Le débat politique est trop pollué par cette indécente désinvolture avec le passé.

Il y a des mots chargés de drames ou de sacrifices avec lesquels on n’a pas le droit de jouer.Beaucoup de commentaires se sont dit déçus de l’intervention de François Hollande, hier, pour la commémoration du 70ème anniversaire de la réunion du Conseil de la Résistance.

Comme le dit L’Humanité, ce fut un « service minimum », guère à la mesure de cet évènement qui symbolise l’unité de la Résistance française auquel était difficilement parvenu Jean Moulin en rassemblant les principaux mouvements, partis et syndicats clandestins derrière le Général De Gaulle alors que celui-ci faisait face à l’hostilité des Alliés qui lui préférait le Général Giraud et ses ambigüités vis-à-vis de Vichy.

Ce 27 mai 1943 fut donc une date essentielle pour l’avenir car cette unification politique de la Résistance de la droite aux communistes autour du gaullisme de guerre, assurera une place pour la France aux côtés des vainqueurs et permettra au pays d’éviter le schéma confus et violent des Libérations grecque ou yougoslave.

Pour cette journée, le président de la République s’est contenté d’un déjeuner avec quelques résistants – dont Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin – et d’une visite en leur compagnie au Lycée Buffon dont cinq lycéens résistants furent fusillés par les nazis.

Pour des raisons inexpliquées, la cérémonie envisagée au 48 rue du Four, à Saint-Germain-des-Prés où eut lieu la réunion du Conseil de la Résistance a été annulée.

Et ce sont surtout des préoccupations du présent qui ont émaillées le discours de François Hollande.

« Ce qui a été possible (reconstruire le pays, redresser la France) doit encore être possible », a-t-il précisé en notant que ces chefs résistants réunis Rue du Four éprouvaient « ce sentiment que demain peut-être meilleur qu’aujourd’hui ».

Mais ses propos les plus saillants ont été adressés à certains manifestants du « Printemps français » contre le mariage gay et l’homoparentalité qui appelaient à la « Résistance » contre la loi votée et dénonçaient la « dictature » de François Hollande.

« La Résistance, a martelé le Président, c’était par rapport au nazisme, à l’Occupation.

La Collaboration, c’était des Français qui étaient avec l’Occupant.

Et le fascisme, le nazisme, la dictature, c’est une époque qui heureusement est révolue.

Donc nul n’a le droit d’utiliser ces mots pour défendre des idées – si on peut appeler çà des idées – d’aujourd’hui ! »


François Hollande lors de la commémoration du 70ème anniversaire de la réunion du Conseil de la Résistance – WITT/SIPA

Cette mise au point présidentielle est opportune et bienvenue.

Il y a des mots du passé sacrés, chargés de honte ou de gloire, de drames ou de sacrifices, qui ne nous appartiennent pas et avec lesquels l’on n’a pas le droit de jouer.

Le débat politique est trop pollué par cette indécente désinvolture avec le passé que l’on peut qualifier de vichymania.

La moindre polémique, même dérisoire finit invariablement sur l’échelle Londres-Vichy, Pétain-De Gaulle, Résistants-collabos.

François Hollande a d’autant plus de mérite et de hauteur de vue à attirer l’attention sur cette dérive qu’elle est autant sinon plus pratiquée à gauche qu’à droite.

Quelques exemples ?

Il y a malheureusement l’embarras du choix.

A droite ?

Xavier Bertrand qui traite Médiapart de « presse fasciste » et Jean-François Copé, embarrassé par sa mise en cause en 2010 par Martin Hirsch à propos de son cumul de chef parlementaire de la majorité et de membre à temps partiel d’un grand cabinet d’affaires, qui s’indigne d’être victime de « délation » en expliquant que « pendant la guerre, son père a été sauvé par des Justes».

Pour lui, poser la très légitime question des conflits d’intérêts, c’était donc la même chose que de dénoncer des Juifs sous l’Occupation !

A gauche, l’on se souvient de Pierre Moscovi parlant d’un sarkozysme
« très pourri, très Vichy ».

Et, de manière plus lointaine, des cadres du Parti socialiste accueillant le juge Van Ruymbeke venu perquisitionner le siège de leur parti dans le cadre de l’affaire de financement politique Urba-Gracco en s’écriant :
« Revoilà les Sections Spéciales! ».

Il y eut aussi Bernard Tapie, se disant « persécuté » par les magistrats dans l’affaire OM-Valenciennes, qui avait osé déclarer : « On fait comme pendant la guerre pour la rafle des Juifs.

On disait : il y a ceux qui donnent et ceux qui partiront.

Et on faisait le troc.

Tu veux sauver ta famille? Tu m’en donnes dix… C’est ce qu’on veut faire à Eydelie (joueur de l’OM) ».

Et l’on se rappelle aussi les manifestants contre les lois Pasqua sur l’immigration défilant à la Gare de l’Est en tenue rayée de déporté avec une valise et un baluchon sous des pancartes assimilant le ministre de l’Intérieur Jean-Louis Debré à Pétain.

A l’époque, ces inepties qui provenaient pour l’essentiel d’une génération qui avait défilé en criant « CRS = SS » et qui voyait en de Gaulle un « fasciste », avaient provoqué les mises au point de quelques acteurs conscients des enjeux véritables du devoir de mémoire.

Évoquant des « familles de déportés abasourdies » par ces « abus », Serge Klarsfeld, président de l’Association des fils et filles de déportés juifs de France, avait ainsi précisé que « manifester avec des valises » était grave, « car cela banalise ce qui s’est passé il y a plus de cinquante ans ».

Parce qu’au-delà de leur obscénité, ces raccourcis ineptes risquent d’avoir des conséquences terribles à une époque où l’inculture historique progresse et où les réalités criminelles du XXème siècle sont de plus en plus difficiles à évoquer avec des jeunes générations perméables aux rumeurs les plus dingues.

Le propre de la désinvolture avec la vérité historique est d’ignorer le mal qu’elle entraîne et la plupart de ceux qui transforment l’Histoire en libre-service à la disposition de leur bonne conscience ne se doutent pas de l’effet de leurs métaphores.

Ils ne voient pas qu’en répétant que la France d’aujourd’hui est à l’image de celle d’hier, ils laissent entendre que, finalement, Vichy et le nazisme n’ont pas dû être si terribles que cela.

Non seulement ils méconnaissent l’une des exigences minimales du devoir de mémoire – le respect pour le destin des victimes, des morts et de tant de vies brisées -, mais encore ils banalisent dangereusement les événements de ces époques tragiques.

François Hollande a eu raison de le rappeler et c’est le meilleur hommage qu’il puisse rendre aux héros de ce passé.

Eric Conan/ Marianne
Article original

TAGS : Vichy Papon Bousquet Mitterand France Collaboration

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le-Libérateur

Oui, ces enjeux historiographiques sur Vichy et la Résistance sont au coeur de l’actualité brûlante. S’il est vrai que certaines assimilations abusives ( comme en mai 1968, le slogan gauchiste « CRS-SS » ) sont à la fois consternantes et irrespectueuses pour nos aîné-e-s, le fait de prétendre, comme le fait le président Hollande ( avec des préoccupations « défensives » face à des jeunes d’extrême droite radicalisés par l’adoption de la loi Taubira, mais également sur d’autres fronts non médiatisés, et même black-outés, mais en lien massif avec les années 1930 et 1940, avec le Goulag sibérien et, plus encore, la « bête immonde » hitlérienne et ses comparses de Vichy ), dans le droit fil d’une historiographie lénifiante ( Eric Conan et Henry Rousso, « Vichy, un passé qui ne passe pas », Fayard, 1994 : « Non pas se résigner, mais accepter que ce passé (…) est révolu. » ), que le fascisme, le nazisme et Vichy ne reviendront plus jamais, que ces horreurs sont désormais hors d’atteinte pour nous, car séparées de notre temps par 70 à 80 ans … alors qu’elles sont revenues sous notre nez en plein Paris, dès les premières années du décennat Sarkozy ( 2002-2012, ou plutôt 2013, car cette ère satanique n’est pas révolue avec l’actuelle Dyarchie Clandestine Sarkozy-Hollande ). Et ce qui sera reproché à Sarkozy dépasse largement la criminalité contre l’humanité, à caractère nazi, de son protégé le gourou séquestrateur, violeur et mafieux Lucien S., il a intimidé tout un peuple par des procédés psychocriminels totalitaires qui n’étaient pas encore opérationnels à l’époque d’Hitler. Sans compter l’espionnage électronique et le Big Brother généralisés : du Nixon et du Marcellin à la puissance 20 ! Et ce discours doit aussi beaucoup au concept forgé par Leo Strauss ( le père du néoconservatisme ) : la « reductio ad Hitlerum ». Mais que faire si revient un nouveau Führer, même revêtu d’une tenue théoriquement respectable ? Certains avaient crié « au loup » au sujet de Nasser, et depuis les démocraties sont laissées à leur tragique sort. A présent, les clignotants sont au rouge, y compris internationalement ( alliance discrète Assad-Khamenei-Lieberman-Poutine-Sarkozy contre les démocraties occidentales et Israël ). Dans le cas sarkozyen, il a deux fers au feu et joue double jeu entre l’OTAN et le Kremlin.

Bzcom

Et pourtant plusieurs articles sont assez marqués à gauche, ce qui n’est pas ma tasse de thé

TF

à Bzcom:

JForum n’est pas plus à gauche qu’à droite ….Bipolarisation dépassée.

Thierry de JForum.

Bzcom

Jforum est-il devenu un site de gauche ?