Avec ces poncifs, Guylain Chevrier se retrouve également au sein du même peloton que ceux « qui n’hésitent pas à utiliser, pour exister, des procédés que leur bonne conscience devrait moralement condamner » comme Xavier Bongibault qui a « dérapé » en comparant les recherches sur l’embryon avec la rafle du Vel d’Hiv [http://www.tribunejuive.info/france/recherche-sur-lembryon-et-rafle-du-vel-dhiv], ou encore Gilles Bourdouleix, député-maire de Cholet, vice-président et membre fondateur de l’UDI, qui a dit en parlant des gens du voyages que « Hitler n’en a peut-être pas tué assez ».
Il est à peu près certain que jamais on n’aurait parlés de ces personnes et/ou de leur travail s’ils n’avaient pas dépassé les limites de l’acceptable et fait le buzz au détriment des autres.

Ces mêmes individus vont-ils réagir avec le même engagement et la même fermeté aux évènements de Trappes, au comportement inadmissible des extrémistes, des islamistes ou réaliser un amalgame bien pratique pour éviter de prendre à bras le corps le problème ?

Notre société est aujourd’hui au centre de conflits contradictoires qui remettent en cause les valeurs et la stabilité de la République. Nous assistons à une cascade d’évènements très préoccupants qui si rien n’est fait par les pouvoirs publics, les leaders d’opinion et nous-mêmes en tant que citoyens risquent de porter atteinte de manière durable au vivre ensemble.

mimile

Bien sûr, suivant la définition moderne de celle-ci, elle n’est pas une religion, car elle refuse le schéma du D.ieu créateur et remets le pouvoir uniquement à l’homme, issu d’une évolution, macération, naturelle dont celui-ci serait l’aboutissement. Monde où la morale serait scientifico-chimique.
Mais cette espèce de désinformation construite par la laicité a une origine bien ancienne. elle commence par la construction, autour de l’histoire d’un homme, dont il n’est pas sur qu’il ait existé* tel que les écrits chrétiens le dépeignent, puis de sa montée en puissance pour être présenté comme l’équivalent de D.ieu, mis au point après les doutes d’Arius (4e siècle).
Si la laicité remets le pouvoir temporel à l’homme, c’est donc toute l’histoire de la chrétienté, donnant la religion chrétienne. Compris de cette façon, alors oui, la laicité est une religion.
*a lire absolument : Un certain juif Jésus, de John P. Meier, aux Ed. du cerf, en quatre tomes.

MarcBRZ

Je trouve l’intervention de Hagaï Sobol tout-à-fait mesurée. Elle permet de dépasser le trouble suscité par ces « vraies-fausses » révélations sur le soi-disant comportement « stigmatisable » de ces jeunes Juifs, selon la version de Chevrier sur Atlantico et Chalot sur AgoraVox. Il y manquerait, néanmoins, une évaluation de la puissance des syndicats pouvant promouvoir ce genre de vision caricaturale de la « laïcité » et sur leurs pratiques, en matière de « terrorisme intellectuel », comme cela semblerait bien être le cas, ici, en s’aliénant deux médias, dont l’un au moins, est assez en vue.

Il manque encore une explication sur le pourquoi cette rédaction prisée a foncé tête baissée sur un tel sujet, alors que les suspicions quant à sa véracité étaient patentes, avant même cette publication, longtemps deuxième du Top Ten des sujets traités cette semaine-là, sur ce site. Le fait même que cela « faisait vendre » aurait dû attirer l’attention sur la focalisation que réussissait à susciter l’article de Chevrier, et ses éventuelles approximations et conséquences.

Il a, donc, fallu des interventions extérieures pour remettre un tant soit peu d’ordre dans le monde merveilleux de la rumeur, sans que, jusque-là, nul ne s’en inquiète. C’est quand même affligeant de le constater, quant à l’état d’esrit général des rédactions et de leurs lectorats bouche bée et prêts à avaler n’importe quoi… Signe des temps? Massification moutonnière des collectifs scolaires, qui se comportent, à l’âge adulte, de la même façon, obéissante>servile, et sans esprit critique, face à un article de cyberpresse?

On peut, certes, et on doit, attendre les conclusions de l’enquête. Mais, il ne faudrait pas se leurrer sur un ensemble de facteurs qui favorisent une telle focalisation/stigmatisation, dont ce fait divers ne serait qu’une illustration, vite oubliée, lorsqu’on enterrera l’affaire…