Le général Martin Dempsey risquait de passer pour un incorrigible optimiste sans son rattrapage in extremis.

« En juin, ils salueront le président nouvellement élu – un civil, ce qui constitue une première dans ce pays – avant de regagner leurs casernes », a-t-il prophétisé samedi après avoir rencontré les chefs militaires égyptiens.

Fort heureusement, après cette petite phrase, il s’est dépêché d’ajouter :
« Toutefois, je ne crois pas que ce sera facile. »À l’ordre du jour des entretiens que le chef d’état-major interarmes venait d’avoir au Caire : les poursuites engagées par le pouvoir contre 44 membres d’ONG, dont 19 Américains réfugiés depuis quelques jours dans les locaux de leur ambassade.

Au nombre des organisations visées : Freedom House, l’International Republican Institute, la National Democratic Institute ainsi que, sans doute pour faire bonne mesure, la fondation allemande Konrad Adenauer, toutes accusées d’« activités purement politiques, sans rapport avec la société civile ».

Là-dessus, la très officielle agence d’information MENA a jugé bon en ce début de semaine de ressortir les propos tenus en octobre par Fayza Aboul Naga, ministre de la Coopération internationale (une rescapée de l’ère Moubarak), accusant Washington d’avoir tenté d’orienter le soulèvement du 25 janvier 2011 dans un sens favorable à ses intérêts et à ceux d’Israël.

Le ressentiment anti-yankee n’est pas chose nouvelle sur les bords du Nil. Au plus fort de l’été, la revue October publiait un article consacré à la nouvelle ambassadrice des États-Unis, Anne Patterson, intitulé : « L’ambassadrice de l’enfer venue enflammer la place al-Tahrir », agrémenté d’un dessin de la diplomate allumant la mèche d’une bombe avec des dollars.

Motif de cette ire vengeresse : l’administration démocrate aurait généreusement octroyé quelque 40 millions de dollars à des mouvements civils pour les aider à promouvoir la démocratie et les droits de l’homme.

Depuis, la situation n’a fait qu’empirer, surtout lorsque le sénateur Patrick Leahy, président de la sous-commission chargée de superviser l’aide à l’étranger, a laissé entendre que le Congrès pourrait bloquer toute aide à l’Égypte.

« L’époque des chèques en blanc est révolue », a-t-il souligné, rejoint par une quarantaine d’élus qui ont demandé à Hillary Clinton et à Leon Panetta de relayer à qui de droit le message suivant : pas de règlement au plus tôt de la crise des ONG, pas de millions.

L’enjeu est d’importance.

Dans le budget fédéral de l’actuel exercice sont prévus 1,3 milliard de dollars ainsi qu’un soutien économique de 250 millions, alors que l’étiage menace les caisses de l’État et que l’armée vient de débourser l’équivalent d’un milliard de dollars pour permettre au gouvernement de faire face à ses obligations les plus urgentes.

Il est clair que les militaires cherchent à faire oublier l’étalage de muscles dont ils ont fait montre ces dernières semaines ainsi que les incidents sanglants qui émaillent la vie de tous les jours, l’exemple le plus dramatique des dérapages ayant été les 75 victimes d’un match de football à Port-Saïd.

Rien de mieux pour cela qu’une bonne petite crise avec l’Amérique qui fait la part belle à une rhétorique guerrière du plus bel effet sur le peuple – « Nous ne plierons pas, pour quelque raison que ce soit », vient d’affirmer le Premier ministre Kamal al-Ganzouri – mais sans risque véritable d’arrêt de l’indispensable manne.

Le Conseil suprême des forces armées (CSFA) est convaincu en effet qu’il a tout à gagner et rien à perdre dans ce faux bras de fer.

Rien à perdre car, pense-t-il, placé au pied du mur, Washington n’ira jamais jusqu’à fermer le robinet à dollars.

Spécieux, le raisonnement ne tient pas en période préélectorale qui voit Barack Obama harcelé par l’opposition républicaine sur les dépenses inconsidérées en temps de crise.

Tout à gagner parce que, selon diverses sources, le véritable adversaire n’est pas l’Amérique mais ces Frères musulmans, maîtres du Parlement issu des élections législatives et, par-delà, ces jeunes libéraux qui rêvent, malgré les dernières déconvenues, d’en découdre avec des généraux hérités des décennies passées et qui s’accrochent au pouvoir.

Avant-hier, l’armée a rendu hommage aux Égyptiens qui n’ont pas observé une journée de désobéissance civile pour le premier anniversaire de la chute du raïs.

Au pays des pharaons, cela s’appelle peut-être faire preuve de sens civique.

Curieuse conception de la démocratie.

Par Christian Merville
14/02/2012

http://www.lorientlejour.com/category/Moyen+Orient+et+Monde/article/744894/Faux_calculs_et_vraies_derives.html
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