Le défi nucléaire posé par l’Iran, le retrait d’Irak et la reconfiguration des troupes en Afghanistan auront des conséquences durables.

Début décembre, le Prince Turki al-Fayçal, ancien directeur du renseignement saoudien et ambassadeur aux Etats-Unis, a fait monter la pression d’un cran en émettant l’hypothèse que son pays pourrait se doter de l’arme atomique si, après Israël, l’Iran se dotait lui aussi de cette arme.

Un tel retournement de situation constituerait un sérieux revers politique pour l’administration Obama, qui tente de mettre en place un monde sans armes nucléaires. Le programme nucléaire iranien suivant son cours, faudra-t-il que les Etats-Unis ou l’Arabie saoudite se dotent de davantage d’armes nucléaires pour dissuader l’Iran d’utiliser les siennes quand il en disposera?

La dissuasion est subjective

L’annexe du dernier rapport produit par l’Agence internationale à l’énergie atomique sur l’Iran évoque la possible dimension militaire de ce programme et est des plus alarmantes. Les sanctions internationales et les opérations secrètes manifestes (comme le ver informatique Stuxnet, l’assassinat de scientifiques iraniens spécialistes du nucléaire et de mystérieuses explosions sur des sites militaires iraniens) ont ralenti mais pas arrêté les progrès de l’Iran.

En l’absence de sanctions persuasives, jusqu’ici absentes, les Etats-Unis et leurs partenaires dans la région doivent envisager l’hypothèse de la dissuasion nucléaire face à l’Iran. Un rapport récent de l’American Enterprise Institute (AEI) évoque le montant éventuel d’une telle politique de dissuasion, dont les auteurs affirment qu’elle serait bien plus coûteuse qu’on ne le pense généralement et qu’elle nécessiterait bien davantage de préparation que les Etats-Unis et ses partenaires ne l’ont jusque ici envisagé.

Une des difficultés est la nature par essence subjective de la dissuasion —qui nécessite de persuader ses adversaires de ne pas faire certaines choses, en les menaçant de représailles dont les responsables américains estiment qu’elles seraient pour lui intolérables. Mais ces calculs dépendent pour une large part d’estimations du rapport entre les coûts et les bénéfices, qui diffèrent d’une culture à une autre et qui contiennent donc une grande possibilité d’erreurs et de perceptions erronées. Par surcroît, l’Iran est pourvu d’une structure étatique diffuse.

Cet équilibre opaque, combiné à l’expertise iranienne dans le domaine des actions souterraines  et de la guerre irrégulière, permet à Téhéran d’entreprendre de nombreuses actions hostiles tout en évitant d’en endosser la responsabilité.

Regain de tension permanent

Le prince Turki semble suggérer que l’Arabie saoudite aurait besoin de disposer de son propre arsenal nucléaire pour éviter que ne pèse sur elle une menace comparable à celle des missiles balistiques de la période de la Guerre froide. Mais l’acquisition par l’Arabie saoudite d’un arsenal de dissuasion nucléaire n’irait pas sans provoquer une immense instabilité. Les temps de vol, très réduits, des missiles au sein de la région, combinés à des systèmes de contrôle et d’alerte toujours fragiles risqueraient bien de provoquer un regain de tension permanent dans les deux camps.

L’acquisition par l’Arabie saoudite d’armes nucléaires constituerait également un cinglant désaveu tant du prestige des Etats-Unis en tant qu’allié militaire que de la volonté manifestée par le président Barack Obama de voir les armes nucléaires jouer un rôle de plus en plus réduit.

Si, au nom de la stabilité, du prestige et de la non-prolifération, les Etats-Unis souhaitent dissuader l’Arabie saoudite de devenir une puissance nucléaire, il pourrait être nécessaire de déployer des troupes américaines dans la région et que l’Amérique garantisse sa sécurité. Le rapport de l’AEI remarque que les responsables ne se sont guère penchés sur ce qu’il pourrait en coûter aux Américains de renforcer leur potentiel de dissuasion dans la région afin de faire face à l’Iran.

L’alternative classique est peu crédible

Il s’agirait d’un nouveau coup porté à la vision exprimée en 2010 dans la Nuclear Posture Review (NPR) à propos de la possibilité, pour les Américains, de stationner des armées nucléaires sur le pourtour du Golfe persique, comme ils le firent en Europe et dans le Pacifique durant la Guerre froide. La NPR évoquait une «réponse militaire conventionnelle massive» comme une alternative à la dissuasion. Mais les réductions de crédits accordés aux forces conventionnelles américaines et les frictions culturelles précédemment provoquées par la présence de troupes américaines en Arabie saoudite réduisent grandement la crédibilité d’une telle alternative.

Le prince Turki et d’autres membres de la famille royale saoudienne pensent apparemment que des armes nucléaires seront nécessaires pour contrer les effets d’un arsenal nucléaire iranien futur. Les représentants américains ont d’excellentes raisons de ne pas vouloir qu’un arsenal nucléaire soit détenu par l’Arabie saoudite, ce qui signifie que les Etats-Unis devront y substituer leur propre parapluie nucléaire. Et c’est précisément ce que la Maison-Blanche souhaitait éviter.

Reconfiguration des forces américaines

Le jeudi 15 décembre, le ministre de la défense Leon Panetta a présidé une cérémonie aussi discrète que brève sur l’aéroport de Bagdad qui mettait officiellement un terme à la guerre d’Irak. Panetta a présidé cette cérémonie surprise deux semaines avant la date officielle du 31 décembre afin de couper l’herbe sous le pied des insurgés et de permettre aux derniers soldats américains de rentrer chez eux pour Noël.

Quelques jours auparavant, il avait rencontré le général John Allen, des Marines, commandant en chef des troupes en Afghanistan. Allen a annoncé que, l’an prochain, les troupes américaines ne participeront plus aux combats en première ligne contre les talibans et seront dédiées à la formation et au conseil des troupes afghanes. Ces transitions, en Irak comme en Afghanistan, combinées à une réduction prévisible du budget du Pentagone, vont entraîner des changements substantiels dans l’organisation des troupes américaines au sol et même dans la définition de ce qu’est un soldat.

Le changement de mission proposé par Allen va nécessiter la reconfiguration des forces américaines, qui vont passer d’une structure conçue pour le combat à une structure davantage axée sur le partenariat avec les unités afghanes. La formation et le conseil adressés à des armées partenaires sont des missions typiquement dédiées à des officiers et sous-officiers âgés et plus expérimentés, comme ceux des forces spéciales.

Développement de la fonction de conseil

A l’inverse, l’armée et le corps des Marines, moins spécialisés et qui combattent actuellement les talibans dans le sud et l’est de l’Afghanistan, sont majoritairement composés de soldats engagés, qui acquièrent de l’expérience en s’intégrant dans leurs sections.

Au bout de dix années de guerre, l’armée américaine et le corps des Marines ont pleinement conscience de l’écart entre leur organisation de base et les besoins, en termes d’encadrement, d’une mission de conseil. Il y a quelques années de cela, l’armée avait mis sur pied une brigade expérimentale de «conseil et assistance» dont les unités avaient reçu une formation spécifique et avaient été spécialement réorganisées pour effectuer des mission de ce genre en Irak et en Afghanistan. Un peu plus tôt cette année, deux officiers des Marines ont publié un article dans le Small Wars Journal qui résumait leurs recommandations relatives à l’organisation de groupes de soutien et de conseil en Afghanistan.

Les missions de conseil des militaires américaines risquant bien de se poursuivre au delà de 2014 en Afghanistan et des projets similaires risquant fort de voir le jour ailleurs, l’armée américaine et le corps des Marines vont peut-être devoir mettre sur pied des groupes de conseils à l’échelon du régiment ou de la brigade. Si un tel développement devait se produire, il aurait des effets significatifs sur la manière dont ces services recrutent, forment, organisent et équipent leurs troupes dans le futur.

Transferts de compétences

En Irak, l’échec des gouvernements américains et irakiens à négocier un accord de suivi dans le domaine militaire signifie qu’à part une poignée d’officiers américains présent à l’ambassade des Etats-Unis, toutes les troupes américaines vont quitter le pays. Mais les transferts de compétences entre Américains et Irakiens vont certainement se poursuivre, les soldats privés (pour la plupart d’anciens soldats) remplissant désormais les missions qui incombaient aux véritables soldats.

Des forces paramilitaires, des sociétés militaires privées et des officiers de renseignement vont très certainement continuer d’assister l’Irak dans sa lutte contre al-Qaida. Cette privatisation des activités militaires va désormais constituer une alternative commode lorsque l’usage de forces militaires s’avère politiquement irréaliste.

Lors de la rébellion récente en Libye, nous avons pu voir naitre une potentielle source extérieure d’activités militaire. Alors que les forces aériennes de l’Otan appuyaient les rebelles libyens au sol, Obama a promis qu’aucun militaire américain ne mettrait le pied en Lybie. Pas d’inquiétude: le Qatar, allié des Etats-Unis, a fourni aux rebelles les centaines de conseillers en opérations spéciales qu’Obama se sentait contraint de déployer et, ce faisant, s’est comporté comme un auxiliaire des Etats-Unis.

Impact sur les penseurs du Pentagone

Des coupes importantes dans les dépenses de la défense risquent de frapper durement l’armée de terre américaine. Mais l’armée comme le corps des Marines peuvent s’adapter en réorganisant leurs forces afin qu’elles puissent effectuer les nouvelles missions décrites et se préparer à de futures mobilisations et reconstitutions au cas où une crise grave venait à éclater.

Dans un essai publié dans l’Armed Forces Journal, l’officier en retraite Robert Killebrew se fait l’avocat d’une armée composée de quelques jeunes soldats en première ligne, d’officiers et sous-officiers plus expérimentés dans le rôle de conseil, d’un système renforcé de formation des militaires afin de maintenir les officiers et les soldats au sommet de leur forme et de leur formation et d’une organisation permettant de reconstituer rapidement des unités combattantes complètes avec de nouvelles recrues en cas de crise.

Nous voyons ainsi le concept de soldat dépasser celui du simple fantassin et s’étendre au rôle de conseiller, formateur, soldat privé, paramilitaire, auxiliaire ou officier en attente. Rien de neuf dans l’histoire du monde ni même des Etats-Unis. Mais cela ne sera pas sans implication quant à la manière dont les penseurs du Pentagone vont réorganiser le corps des Marines et l’armée.

Robert Haddick

Traduit par Antoine Bourguilleau

Slate.fr

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